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Ariane Web: Conseil d'État 416352, lecture du 3 octobre 2018, ECLI:FR:CECHS:2018:416352.20181003

Décision n° 416352
3 octobre 2018
Conseil d'État

N° 416352
ECLI:FR:CECHS:2018:416352.20181003
Inédit au recueil Lebon
5ème chambre
M. Florian Roussel, rapporteur
M. Nicolas Polge, rapporteur public
SCP FOUSSARD, FROGER, avocats


Lecture du mercredi 3 octobre 2018
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

La commune de Saint-Lô a demandé au tribunal administratif de Caen de condamner l'Etat à l'indemniser des frais de nettoyage de la voirie occasionnés par les manifestations d'agriculteurs qui ont eu lieu dans cette commune les 21 octobre et 5 novembre 2014 et 18 et 19 août 2015. Par un jugement n° 1501425, 1502416 du 21 septembre 2016, le tribunal administratif a rejeté ces demandes.

Par un arrêt n° 16NT03761 du 6 octobre 2017, la cour administrative d'appel de Nantes a rejeté l'appel formé par la commune de Saint-Lô contre ce jugement.

Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 6 décembre 2017 et 2 mars et 6 septembre 2018 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la commune de Saint-Lô demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cet arrêt ;

2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à son appel ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.



Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- le code de la sécurité intérieure ;

- le code de justice administrative ;


Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Florian Roussel, maître des requêtes,

- les conclusions de M. Nicolas Polge, rapporteur public.

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Foussard, Froger, avocat de la commune de Saint-Lô.



1. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, lors d'une manifestation organisée le 21 octobre 2014 à Saint-Lô, des agriculteurs ont déversé des légumes invendus sur la voie publique ; que, lors d'une manifestation organisée le 5 novembre 2014 dans cette même commune, des agriculteurs ont répandu sur la voie publique des déchets et des pneus ; qu'enfin, lors d'une manifestation organisée dans la nuit du 18 au 19 août et dans la journée du 19 août 2015 dans cette même commune, des agriculteurs ont perturbé la circulation et déversé sur la voie publique des pneus, du lisier et des détritus ; que la commune de Saint-Lô a saisi le préfet de la Manche de deux demandes tendant au versement par l'Etat d'une indemnité de 16 872,34 euros au titre des frais engagés pour nettoyer la voie publique après les manifestations des 21 octobre et 5 novembre 2014 et d'une indemnité de 11 698,70 euros au titre des frais engagés pour nettoyer la voie publique après la manifestation des 18 et 19 août 2015 ; que, regardant comme insuffisantes les propositions d'indemnisation amiable formulées par le préfet, la commune a demandé au tribunal administratif de Caen de condamner l'Etat à lui verser ces sommes ; que, par un jugement du 21 septembre 2016, le tribunal administratif a rejeté sa demande ; que la commune de Saint-Lô se pourvoit en cassation contre l'arrêt du 6 octobre 2017 par lequel la cour administratif d'appel de Nantes a rejeté son appel dirigé contre ce jugement ;

2. Considérant qu'aux termes de l'article L. 211-10 du code de la sécurité intérieure : " L'Etat est civilement responsable des dégâts et dommages résultant des crimes et délits commis, à force ouverte ou par violence, par des attroupements ou rassemblements armés ou non armés, soit contre les personnes, soit contre les biens " ;

3. Considérant que la cour a pu relever, par une appréciation souveraine des faits qui lui étaient soumis, que les dégradations commises sur la voie publique à l'occasion des manifestations d'agriculteurs des 21 octobre et 5 novembre 2014 et 18 et 19 août 2015 présentaient un caractère organisé et prémédité ; qu'en revanche, en déduisant de cette seule circonstance que les dommages n'étaient pas le fait d'un attroupement ou d'un rassemblement, au sens des dispositions précitées de l'article L. 211-10 du code de la sécurité intérieure, alors qu'il ressortait des pièces du dossier qui lui était soumis que les dégradations, bien que préméditées, avaient été commises à l'occasion de manifestations sur la voie publique, organisées à l'appel de plusieurs organisations syndicales pour protester contre les difficultés économiques du monde agricole et contre diverses mesures gouvernementales et auxquelles avaient participé plusieurs centaines d'agriculteurs, et non par un groupe qui se serait constitué et organisé à seule fin de commettre des délits, la cour administrative d'appel a inexactement qualifié les faits qui lui étaient soumis ; que, par suite, son arrêt doit être annulé ;

4. Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement à la commune de Saint-Lô de la somme de 3 000 euros au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ;



D E C I D E :
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Article 1er : L'arrêt du 6 octobre 2017 de la cour administrative d'appel de Nantes est annulé.

Article 2 : L'affaire est renvoyée à la cour administrative d'appel de Nantes.
Article 3 : L'Etat versera à la commune de Saint-Lô la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : La présente décision sera notifiée à la commune de Saint-Lô et au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur.


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