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Ariane Web: Conseil d'État 410590, lecture du 5 octobre 2018, ECLI:FR:Code Inconnu:2018:410590.20181005

Décision n° 410590
5 octobre 2018
Conseil d'État

N° 410590
ECLI:FR:CECHR:2018:410590.20181005
Publié au recueil Lebon
1ère et 4ème chambres réunies
Mme Sandrine Vérité, rapporteur
M. Rémi Decout-Paolini, rapporteur public
SCP PIWNICA, MOLINIE, avocats


Lecture du vendredi 5 octobre 2018
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

La société Edilys a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler pour excès de pouvoir la décision du 2 janvier 2014 par laquelle le préfet de la région d'Ile-de-France, préfet de Paris, a refusé d'autoriser des travaux sur un immeuble situé 9, place Vendôme à Paris. Par un jugement n° 1402763 du 9 avril 2015, le tribunal administratif de Paris a rejeté cette demande.

Par un arrêt n° 15PA02235 du 16 mars 2017, la cour administrative d'appel de Paris a rejeté l'appel formé contre le jugement du tribunal administratif de Paris par la société Edilys.

Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 16 mai et 16 août 2017 et le 15 mai 2018 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Edilys demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cet arrêt ;

2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à son appel ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.


Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- le code du patrimoine ;
- le code de l'urbanisme ;
- le code de justice administrative ;



Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Sandrine Vérité, maître des requêtes en service extraordinaire,

- les conclusions de M. Rémi Decout-Paolini, rapporteur public.

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Piwnica, Molinié, avocat de la Société Edilys.



Considérant ce qui suit :

1. Aux termes du premier alinéa de l'article L. 621-1 du code du patrimoine : " Les immeubles dont la conservation présente, au point de vue de l'histoire ou de l'art, un intérêt public sont classés comme monuments historiques en totalité ou en partie par les soins de l'autorité administrative ". Aux termes du premier alinéa de l'article L. 621-9 de ce code : " L'immeuble classé au titre des monuments historiques ne peut être détruit ou déplacé, même en partie, ni être l'objet d'un travail de restauration, de réparation ou de modification quelconque, sans autorisation de l'autorité administrative ". L'article R. 621-18 du même code précise que le contrôle scientifique et technique assuré par les services de l'Etat chargés des monuments historiques est notamment destiné à " vérifier et garantir que les interventions sur les immeubles classés, prévues à l'article L. 621-9 sont compatibles avec le statut de monument historique reconnu à ces immeubles en application de cette section, ne portent pas atteinte à l'intérêt d'art ou d'histoire ayant justifié leur classement au titre des monuments historiques et ne compromettent pas leur bonne conservation en vue de leur transmission aux générations futures ".

2. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, par décision du 2 janvier 2014, le préfet de la région d'Ile-de-France, préfet de Paris a refusé de délivrer à la société Edilys, qui exploite un commerce d'horlogerie situé 9, place Vendôme à Paris, l'autorisation qu'elle avait sollicitée, au titre du premier alinéa de l'article L. 621-9 du code du patrimoine, en vue d'effectuer des travaux d'abaissement des allèges de l'immeuble qu'elle occupe, anciennement dénommé Hôtel de Villemaré, classé monument historique. Par un arrêt du 16 mars 2017, contre lequel la société Edilys se pourvoit en cassation, la cour administrative d'appel de Paris a rejeté l'appel qu'elle avait formé contre le jugement du tribunal administratif de Paris du 9 avril 2015 rejetant sa demande tendant à l'annulation pour excès de pouvoir de cette décision.

3. En premier lieu, aux termes de l'article R. 621-19 du code du patrimoine : " Les services de l'Etat chargés des monuments historiques définissent, en fonction des caractéristiques des immeubles concernés, les conditions scientifiques et techniques selon lesquelles les interventions sur ces monuments historiques sont étudiées, conduites et font l'objet de la documentation appropriée. Ils veillent à leur mise en oeuvre ". Aux termes du premier alinéa de l'article R. 621-21 du même code : " Lorsque le propriétaire, l'affectataire, son mandataire ou toute personne justifiant d'un titre l'habilitant à faire réaliser des travaux fait part au préfet de région de son intention de réaliser un projet de travaux sur un immeuble classé, le préfet de région met à sa disposition l'état des connaissances dont il dispose sur l'immeuble en cause et lui indique les contraintes réglementaires, architecturales et techniques que le projet devra respecter ".

4. En l'espèce, il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que le document intitulé " La Place Vendôme - Cahier des prescriptions architecturales " ainsi que le cahier des charges appliqué à la restauration, à la conservation et à l'entretien des immeubles participent de " l'état de connaissances " concernant l'immeuble classé, que l'administration met à la disposition des personnes ayant l'intention de réaliser des travaux en vertu du premier alinéa de l'article R. 621-21 du code du patrimoine, et participent des contraintes architecturales et techniques que l'administration peut opposer aux demandes qui lui sont présentées. Dès lors, la cour n'a pas commis d'erreur de droit en jugeant que ces documents, tout en constituant des préconisations dont il appartenait à l'administration de tenir compte, étaient dépourvus de caractère réglementaire.

5. En deuxième lieu, lorsqu'elle est saisie d'une demande d'autorisation au titre du premier alinéa de l'article L. 621-9 du code du patrimoine, il revient à l'autorité administrative d'apprécier le projet qui lui est soumis, non au regard de l'état de l'immeuble à la date de son classement, mais au regard de l'intérêt public, au point de vue de l'histoire ou de l'art, qui justifie cette mesure de conservation. Dès lors, la cour n'a pas commis d'erreur de droit en retenant que la légalité du projet n'avait pas à être appréciée au regard de la configuration de la place Vendôme telle qu'elle existait à la date de son classement, soit 1862. Elle n'a pas inexactement qualifié les faits de l'espèce en jugeant que le classement avait pour objet de préserver l'ordonnancement de la place telle qu'elle avait été conçue par Jules Hardouin-Mansart, à l'homogénéité et à l'unité duquel les transformations effectuées au cours du XIXème siècle avaient porté atteinte. Enfin, elle a porté sur les pièces du dossier qui lui était soumis une appréciation souveraine exempte de dénaturation en estimant que cet ordonnancement pouvait s'apprécier au regard des gravures réalisées par Jean-François Blondel en 1752 qui donnaient, en l'état des connaissances, la description la plus précise, complète et certaine de la place Vendôme à la date de son achèvement malgré les transformations intervenues au début du XVIIIème siècle.

6. En dernier lieu, en jugeant que le préfet de la région d'Ile-de-France, préfet de Paris, avait pu estimer que le projet de dépose des allèges portait atteinte à la présentation de l'immeuble et à l'ordonnancement de la place et n'était, par conséquent, pas compatible avec le statut de monument historique reconnu à cet immeuble, quand bien même ce projet visait à favoriser le développement des activités commerciales dont la présence constitue l'une des caractéristiques de cette place, la cour a porté sur les faits de l'espèce une appréciation souveraine qui, en l'absence de dénaturation, ne peut être discutée devant le juge de cassation.

7. Il résulte de ce qui précède que la société Edilys n'est pas fondée à demander l'annulation de l'arrêt qu'elle attaque.

8. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise, à ce titre, à la charge de l'État, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante.


D E C I D E :
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Article 1er : Le pourvoi de la société Edilys est rejeté.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à la société Edilys et à la ministre de la culture.
Copie en sera adressée au ministre de la cohésion des territoires.


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