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Ariane Web: Conseil d'État 411861, lecture du 14 juin 2018, ECLI:FR:CECHR:2018:411861.20180614

Décision n° 411861
14 juin 2018
Conseil d'État

N° 411861
ECLI:FR:CECHR:2018:411861.20180614
Inédit au recueil Lebon
6ème et 5ème chambres réunies
Mme Laurence Franceschini, rapporteur
M. Louis Dutheillet de Lamothe, rapporteur public


Lecture du jeudi 14 juin 2018
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

Par une requête, enregistrée le 26 juin 2017 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'association des paralysés de France (APF), l'association de défense et d'entraide des personnes handicapées (ADEP) et l'association FNATH, Association des accidentés de la vie demandent au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté du 20 avril 2017 relatif à l'accessibilité aux personnes handicapées des établissements recevant du public lors de leur construction et des installations ouvertes au public lors de leur aménagement ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.


Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- la convention des Nations Unies du 13 décembre 2006 relative aux droits des personnes handicapées ;
- le code de la construction et de l'habitation ;
- le décret n° 2017-461 du 28 mars 2017 ;
- l'arrêté du 20 avril 2017 ;
- le code de justice administrative ;


Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Laurence Franceschini, conseiller d'Etat,

- les conclusions de M. Louis Dutheillet de Lamothe, rapporteur public.



Considérant ce qui suit :

1. Aux termes de l'article L. 111-7 du code de la construction et de l'habitation : " Les dispositions architecturales, les aménagements et équipements intérieurs et extérieurs des locaux d'habitation, qu'ils soient la propriété de personnes privées ou publiques, des établissements recevant du public, des installations ouvertes au public et des lieux de travail doivent être tels que ces locaux et installations soient accessibles à tous, et notamment aux personnes handicapées, quel que soit le type de handicap, notamment physique, sensoriel, cognitif, mental ou psychique, dans les cas et selon les conditions déterminés aux articles L. 111-7-1 à L. 111-7-11. (...) ". En vertu de l'article L. 111-7-1 de ce code : " Des décrets en Conseil d'Etat fixent les modalités relatives à l'accessibilité aux personnes handicapées prévue à l'article L. 111-7 que doivent respecter les bâtiments ou parties de bâtiments nouveaux. (...).". Sur ce fondement, les articles R. 111-19 à R. 111-19-5 du même code précisent les dispositions applicables à la construction d'établissements recevant du public ou à l'aménagement d'installations ouvertes au public. En vertu du premier alinéa de l'article R. 111-19-2 : " Est considéré comme accessible aux personnes handicapées tout bâtiment ou aménagement permettant, dans des conditions normales de fonctionnement, à des personnes handicapées, avec la plus grande autonomie possible, de circuler, d'accéder aux locaux et équipements, d'utiliser les équipements, de se repérer, de communiquer et de bénéficier des prestations en vue desquelles cet établissement ou cette installation a été conçu. Les conditions d'accès des personnes handicapées doivent être les mêmes que celles des personnes valides ou, à défaut, présenter une qualité d'usage équivalente. ". Le second alinéa de ce même article confie au ministre chargé de la construction et au ministre chargé des personnes handicapées le soin de fixer, par arrêté, " les obligations auxquelles doivent satisfaire les constructions et les aménagements propres à assurer l'accessibilité de ces établissements et de leurs abords en ce qui concerne les cheminements extérieurs, le stationnement des véhicules, les conditions d'accès et d'accueil dans les bâtiments, les circulations intérieures horizontales et verticales à l'intérieur des bâtiments, les locaux intérieurs et les sanitaires ouverts au publics, les portes et les sas intérieurs et les sorties, les revêtements des sols et des parois, ainsi que les équipements et mobiliers intérieurs et extérieurs susceptibles d'y être installés, notamment les dispositifs d'éclairage et d'information des usagers ". Dans sa rédaction issue du décret du 28 mars 2017 relatif au registre public d'accessibilité et modifiant diverses dispositions relatives à l'accessibilité aux personnes handicapées des établissements recevant du public et des installations ouvertes au public, il dispose en outre que : " Cet arrêté prévoit la possibilité pour le maître d'ouvrage de satisfaire à ces obligations par des solutions d'effet équivalent aux dispositions techniques de l'arrêté dès lors que ces solutions répondent aux objectifs poursuivis ". L'association des paralysés de France et autres demandent l'annulation pour excès de pouvoir de l'arrêté du 20 avril 2017 pris pour l'application de ces dispositions.

Sur la légalité externe :

2. Le moyen tiré de l'irrégularité de la consultation du conseil national consultatif des personnes handicapées n'est pas assorti de précisions suffisantes pour en apprécier le bien-fondé et ne peut par suite qu'être écarté.

3. Il ressort des pièces du dossier que le projet d'arrêté a fait l'objet de la consultation du conseil national consultatif des personnes handicapées auquel participe, en vertu de l'article D. 146-1 du code de l'action sociale et des familles, les représentants des associations regroupant des personnes handicapées ou leurs familles. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 4.3 de la convention des Nations Unies du 13 décembre 2006 relative aux droits des personnes handicapées, qui stipule que les États Parties consultent étroitement et font activement participer les personnes handicapées, par l'intermédiaire des organisations qui les représentent, à l'élaboration et la mise en oeuvre des lois et des politiques adoptées aux fins de l'application de la convention, doit être écarté.

Sur la légalité interne :

En ce qui concerne le 3ème alinéa de l'article 1er de l'arrêté attaqué :

4. Le 3ème alinéa de l'article 1er de l'arrêté attaqué dispose que : " Des solutions d'effet équivalent peuvent être mises en oeuvre dès lors que celles-ci satisfont aux mêmes objectifs que les solutions prescrites par le présent arrêté. Lorsqu'une solution d'effet équivalent est mise en oeuvre, le maître d'ouvrage transmet au représentant de l'Etat dans le département, préalablement aux travaux, les éléments permettant de vérifier que cette solution satisfait aux objectifs d'accessibilité. Ces éléments sont transmis en trois exemplaires sauf s'ils sont transmis par voie électronique. Le représentant de l'Etat notifie sa décision motivée, dans les trois mois qui suivent la réception des éléments, après avoir consulté la commission compétente en application de l'article R.* 111-19-30 du code de la construction et de l'habitation. A défaut de réponse de la commission dans un délai de deux mois à compter de la transmission de la demande d'avis, celui-ci est réputé favorable. A défaut de réponse du représentant de l'Etat dans le département dans le délai de trois mois à compter de la date à laquelle il a reçu la demande d'accord, celui-ci est réputé acquis. ".

5. En premier lieu, il résulte des dispositions rappelées au point 1 que l'article L. 111-7-1 du code de la construction et de l'habitation confie au pouvoir réglementaire le soin de fixer, par décret en Conseil d'Etat, les exigences relatives à l'accessibilité que doivent respecter les bâtiments ou parties de bâtiments nouveaux. En vertu des dispositions de l'article R. 111-19-2 du même code, l'arrêté auquel il renvoie peut prévoir la possibilité pour le maître d'ouvrage de satisfaire aux obligations propres à assurer l'accessibilité des établissements recevant du public et de leurs abords par des solutions d'effet équivalent aux dispositions techniques qu'il comporte, dès lors que ces solutions répondent aux objectifs poursuivis. A supposer que les associations requérantes entendent contester par la voie de l'exception la légalité de ces dernières dispositions, la faculté ainsi ouverte a notamment pour objet de permettre d'utiliser des innovations technologiques, pour atteindre les mêmes objectifs et sans qu'il soit porté atteinte au principe d'accessibilité. Le moyen tiré de ce que ces dispositions méconnaîtraient l'article L. 111-7-1 du code de la construction et de l'habitation en prévoyant la possibilité de mettre en oeuvre des dispositions d'effet équivalent doit dès lors être écarté, ainsi que les moyens tirés de l'incompétence de leur auteur, de la méconnaissance de l'objectif à valeur constitutionnelle de clarté et d'intelligibilité des normes et du principe de sécurité juridique.

6. En deuxième lieu, ainsi que le rappelle l'article L. 231-4 du code des relations entre le public et l'administration, un régime de décision implicite d'acceptation ne peut être institué lorsque la protection des libertés ou la sauvegarde des autres principes de valeur constitutionnelle s'y oppose ; que l'institution d'un tel régime, s'agissant de l'agrément de solutions techniques d'effet équivalent aux dispositions réglementaires destinées à assurer l'accessibilité des personnes handicapées, ne porte pas à la liberté d'aller et de venir une atteinte illégale. Il en résulte que le moyen tiré de ce que les dispositions de l'arrêté attaqué, qui prévoient qu'à défaut de réponse du représentant de l'Etat dans le département dans le délai de trois mois à compter de la date à laquelle il a reçu la demande d'accord pour la mise en place de solutions d'effet équivalent, mettraient illégalement en place un mécanisme de décision implicite d'acceptation doit être écarté.

7. En troisième lieu, les missions et la composition de la commission prévue à l'article R. 111-19-30 du code de la construction et de l'habitation, dont la consultation est prévue à l'article 1er de l'arrêté attaqué, sont fixées par le décret du 8 mars 1995 relatif à la commission consultative départementale de sécurité et d'accessibilité. Le moyen tiré de ce que les pouvoirs et les compétences de cette commission ne sont pas connus manque ainsi en fait.

8. En quatrième lieu, l'article 4 de la convention des Nations Unies du 13 décembre 2006 relative aux droits des personnes handicapées, stipule que les Etats signataires s'engagent à " a) adopter toutes mesures appropriées d'ordre législatif, administratif ou autre pour mettre en oeuvre les droits reconnus dans la présente convention ; b) prendre toutes mesures appropriées, y compris des mesures législatives pour modifier, abroger ou abolir les lois, règlements, coutumes et pratiques qui sont source de discrimination envers les personnes handicapées (...) ". Ces stipulations, qui requièrent l'intervention d'actes complémentaires pour produire des effets à l'égard des particuliers, ont pour objet exclusif de régir les relations entre Etats. Par suite, les associations requérantes ne peuvent utilement s'en prévaloir.

En ce qui concerne le 4ème alinéa de l'article 1er de l'arrêté attaqué :

9. D'une part, le 4ème alinéa de l'article 1er de l'arrêté attaqué prévoit que : " Les dispositions des articles 5 à 19 concernant les espaces de manoeuvre avec possibilité de demi-tour, les espaces de manoeuvre de porte, les espaces d'usage devant, au droit, à l'aplomb ou situés latéralement par rapport aux équipements et la distance minimale entre la poignée de porte et un angle rentrant ne s'appliquent pas pour les étages ou niveaux non accessibles aux personnes circulant en fauteuil roulant. ".

10. D'autre part, l'article 7-2 de l'arrêté attaqué dispose qu' " un ascenseur est obligatoire : / - si l'effectif du public admis aux étages supérieurs ou inférieurs atteint ou dépasse cinquante personnes ; / - lorsque l'effectif admis aux étages supérieurs ou inférieurs n'atteint pas cinquante personnes et que certaines prestations ne peuvent être offertes au rez-de-chaussée. ".

11. Les étages non accessibles mentionnés par les dispositions du 4ème alinéa de l'article 1er de l'arrêté attaqué doivent être regardés comme les étages qui remplissent les conditions prévues par les dispositions de l'article 7-2 citées au point précédent. Il résulte de ces dernières que le maître d'ouvrage peut ne pas installer d'ascenseur à la double condition que l'effectif admis aux étages n'atteigne pas cinquante personnes et que l'ensemble des prestations soient offertes à l'ensemble des publics, y compris les personnes handicapées, au rez-de-chaussée, conformément à ce qu'exige le respect des dispositions précitées de l'article R. 111-19-2 du code de la construction et de l'habitation, qui imposent que les conditions d'accès des personnes handicapées soient les mêmes que celles des personnes valides ou, à défaut, présentent une qualité d'usage équivalente. Les associations requérantes ne sont, par suite, pas fondées à soutenir que l'arrêté attaqué est entaché d'illégalité en tant qu'il comporte une exemption à l'application de certaines des dispositions de ses articles 5 à 19 pour les étages ou niveaux non accessibles aux personnes circulant en fauteuil roulant.

En ce qui concerne les autres dispositions attaquées :

12. En premier lieu, aux termes du 6ème alinéa de l'article 2 de l'arrêté attaqué : " Lorsque les caractéristiques du terrain ne permettent pas la réalisation d'un cheminement accessible depuis l'extérieur du terrain, un espace de stationnement adapté tel que défini à l'article 3 est prévu à proximité de l'entrée du bâtiment et se trouve relié à celle-ci par un cheminement accessible. Pour indiquer que le cheminement extérieur n'a pu être rendu accessible, cet espace de stationnement adapté est signalé à l'entrée du terrain par une signalisation répondant aux exigences de l'annexe 3. ". Contrairement à ce que soutiennent les requérantes, en adoptant une telle disposition, le pouvoir réglementaire n'a pas méconnu l'étendue de sa compétence.

13. En deuxième lieu, le premier paragraphe de l'article 4 de la convention des Nations Unies du 13 décembre 2006 relative aux droits des personnes handicapées stipule que : " Les États Parties s'engagent à garantir et à promouvoir le plein exercice de tous les droits de l'homme et de toutes les libertés fondamentales de toutes les personnes handicapées sans discrimination d'aucune sorte fondée sur le handicap (...) ". Ces stipulations, qui requièrent l'intervention d'actes complémentaires pour produire des effets à l'égard des particuliers, ne peuvent être utilement invoquées. Il en est de même des stipulations de l'article 9 de la même convention, par lesquelles les Etats signataires s'engagent à prendre " des mesures appropriées pour leur assurer, sur la base de l'égalité avec les autres, l'accès à l'environnement physique, aux transports, à l'information et à la communication, y compris aux systèmes et technologies de l'information et de la communication, et aux autres équipements et services ouverts ou fournis au public, tant dans les zones urbaines que rurales. (...) ". Par suite, les moyens tirés de ce que, d'une part, les articles 4, 9 et 17 de l'arrêté attaqué, en ce qu'ils permettent des ressauts pouvant aller jusqu'à 4 cm, d'autre part, l'article 9 de l'arrêté, relatif aux revêtements des sols, murs et plafonds, méconnaissent ces stipulations ne peuvent qu'être écartés.

14. En troisième lieu, l'article 7-2 de l'arrêté attaqué prévoit qu'un ascenseur est obligatoire si l'effectif public admis aux autres niveaux que le rez-de-chaussée atteint ou dépasse cinquante personnes, ce seuil étant porté à cent personnes pour les établissements d'enseignement. Cette différence de traitement concerne des établissements accueillant des publics différents et n'apparaît pas manifestement disproportionnée eu égard aux caractéristiques particulières des établissements d'enseignement, des publics qu'ils accueillent et de leur capacité d'organisation. Le moyen tiré de ce que les dispositions contestées créeraient une discrimination injustifiée doit donc être écarté.

15. Il résulte de ce tout qui précède que les associations requérantes ne sont pas fondées à demander l'annulation de l'arrêté attaqué. Leur requête doit par suite être rejetée, y compris leurs conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.


D E C I D E :
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Article 1er : La requête de l'association des paralysés de France, de l'association de défense et d'entraide des personnes handicapées, et de l'association FNATH Association des accidentés de la vie est rejetée.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à l'association des paralysés de France, première dénommée, pour l'ensemble des requérants, et au ministre de la cohésion des territoires.


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