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Ariane Web: Conseil d'État 407304, lecture du 18 octobre 2018, ECLI:FR:CECHR:2018:407304.20181018

Décision n° 407304
18 octobre 2018
Conseil d'État

N° 407304
ECLI:FR:CECHR:2018:407304.20181018
Inédit au recueil Lebon
10ème - 9ème chambres réunies
Mme Christelle Thomas, rapporteur
M. Edouard Crépey, rapporteur public
SCP NICOLAY, DE LANOUVELLE, HANNOTIN ; SCP LYON-CAEN, THIRIEZ, avocats


Lecture du jeudi 18 octobre 2018
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

La société Altis a demandé au tribunal administratif de Toulouse de condamner l'Etat à lui verser 475 787 euros en réparation des préjudices subis du fait de la prise en charge du coût de fouilles archéologiques et du retard causé à son opération de construction d'un centre commercial en raison de ces fouilles. Par un jugement n° 1001260 du 30 septembre 2014, le tribunal administratif de Toulouse a condamné l'Etat à lui verser la somme de 329 799 euros.

Par un arrêt n° 14BX3368 du 28 novembre 2016, la cour administrative d'appel de Bordeaux a rejeté l'appel formé par le ministre de la culture et de la communication contre ce jugement et a partiellement fait droit à l'appel incident de la société Altis, condamnant l'Etat à lui verser la somme de 424 844, 25 euros.

Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 30 janvier et 2 mai 2017 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la ministre de la culture et de la communication demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cet arrêt ;

2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à son appel ;

3°) de mettre à la charge de la société Altis la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.


Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- le code du patrimoine ;
- le décret n° 2004-490 du 3 juin 2004 ;
- le code de justice administrative ;



Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Christelle Thomas, maître des requêtes en service extraordinaire,

- les conclusions de M. Edouard Crépey, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Lyon-Caen, Thiriez, avocat la ministre de la culture et de la communication et à la SCP Nicolaÿ, de Lanouvelle, Hannotin, avocat de la société ITM Entreprise ;

Une note en délibéré, enregistrée le 4 octobre 2018, a été présentée par la société ITM Entreprise.



Considérant ce qui suit :

Sur le cadre juridique :

1. En premier lieu, l'article L 521-1 du code du patrimoine dispose : " L'archéologie préventive, qui relève de missions de service public, est partie intégrante de l'archéologie. Elle est régie par les principes applicables à toute recherche scientifique. Elle a pour objet d'assurer, à terre et sous les eaux, dans les délais appropriés, la détection, la conservation ou la sauvegarde par l'étude scientifique des éléments du patrimoine archéologique affectés ou susceptibles d'être affectés par les travaux publics ou privés concourant à l'aménagement. Elle a également pour objet l'interprétation et la diffusion des résultats obtenus ". Les règles régissant l'archéologie préventive ainsi définie par les dispositions précitées sont posées par l'ensemble des dispositions du titre II du livre V du code du patrimoine.

2. En second lieu, le titre III du livre V du code du patrimoine régit les fouilles archéologiques programmées et les découvertes fortuites relevant de l'archéologie dite de sauvegarde. Ainsi, l'article L. 531-9 du code du patrimoine dispose : " l'Etat est autorisé à procéder d'office à l'exécution de fouilles ou de sondages pouvant intéresser la préhistoire, l'histoire, l'art ou l'archéologie sur les terrains ne lui appartenant pas, (...). / A défaut d'accord amiable avec le propriétaire, l'exécution des fouilles ou sondages est déclarée d'utilité publique par décision de l'autorité administrative, qui autorise l'occupation temporaire des terrains. / Cette occupation est ordonnée par une décision de l'autorité administrative qui détermine l'étendue des terrains à occuper ainsi que la date et la durée probable de l'occupation. (...) ". Le second alinéa de l'article L. 531-10 dispose quant à lui que " l'occupation temporaire pour exécution de fouilles donne lieu, pour le préjudice résultant de la privation momentanée de jouissance des terrains et, éventuellement, si les lieux ne peuvent être rétablis en leur état antérieur, pour le dommage causé à la surface du sol, à une indemnité dont le montant est fixé, à défaut d'accord amiable, conformément aux dispositions de la loi du 29 décembre 1892 relative aux dommages causés à la propriété privée par l'exécution des travaux publics ".

3. Il résulte de l'ensemble de ces dispositions que le code du patrimoine distingue le régime juridique de l'archéologie préventive régi par son titre II de son livre V du régime juridique de l'archéologie dite de sauvegarde régi par le titre III de ce livre V.

Sur le litige :

4. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, alerté de la présence potentielle de vestiges archéologiques sur un site faisant l'objet d'un projet d'aménagement, le préfet de la région Midi-Pyrénées a sollicité, par un courrier adressé le 21 mars 2008 à la direction départementale de l'équipement du Tarn-et-Garonne et par voie de copie à la commune de Moissac, la transmission du dossier d'aménagement envisagé sur les parcelles concernées et situées le long de la route départementale 927 au lieu-dit Vidalet sur le fondement de l'article 6 du décret du 3 juin 2004 relatif aux procédures administratives et financières en matière d'archéologie préventive aux termes duquel : " Lorsqu'il dispose d'informations lui indiquant qu'un projet qui ne lui est pas transmis en application de l'arrêté mentionné à l'article 5 est néanmoins susceptible d'affecter des éléments du patrimoine archéologique, le préfet de région peut demander au maire de lui communiquer au cours de l'instruction, selon le cas, le dossier de demande de permis de construire, de permis d'aménager, de permis de démolir ou le dossier de réalisation de zone d'aménagement concerté qui correspond à ce projet ". La commune de Moissac a délivré à la société Altis, le 24 avril 2008, un permis de construire pour l'édification d'un centre commercial sur les quatre parcelles situées le long de la route départementale 927, au lieu-dit " Pignols bas ". Les travaux engagés pour la réalisation de ce permis de construire ont été interrompus, le 25 juillet 2008, en raison de la découverte de vestiges archéologiques antiques. Le service régional d'archéologie a confirmé l'intérêt de ces vestiges, s'est opposé à leur destruction puis a indiqué à la société Altis, par un courrier du 13 août 2008, les possibilités qui lui étaient ouvertes de surélévation du projet ou de réalisation de fouilles archéologiques. La société a adressé, le 10 septembre 2008, à la commune de Moissac une seconde demande de permis de construire pour l'aménagement d'une station-service sur les mêmes parcelles que celles devant accueillir le centre commercial. Alors que l'instruction de cette demande était en cours, le préfet de la région Midi-Pyrénées a, par un arrêté du 22 septembre 2008, prescrit la réalisation d'un diagnostic archéologique sur les parcelles concernées par les deux projets, en application du décret précité du 3 juin 2004, puis autorisé, par un arrêté du 2 octobre 2008, la réalisation des opérations de fouilles.

5. En tranchant le litige indemnitaire dont elle était saisie en faisant application des seules dispositions de l'article L. 531-10 du code du patrimoine précité relatives à l'archéologie dite de sauvetage après avoir relevé, d'une part, que les arrêtés litigieux avaient été pris après la découverte fortuite de vestiges sur l'emprise du projet d'aménagement de la société Altis et, d'autre part, que l'Etat avait entendu faire application du régime d'exécution d'office des fouilles alors qu'il ressortait des pièces du dossier qui lui était soumis que, dès le 21 mars 2008, le préfet de région s'était initialement placé dans le cadre du régime de l'archéologie préventive régi par le titre II du livre V du même code, la cour administrative d'appel de Bordeaux a entaché son arrêt d'une méconnaissance du champ d'application de la loi.

6. Il résulte de ce qui précède que la ministre de la culture est fondée, sans qu'il soit besoin d'examiner les moyens du pourvoi, à demander l'annulation de l'arrêt qu'elle attaque.

7. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions présentées par la ministre de la culture et de la communication au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Les dispositions de cet article font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de l'Etat qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante.



D E C I D E :
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Article 1er : L'arrêt de la cour administrative d'appel de Bordeaux du 28 novembre 2016 est annulé.
Article 2 : L'affaire est renvoyée à la cour administrative d'appel de Bordeaux.
Article 3 : Les conclusions de la ministre de la culture et de la communication et de la société Altis présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à la ministre de la culture et à la société ITM Entreprises.