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Ariane Web: Conseil d'État 404091, lecture du 12 octobre 2018, ECLI:FR:CECHR:2018:404091.20181012

Décision n° 404091
12 octobre 2018
Conseil d'État

N° 404091
ECLI:FR:CECHR:2018:404091.20181012
Mentionné aux tables du recueil Lebon
9ème - 10ème chambres réunies
M. Aurélien Caron, rapporteur
Mme Marie-Astrid Nicolazo de Barmon, rapporteur public
SCP COUTARD, MUNIER-APAIRE, avocats


Lecture du vendredi 12 octobre 2018
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

La société par actions simplifiée de Conception d'Architecture et d'Urbanisme (SCAU) a demandé au tribunal administratif de Paris de prononcer la réduction des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés et de contribution sociale assise sur l'impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie au titre des exercices 2008 à 2010.

Par un jugement n° 1318096 du 14 novembre 2014, le tribunal administratif de Paris a réduit les bases d'imposition à l'impôt sur les sociétés et à la contribution sociale assise sur l'impôt sur les sociétés fixées à la société SCAU au titre des exercices 2008 à 2010 respectivement de 1 655 877 euros, de 37 898 euros et de 85 017 euros et lui a accordé la décharge de la différence entre le montant des cotisations d'impôt sur les sociétés et de contribution sociale assise sur l'impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie au titre des exercices 2008 à 2010, et celles résultant des réductions précitées.

Par un arrêt n° 15PA01029 du 29 juillet 2016, la cour administrative d'appel de Paris a, sur appel du ministre de l'économie et des finances, confirmé ce jugement.

Par un pourvoi et un mémoire en réplique, enregistrés le 5 octobre 2016 et le 20 juillet 2018 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le ministre de l'économie et des finances demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cet arrêt ;

2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à son appel.


Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Aurélien Caron, auditeur,

- les conclusions de Mme Marie-Astrid Nicolazo de Barmon, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Coutard, Munier-Apaire, avocat de la société de Conception d'Architecture et d'urbanisme.



Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond qu'à la suite d'une vérification de comptabilité au titre de la période du 1er janvier 2008 au 31 décembre 2010, des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés et de contribution sociale assise sur l'impôt sur les sociétés ont été mises à la charge de la société SCAU, agence d'architecture dont le siège est situé à Paris, à raison de la réintégration dans ses résultats de provisions dénommées " provisions pour services après travaux " qu'elle avait déduites de son résultat imposable lors des exercices clos de 2008 à 2010. Ces provisions étaient constituées, à la clôture de chaque exercice, pour couvrir les charges, essentiellement composées de charges de personnel et de structure engagées pour le suivi des contentieux, que la société SCAU estimait être appelée à acquitter en cas de mise en jeu de sa responsabilité décennale au titre des ouvrages réceptionnés par ses clients au cours des dix exercices précédents. A la suite du rejet de sa réclamation contentieuse dirigée contre les impositions supplémentaires mises à sa charge, la société SCAU a saisi de ce litige le tribunal administratif de Paris qui par jugement du 14 novembre 2014, lui a accordé la décharge sollicitée. Le ministre de l'économie et des finances se pourvoit en cassation contre l'arrêt du 29 juillet 2016 par lequel la cour administrative d'appel de Paris a rejeté son appel dirigé contre ce jugement.

2. Aux termes de l'article 39 du code général des impôts , applicable pour la détermination de l'impôt sur les sociétés en vertu de l'article 209 du même code : " 1. Le bénéfice net est établi sous déduction de toutes charges, celles-ci comprenant, sous réserve des dispositions du 5, notamment : / (...) 5° Les provisions constituées en vue de faire face à des pertes ou charges nettement précisées et que des événements en cours rendent probables, à condition qu'elles aient été effectivement constatées dans les écritures de l'exercice (...) ". Il résulte de ces dispositions qu'une entreprise peut valablement porter en provisions et déduire des bénéfices imposables d'un exercice des sommes correspondant à des pertes ou charges qui ne seront supportées qu'ultérieurement par elle, à la condition que ces pertes ou charges soient nettement précisées quant à leur nature et susceptibles d'être évaluées avec une approximation suffisante, qu'elles apparaissent comme probables eu égard aux circonstances constatées à la date de clôture de l'exercice et qu'elles se rattachent aux opérations de toute nature déjà effectuées, à cette date, par l'entreprise. Lorsque la nature des charges ou leurs caractéristiques interdisent de procéder autrement, elles peuvent faire l'objet d'une évaluation selon une méthode statistique à la condition que cette évaluation soit faite de manière précise et suffisamment détaillée et qu'elle prenne en compte notamment la probabilité de réalisation du risque liée à l'éloignement dans le temps.

3. La responsabilité décennale d'un constructeur peut être mise en jeu, au titre d'un chantier, à compter de la réception, partielle ou totale, de l'ouvrage. Dès lors, les charges futures induites statistiquement par les contentieux liés à la garantie décennale peuvent faire l'objet de provisions déductibles à compter de l'exercice de la réception des travaux, cette dernière constituant l'événement de nature à la rendre probable au sens des dispositions citées au point 2 ci-dessus. Cependant, il résulte des pièces du dossier soumis aux juges du fond que les charges de personnel et de structure faisant l'objet des provisions en litige ne pouvaient être regardées comme probables à la date de constitution de ces provisions, dès lors que, correspondant à l'exécution de contrats de travail déjà signés et à des frais fixes d'agence, leur engagement était indépendant de la survenance de litiges liés à la garantie décennale au cours des exercices suivants. Par suite, en jugeant que les provisions dites " pour services après travaux " étaient déductibles des bases d'imposition à l'impôt sur les sociétés et à la contribution assise sur l'impôt sur les sociétés fixées à la société SCAU au titre des exercices 2008, 2009 et 2010, la cour administrative d'appel de Paris a commis une erreur de droit.

4. Il résulte de ce qui précède que le ministre est fondé à demander l'annulation de l'arrêt qu'il attaque, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens de son pourvoi.

5. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise, à ce titre, à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance.



D E C I D E :
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Article 1er : L'arrêt du 29 juillet 2016 de la cour administrative d'appel de Paris est annulé.
Article 2 : L'affaire est renvoyée à la cour administrative d'appel de Paris.
Article 3 : Les conclusions de la société de Conception d'Architecture et d'Urbanisme présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 4 : La présente décision sera notifiée au ministre de l'économie et des finances, au ministre de l'action et des comptes publics et à la société de Conception d'Architecture et d'Urbanisme.


Voir aussi