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Ariane Web: Conseil d'État 421257, lecture du 27 juin 2018, ECLI:FR:CEORD:2018:421257.20180627

Décision n° 421257
27 juin 2018
Conseil d'État

N° 421257
ECLI:FR:CEORD:2018:421257.20180627
Inédit au recueil Lebon
Juge des référés
SCP DELAMARRE, JEHANNIN, avocats


Lecture du mercredi 27 juin 2018
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu les procédures suivantes :

1° Sous le n° 421257, par une requête, enregistrée le 6 juin 2018 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la Communauté d'agglomération du Cotentin demande au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative :

1°) d'ordonner la suspension de l'exécution des dispositions des 2° et 3° du A du I et du c) et du d) du 3° du III de l'article 1er du décret n° 2018-309 du 27 avril 2018 pris pour l'application des articles 13 et 29 de la loi n° 2018-32 du 22 janvier 2018 de programmation pour les finances publiques pour les années 2018 à 2022 ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.


La Communauté d'agglomération du Cotentin soutient que :
- il y a urgence à suspendre l'exécution du décret contesté dès lors que, d'une part, elle se trouve dans la nécessité d'augmenter ses dépenses réelles de fonctionnement dès 2018 du fait de sa situation particulière de communauté d'agglomération nouvellement créée dans des proportions incompatibles avec la soumission par le décret contesté aux dispositions des articles 13 et 29 de la loi n° 2018-32 du 22 janvier 2018, d'autre part, l'obligation de respecter un taux d'évolution des dépenses réelles de fonctionnement de 1,2 % aura pour effet d'entraîner une reprise financière de plusieurs millions d'euros et, enfin, que les dispositions du décret litigieux relatives à la réduction de ses dépenses réelles de fonctionnement lui seront applicables dès le 30 juin 2018 ;
- il existe un doute sérieux quant à la légalité du décret contesté ;
- il est entachée d'un vice de procédure dès lors que, portant sur les finances des collectivités locales, il n'a pas fait l'objet d'une consultation par le comité des finances locales ;
- les dispositions contestées méconnaissent le troisième alinéa du III de l'article 29 de la loi du 22 janvier 2018 qui, d'une part, est applicable à la détermination des collectivités territoriales et établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) à fiscalité propre soumis à l'obligation de respecter un taux d'évolution des dépenses réelles de fonctionnement de 1,2 %, d'autre part, oblige à prendre en compte non seulement les modifications de périmètre géographique entre 2016 et 2018 mais également les évolutions intervenues dans les compétences de la structure pendant la même période ;
- ces dispositions méconnaissent et dénaturent la portée du I du même article 29 en se bornant à prévoir la prise en compte des évolutions de périmètre géographique pour l'application du deuxième alinéa du I de l'article 29 de la loi du 22 janvier 2018 ;
- elles sont contraires au principe d'égalité entre collectivités territoriales en ce que sont exclues du calcul des dépenses réelles de fonctionnement pour 2016 les seules communes nouvelles issues de la fusion de communes membres d'un ou plusieurs EPCI à fiscalité propre membres de l'EPCI, isolées en 2016 et non les communes isolées en 2017 ou 2018 ;

Par un mémoire en défense, enregistré le 20 juin 2018, le ministre d'Etat, ministre de l'intérieur conclut au rejet de la requête. Il soutient que la condition d'urgence n'est pas remplie et que les moyens soulevés par la requérante ne sont pas fondés.


2° Sous le n° 421260, par une requête, enregistrée le 6 juin 2018 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la Communauté d'agglomération du Cotentin demande au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative :

1°) d'ordonner la suspension de l'exécution de l'instruction INTB1806599J du 16 mars 2018 relative à la mise en oeuvre des articles 13 et 29 de la loi n° 2018-32 du 22 janvier 2018 de programmation pour les finances publiques pour les années 2018 à 2022 ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.


La Communauté d'agglomération du Cotentin soutient que :
- il y a urgence à suspendre l'exécution de cette instruction pour les mêmes motifs que ceux avancés dans la requête n° 421257 ;
- il existe un doute sérieux quant à la légalité de l'instruction contestée ;
- d'une part, elle est entachée d'incompétence, d'autre part, ces dispositions identiques à celles du décret du 27 avril 2018 contestées dans la requête n° 421257 sont entachées des mêmes vices ;

Par un mémoire en défense, enregistré le 20 juin 2010, le ministre d'Etat, ministre de l'intérieur conclut, à titre liminaire, à l'irrecevabilité de la requête et, à titre principal, au rejet de la requête. Il soutient que la condition d'urgence n'est pas remplie et que les moyens soulevés par la requérante ne sont pas fondés.



Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- la loi n° 2018-32 du 22 janvier 2018 de programmation des finances publiques pour les années 2018 à 2022 ;
- le code de justice administrative ;

Après avoir convoqué à une audience publique, d'une part, la Communauté d'agglomération du Cotentin d'autre part, le ministre d'Etat, ministre de l'intérieur ;

Vu le procès-verbal de l'audience publique du lundi 25 juin 2018 à 15 heures au cours de laquelle ont été entendus :

- Me Delamarre, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat de la Communauté d'agglomération du Cotentin ;

- les représentants de la Communauté d'agglomération du Cotentin ;

- les représentants du ministre d'Etat, ministre de l'intérieur ;
- le représentant du ministre de l'action et des comptes publics ;

et à l'issue de laquelle le juge des référés a clos l'instruction ;



1. Considérant que les requêtes visées ci-dessus présentent à juger des questions similaires ; qu'il y a lieu de les joindre pour statuer par une même décision ;

2. Considérant qu'aux termes de l'article L. 521-1 du code de justice administrative : " Quand une décision administrative, même de rejet, fait l'objet d'une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d'une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l'exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l'urgence le justifie et qu'il est fait état d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision " ;

Sur le cadre juridique du litige :

3. Considérant que l'article 13 de la loi du 22 janvier 2018 de programmation pour les finances publiques pour les années 2018 à 2022, qui prévoit la contribution des collectivités territoriales à l'effort de réduction du déficit public et de maîtrise de la dépense publique, fixe, dans son III, un " objectif national d'évolution des dépenses réelles de fonctionnement des collectivités territoriales et de leurs groupements à fiscalité propre ", cet objectif correspondant " à un taux de croissance annuel de 1,2 % appliqué à une base de dépenses réelles de fonctionnement en 2017, en valeur et à périmètre constant " à compter de l'année 2018 ; que, pour le respect de cet objectif, l'article 29 de la même loi organise la conclusion de contrats, avant la fin du premier semestre 2018, d'une durée de trois ans, entre l'Etat et certaines collectivités territoriales ou établissements publics locaux, et comportant des engagements de modération des dépenses réelles de fonctionnement des collectivités et établissements intéressés ; que la méconnaissance de ces engagements peut donner lieu, en application du V de l'article 29, à une reprise financière dont le montant est égal à 75 % de l'écart constaté, sans pouvoir excéder 2 % des recettes réelles de fonctionnement du budget principal de l'année considérée ; que son montant est égal à 100% de cet écart avec un plafond identique si la collectivité ou l'établissement n'a pas conclu un tel contrat ;

4. Considérant que le I de l'article 29 rend ce dispositif applicable à différentes catégories de collectivités territoriales, en particulier, selon son deuxième alinéa aux " communes et (...) établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre dont les dépenses réelles de fonctionnement constatées dans le compte de gestion du budget principal au titre de l'année 2016 sont supérieures à 60 millions d'euros " ; que le III du même article, relatif à la définition des dépenses réelles de fonctionnement, précise que " Pour les collectivités territoriales ou établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre ayant fait l'objet d'une création, d'une fusion, d'une extension ou de toute autre modification de périmètre, les comparaisons sont effectuées sur le périmètre ou la structure en vigueur au 1er janvier de l'année concernée " ; qu'enfin, le X du même article renvoie à un décret en Conseil d'Etat le soin de préciser les modalités d'application de ces différentes dispositions ;

5. Considérant que pour la mise en oeuvre de celles-ci, les ministres intéressés ont adressé, le 16 mars 2018, aux préfets et aux directeurs des finances publiques une instruction qui comporte, entre autres, des précisions sur l'application du dispositif aux établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) à fiscalité propre existant en 2018 qui n'existaient pas avec le même périmètre en 2016, notamment une liste des EPCI soumis à ce dispositif ; qu'un décret du 27 avril 2018 a été pris pour l'application des mêmes dispositions du deuxième alinéa de l'article 29 de la loi du 22 janvier 2018 ;

6. Considérant que la communauté d'agglomération du Cotentin, créée à compter du 1er janvier 2017, par fusion de neuf communautés de communes et extension aux communes nouvelles de Cherbourg-en-Cotentin et la Hague, qui figure sur la liste dressée par l'instruction mentionnée ci-dessus, demande la suspension de l'exécution de certaines des dispositions de cette instruction ainsi que des dispositions du décret du 27 avril 2018 ;

Sur les conclusions de la requête n° 421257 à fin de suspension de certaines dispositions du décret du 27 avril 2018 :

7. Considérant que le A. du I de l'article 1er du décret formule les règles de prise en compte des évolutions de périmètre d'une commune ou d'un établissement public, intervenues depuis le 1er janvier 2016, pour l'appréciation du seuil de 60 millions d'euros de dépenses réelles de fonctionnement pour l'année 2016, en particulier les EPCI, fixé par le deuxième alinéa du I de l'article 29 la loi du 22 janvier 2018 ; que le 1° de ce A. décide ainsi qu'en cas de fusion de communes ou d'EPCI postérieure au 1er janvier 2016, le seuil est apprécié en additionnant les dépenses pertinentes au titre de l'année 2016 des structures fusionnées ; que les 2° et le 3° du même A. traitent du cas dans lequel existe une différence pour un EPCI à fiscalité propre entre " le périmètre constaté au 1er janvier 2018 et celui existant à la date d'arrêt des comptes de gestion de 2016 " ; que le 2° impose ainsi, pour l'appréciation du seuil de 60 millions d'euros, de calculer pour l'année 2016 pour chacun des EPCI à fiscalité propre couvrant en 2016, tout ou partie du périmètre correspondant à celui de cet établissement au 1er janvier 2018, la part des dépenses réelles de fonctionnement du budget principal de l'établissement afférente à chaque commune membre, au prorata de la population totale de la commune dans la population totale de l'établissement dans son périmètre existant à la date d'arrêt des comptes de gestion de 2016, puis d'additionner les parts de chacune des communes que l'établissement regroupe ; que le 3° dispose toutefois que n'est pas pris en compte le montant des dépenses réelles de fonctionnement d'une commune, lorsque cette commune est une commune nouvelle issue de la fusion de communes membres d'un ou de plusieurs EPCI à fiscalité propre, était isolée en 2016 et appartient en 2017 ou 2018 à l'EPCI ; que, pour la modulation du taux de croissance annuel dont les différents cas de figure sont définis au IV de l'article 29 de la loi du 22 janvier 2018, le c) et le d) du 3° du III de l'article 1er du décret prévoient des règles identiques à celles qui viennent d'être énoncées ;

8. Considérant que la communauté d'agglomération soutient en premier lieu que ce décret aurait été pris sans consultation préalable du comité des finances locales ; que ce moyen manque en fait ;

9. Considérant qu'il est soutenu, en deuxième lieu, que les dispositions du III de l'article 29 de la loi du 22 janvier 2018, citées au point 4., d'une part, seraient applicables à la détermination des collectivités territoriales et EPCI soumis au dispositif de limitation, d'autre part, obligeraient à prendre en compte non seulement les modifications de périmètre géographique entre 2016 et 2018 mais également les évolutions intervenues dans les compétences de la structure pendant la même période ; qu'ainsi, les dispositions litigieuses du 2° du A du I de l'article 1er seraient illégales en ce qu'elles se borneraient à prendre en compte, pour apprécier si les dépenses réelles de fonctionnement d'un EPCI à fiscalité propre devaient être regardées comme supérieures à 60 millions d'euros au 1er janvier 2016, les seules évolutions de périmètre géographique intervenues entre le 1er janvier 2016 et le 1er janvier 2018 ; que, toutefois, en l'état de l'instruction, il ne ressort ni de l'économie générale du III de l'article 29 dont l'objet est de définir les dépenses réelles de fonctionnement, ni de la rédaction de son troisième alinéa, qui, en mentionnant en particulier des comparaisons à effectuer au " 1er janvier de l'année concernée ", semble plutôt s'appliquer aux évolutions de dépenses au cours de l'ensemble de la période 2018-2022, que la règle énoncée par cet alinéa devrait être mise en oeuvre pour déterminer si, en application du deuxième alinéa du I de l'article 29, un EPCI doit être regardé comme ayant eu des dépenses réelles de fonctionnement supérieures à 60 millions d'euros en 2016 ;

10. Considérant qu'il est soutenu, en troisième lieu, de manière plus générale, que les dispositions litigieuses auraient également dénaturé ou méconnu la portée des dispositions législatives citées ci-dessus en se bornant à prévoir la prise en compte des évolutions de périmètre géographique pour l'application du deuxième alinéa du I de l'article 29 de la loi du 22 janvier 2018 ; qu'il n'apparaît pas, en l'état de l'instruction, qu'en choisissant un critère purement géographique pour établir fictivement les comptes de gestion 2016 des EPCI existant en 2018 et apprécier ainsi le franchissement ou non du seuil de 60 millions d'euros d'entrée dans le dispositif de modération des dépenses réelles de fonctionnement, le Premier ministre, qui disposait d'un large pouvoir d'appréciation pour prendre les mesures d'application de ces dispositions législatives, en ait dénaturé ou méconnu la portée ;

11. Considérant, en dernier lieu, qu'il est également soutenu que les dispositions litigieuses seraient contraires au principe d'égalité entre collectivité territoriales en ce qu'elles excluent de l'opération de reconstitution des comptes de 2016 les seules communes nouvelles issues de la fusion de communes membres d'un ou plusieurs EPCI à fiscalité propre membres de l'EPCI, isolées en 2016 sans que la différence de situation de ces communes par rapport aux mêmes communes, membres de l'EPCI, isolées en 2017 ou 2018 justifient une telle différence de traitement ; qu'un tel moyen n'est pas plus de nature à créer un doute sérieux sur la légalité de ces dispositions, dès lors qu'à la différence des communes nouvelles issues de la fusion de communes membres d'un ou plusieurs EPCI à fiscalité propre membres de l'EPCI dont il s'agit d'apprécier la soumission au dispositif, isolées en 2017 et 2018, pour lesquelles existe un compte de gestion 2016 d'un EPCI permettant la reconstitution des dépenses de fonctionnement en 2016, un tel compte n'existe pas pour les communes isolées en 2016, issues du même type de fusion ;

12. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que, sans qu'il soit besoin d'apprécier l'urgence à suspendre les dispositions litigieuses, les conclusions à fin de suspension dirigées contre l'article 1er du décret du 27 avril 2018 doivent être rejetées ;

Sur les conclusions de la requête n° 421260 à fin de suspension de certaines dispositions de l'instruction interministérielle du 16 mars 2018 :

13. Considérant qu'il n'est contesté ni qu'à l'exception de la liste nominative des collectivités et EPCI soumis au dispositif de maîtrise des dépenses de fonctionnement, les dispositions litigieuses de l'instruction ont été reprises par celles du décret du 27 avril 2018, examinées ci-dessus, ni que l'article 1er du décret fait entrer la communauté d'agglomération du Cotentin, nominativement désignée par l'instruction, dans ce dispositif ; que, par suite, celle-ci n'ayant plus sur ce point d'effet propre depuis l'entrée en vigueur du décret, les conclusions de la requête dirigée contre l'instruction interministérielle du 16 mars 2018 ne peuvent, en l'absence d'urgence à en suspendre l'exécution, qu'être rejetées ;

14. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que les requêtes de la communauté d'agglomération du Cotentin doivent être rejetées, y compris les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;



O R D O N N E :
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Article 1er : Les requêtes n°s 421257 et 421260 de la communauté d'agglomération du Cotentin sont rejetées.
Article 2 : La présente ordonnance sera notifiée à la Communauté d'agglomération du Cotentin et au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur.