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Ariane Web: Conseil d'État 417312, lecture du 3 octobre 2018, ECLI:FR:CECHR:2018:417312.20181003

Décision n° 417312
3 octobre 2018
Conseil d'État

N° 417312
ECLI:FR:CECHR:2018:417312.20181003
Mentionné aux tables du recueil Lebon
5ème et 6ème chambres réunies
Mme Louise Cadin, rapporteur
Mme Cécile Barrois de Sarigny, rapporteur public
SCP LYON-CAEN, THIRIEZ, avocats


Lecture du mercredi 3 octobre 2018
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

Par une requête et un mémoire complémentaire, enregistrés les 25 et 31 janvier 2018 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la fédération CGT Santé - Action sociale demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir le décret n° 2017-1560 du 14 novembre 2017 relatif aux conditions et modalités de mise en oeuvre du vote électronique par internet pour l'élection des représentants du personnel au sein des instances de représentation du personnel de la fonction publique hospitalière ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.



Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- le code de la santé publique ;
- la loi n° 86-33 du 9 janvier 1986 ;
- le décret n° 91-790 du 14 août 1991 ;
- le décret n° 2003-655 du 18 juillet 2003 ;
- le décret n° 2012-739 du 9 mai 2012 ;
- l'arrêté du 12 janvier 2018 fixant le seuil d'effectif prévu au III de l'article 4 du décret n° 2017-1560 du 14 novembre 2017 relatif aux conditions et modalités de mise en oeuvre du vote électronique par internet pour l'élection des représentants du personnel au sein des instances de représentation du personnel de la fonction publique hospitalière ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Louise Cadin, auditeur,

- les conclusions de Mme Cécile Barrois de Sarigny, rapporteur public.

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Lyon-Caen, Thiriez, avocat de la Fédération CGT Santé - Action sociale.



1. Considérant qu'en vertu de l'article 22 de la loi du 9 janvier 1986 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique hospitalière, un décret en Conseil d'Etat " détermine les modalités de l'élection des représentants du personnel " ; que la fédération requérante demande l'annulation pour excès de pouvoir du décret du 15 novembre 2017 pris sur le fondement de ces dispositions, qui autorise le recours au vote électronique par internet pour l'élection des représentants du personnel au sein des instances représentatives de la fonction publique hospitalière et en fixe les conditions et modalités de mise en oeuvre ;

Sur la légalité externe :

2. Considérant qu'aux termes de l'article 12 de la loi du 9 janvier 1986 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique hospitalière : " Le Conseil supérieur de la fonction publique hospitalière est saisi pour avis des projets de loi, des projets de décret de portée générale relatifs à la situation des personnels des établissements mentionnés à l'article 2 et des projets de statuts particuliers des corps et emplois " ; qu'aux termes de l'article 6 du décret du 9 mai 2012 relatif au Conseil supérieur de la fonction publique hospitalière et à l'Observatoire national des emplois et des métiers de la fonction publique hospitalière : " Le conseil supérieur est saisi pour avis : / (...) 4° Des projets de décret relatifs à la situation des agents publics de la fonction publique hospitalière" ;

3. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que, à la suite de la consultation du Conseil supérieur de la fonction publique hospitalière lors de sa séance du 20 septembre 2017, l'auteur du décret attaqué a modifié le projet qui avait été soumis à cette instance, en prévoyant à l'article 4 que " pour les élections aux commissions administratives paritaires départementales, le vote électronique par internet peut être écarté dans un établissement si cette modalité d'expression du suffrage est incompatible avec les contraintes liées à sa taille. (...) ", alors que le projet soumis au conseil supérieur ne prévoyait pas la possibilité d'une telle dérogation ; que cette modification, qui répondait d'ailleurs à des observations émises lors de cette séance, ne soulevait pas de question nouvelle imposant que le conseil supérieur fût à nouveau consulté ; que, dès lors, la requérante n'est pas fondée à soutenir que le décret aurait été pris au terme d'une procédure irrégulière, faute pour l'administration d'avoir procédé à une nouvelle consultation du Conseil supérieur de la fonction publique hospitalière ;

Sur la légalité interne :

En ce qui concerne le moyen tiré de ce que les textes régissant les différentes catégories d'institutions représentatives du personnel ne prévoient pas le recours au vote électronique par internet :

4. Considérant qu'il était loisible au pouvoir réglementaire de prévoir, par le décret attaqué, tant la possibilité de recourir au vote électronique par internet aux élections des institutions de représentation du personnel de la fonction publique hospitalière que les conditions et modalités de ce recours ; que, en particulier, est sans incidence sur la légalité du décret attaqué la circonstance que les dispositions des décrets du 18 juillet 2003 relatif aux commissions administratives paritaires locales et départementales de la fonction publique hospitalière, du 1er août 2003 relatif aux commissions administratives paritaires de l'Assistance publique-hôpitaux de Paris et de l'article R. 6144-59 du code de la santé publique relatif aux comités techniques d'établissement ne prévoient pas la possibilité de recourir au vote électronique par internet pour l'élection des représentants du personnel au sein des instances qu'elles régissent ;

En ce qui concerne le respect des principes généraux du droit électoral :

5. Considérant que si le vote électronique par internet est susceptible de constituer, pour les élections des représentants du personnel de la fonction publique, une modalité de vote au même titre que le vote à l'urne et le vote par correspondance, il implique, en raison de ses spécificités et des conditions de son utilisation, que des garanties adaptées soient prévues pour que le respect des principes généraux du droit électoral, de complète information de l'électeur, de libre-choix de celui-ci, d'égalité entre les candidats, de secret du vote, de sincérité du scrutin et de contrôle du juge, puisse être assuré à un niveau équivalent à celui des autres modalités de vote ; que le recours au vote électronique par internet à l'exclusion de toute autre modalité est possible, dès lors que des précautions appropriées sont prises pour que ne soit écartée du scrutin aucune personne ne disposant pas à son domicile du matériel nécessaire ou résidant dans une zone non desservie par internet ou encore ne pouvant se servir de ce mode de communication sans l'assistance d'un tiers ;

6. Considérant que le décret attaqué prévoit que l'autorité organisatrice du scrutin peut, par décision prise après avis du comité technique d'établissement, décider de recourir au vote électronique par internet pour l'élection des représentants du personnel ; qu'il soumet la conception et la mise en place du système de vote électronique ainsi que son utilisation durant et après le scrutin à une expertise indépendante ; qu'il institue des bureaux de vote électronique et des bureaux de vote électronique centralisateurs comprenant des délégués des listes désignés par les organisations syndicales candidates, chargés du contrôle de la régularité du scrutin ; qu'il prévoit que ce vote peut s'effectuer à partir de tout poste informatique connecté à internet et que l'électeur a également la possibilité d'exprimer son suffrage par internet à partir d'un poste réservé à cet usage dans un local aménagé à cet effet accessible pendant les heures de service et dans des conditions respectant le secret du vote et assurant à l'électeur se trouvant dans l'incapacité de recourir au vote électronique la possibilité de se faire assister par un électeur de son choix ; qu'il dispose que chaque électeur reçoit, par courrier, au moins quinze jours avant le premier jour du scrutin une notice d'information détaillée sur le déroulement des opérations électorales et un moyen d'authentification lui permettant de participer au scrutin, transmis selon des modalités garantissant sa confidentialité et que l'administration met en place les moyens nécessaires, notamment un centre d'appel, afin d'aider les électeurs dans l'accomplissement des opérations électorales pendant toute la période de vote ; qu'il fixe ainsi des modalités de déroulement des opérations de vote électronique par internet comportant les garanties propres à permettre l'accès de tous les électeurs au scrutin et garantissant le secret du vote et la sincérité du scrutin ;

7. Considérant, par ailleurs, que, si la fédération requérante se prévaut des réserves émises par la Commission nationale de l'informatique et des libertés sur le recours exclusif au vote électronique par internet dans sa délibération n° 2014-365 du 18 septembre 2014 relative à l'élection des membres du conseil d'administration d'une caisse de retraite, elle ne saurait utilement soutenir que le pouvoir réglementaire a méconnu cette délibération, qui ne s'imposait pas à lui ;

En ce qui concerne la mise en oeuvre du vote électronique par internet pour l'élection des représentants du personnel aux commissions paritaires départementales :

8. Considérant qu'aux termes de l'article 18 de la loi du 9 janvier 1986 précitée : " Des commissions administratives paritaires départementales sont instituées par le directeur général de l'agence régionale de santé au nom de l'Etat. Il en confie la gestion à l'autorité investie du pouvoir de nomination d'un établissement public de santé dont le siège se trouve dans le département. Ces commissions sont compétentes à l'égard des fonctionnaires pour lesquels les commissions administratives paritaires locales ne peuvent être créées " ; qu'aux termes de l'article 26 du décret du 18 juillet 2003 relatif aux commissions administratives paritaires locales et départementales de la fonction publique hospitalière : " Le vote a lieu dans chaque établissement " ; qu'aux termes de l'article 36 du même décret : " Pour les élections aux commissions administratives paritaires départementales, il est institué un bureau de recensement des votes, présidé par le directeur de l'établissement qui en assure la gestion ou son représentant et comprenant les délégués des listes en présence. (...) Il procède à la dévolution des sièges des commissions administratives paritaires départementales. Le président proclame les résultats des élections aux commissions administratives paritaires départementales " ;

9. Considérant qu'aux termes de l'article 4 du décret attaqué : " I. L'autorité organisatrice du scrutin peut, par décision prise après avis du comité technique d'établissement, décider de recourir au vote électronique par internet pour l'élection des représentants du personnel. (...) III. Lorsque plusieurs modalités d'expression des suffrages sont offertes aux électeurs, elles sont identiques pour tous les électeurs appelés à participer au même scrutin. Toutefois, pour les élections aux commissions administratives paritaires départementales, le vote électronique par internet peut être écarté dans un établissement si cette modalité d'expression du suffrage est incompatible avec les contraintes liées à sa taille. Un arrêté du ministre chargé de la santé fixe l'effectif en-deçà duquel cette décision peut être prise par le directeur de l'établissement " ; que ce seuil a été fixé à 50 électeurs par l'article 1er de l'arrêté du 12 janvier 2018 susvisé ;

10. Considérant qu'il résulte de la combinaison de ces dispositions que, pour l'application de l'article 4 du décret attaqué, le directeur de l'établissement qui assure la gestion d'une commission administrative paritaire départementale doit être regardé comme l'autorité organisatrice de l'élection des représentants du personnel au sein de cette instance ; que, s'il peut décider de recourir au vote électronique par internet pour cette élection, il doit préalablement recueillir l'avis des comités techniques de chacun des établissements concernés par le scrutin ; que cette procédure ne porte en tout état de cause à l'autonomie des établissements de santé concernés par le scrutin aucune atteinte qui ne soit inhérente à l'organisation d'un vote destiné à assurer la représentation de leurs personnels au sein d'une instance départementale ;

En ce qui concerne l'envoi aux électeurs des moyens d'authentification des suffrages :

11. Considérant qu'aux termes du premier alinéa de l'article 13 du décret attaqué : " Chaque électeur reçoit, par courrier, au moins quinze jours avant le premier jour du scrutin une notice d'information détaillée sur le déroulement des opérations électorales et un moyen d'authentification lui permettant de participer au scrutin. Ce moyen d'authentification lui est transmis selon des modalités garantissant sa confidentialité. L'identifiant et le mot de passe sont transmis au moyen de deux modes de communication distincts. Lorsque l'électeur n'est pas le seul en mesure de connaître son mot de passe, ils sont complétés par un protocole d'authentification reposant sur une question dont la réponse n'est en possession que du votant et du système de vote électronique par internet " ;

12. Considérant qu'il résulte de ces dispositions que la transmission aux électeurs des identifiants et mots de passe leur permettant de participer au vote, dont aucune disposition ni aucun principe n'imposait de prévoir qu'elle fasse l'objet d'un envoi par courrier recommandé avec accusé de réception, fait l'objet de mesures de sécurité spécifiques ; que, contrairement à ce que soutient la fédération requérante, il ne ressort pas des pièces du dossier qu'en énonçant ces dispositions l'auteur du décret ait fait une inexacte appréciation des mesures qu'imposait la préservation de la sécurité des opérations de vote et du secret du scrutin ;

En ce qui concerne l'assistance aux électeurs se trouvant dans l'incapacité de recourir au vote électronique par internet :

13. Considérant que l'article 17 du décret attaqué prévoit la possibilité pour tout électeur " qui se trouve dans l'incapacité de recourir au vote électronique à distance " de " se faire assister par un électeur de son choix pour voter " sur le poste réservé à cet usage, en précisant que " l'administration s'assure que les conditions nécessaires à l'anonymat, la confidentialité et le secret du vote sont respectées " ; que ces dispositions, qui ont pour objet d'assurer, par la définition de modalités propres au vote électronique par internet, la participation au scrutin de l'ensemble des électeurs tout en assurant le respect du secret du vote, seront mises en oeuvre sous le contrôle du juge de l'élection ; qu'elles déterminent de façon suffisamment claire leur champ d'application et leur portée, conformément à l'objectif d'accessibilité et d'intelligibilité de la norme de droit ; que la fédération requérante ne saurait utilement invoquer à leur encontre la délibération de la Commission nationale de l'informatique et des libertés n° 2010-371 du 21 octobre 2010 portant adoption d'une recommandation relative à la sécurité des systèmes de vote électronique, qui ne s'imposait pas au pouvoir réglementaire ;

Sur les conclusions présentées sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

14. Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de l'Etat qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante ;



D E C I D E :
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Article 1er : La requête de la fédération CGT Santé - Action sociale est rejetée.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à la fédération CGT Santé - Action sociale, au Premier ministre et à la ministre des solidarités et de la santé.


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