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Ariane Web: Conseil d'État 414969, lecture du 15 octobre 2018, ECLI:FR:CECHR:2018:414969.20181015

Décision n° 414969
15 octobre 2018
Conseil d'État

N° 414969
ECLI:FR:CECHR:2018:414969.20181015
Inédit au recueil Lebon
5ème et 6ème chambres réunies
M. Florian Roussel, rapporteur
M. Nicolas Polge, rapporteur public
SCP SPINOSI, SUREAU, avocats


Lecture du lundi 15 octobre 2018
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

Par une requête et deux mémoires complémentaires, enregistrés le 11 octobre 2017 et les 12 juin et 13 septembre 2018 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la Fondation AbbéW..., la Fédération Droit au logement, la Fédération des acteurs de la solidarité, la Confédération nationale du logement, la Coordination nationale Pas sans nous, le syndicat SNUP Habitat, l'Union sociale pour l'habitat, la Confédération de la consommation, du logement et du cadre de vie, l'Union nationale des étudiants de France, la Confédération générale du logement, M. A...AR..., MmeAP..., Mme P...AL..., Mme AG...AC..., Mme U...AF..., M. X...AM..., M. W...D..., Mme AE...AI..., MmeAT..., Mme AJ...G..., M. K... N..., Mme Z...H...Mme C...Q..., M. AC...AK..., Mme AH...AD..., M. B...S..., Mme E...T..., Mme I...J..., Mme R...AO..., Mme O...V..., Mme M...F..., M. L...Y..., Mme AB...AA...et Mme AQ... demandent au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler le décret n° 2017-1413 du 28 septembre 2017 relatif aux aides personnelles au logement et au seuil de versement des allocations de logement et l'arrêté du 28 septembre 2017 relatif aux aides personnelles au logement et au seuil de versement de l'aide personnalisée au logement ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.



Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la Constitution, notamment son Préambule ;

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code de la construction et de l'habitation ;

- le code de la sécurité sociale ;

- la loi n° 89-462 du 6 juillet 1989 ;

- le décret n° 2017-739 du 4 mai 2017 ;

- l'arrêté du 3 juillet 1978 relatif au calcul de l'aide personnalisée au logement ;

- l'arrêté du 28 septembre 2017 relatif à la revalorisation des paramètres de calcul des aides personnelles au logement ;

- le code de justice administrative ;


Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Florian Roussel, maître des requêtes,

- les conclusions de M. Nicolas Polge, rapporteur public.

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Spinosi, Sureau, avocat de la Fondation AbbéW..., de la Fédération Droit au logement, de la Fédération des acteurs de la solidarité, de la Confédération nationale du logement, de la Coordination nationale Pas sans nous, du syndicat SNUP Habitat, de l'Union Sociale pour l'habitat, de la Confédération de la consommation, du logement et du cadre de vie, de l'Union nationale des étudiants de France, de la Confédération générale du logement, de M. A...AR..., de MmeAP..., de Mme P...AL..., de Mme AG...AC..., de Mme U...AF..., de M. X...AM..., de M. W...D..., de Mme AE...AI..., de MmeAS..., de Mme AJ...G..., de Mme K...N..., de Mme Z...H..., de Mme C...Q..., de M. AC...AK..., de Mme AH...AD..., de M. B...S..., de Mme E...T..., de Mme I...J..., de MmeAO..., de Mme O...V..., de Mme M...F..., de M. L...Y..., de M. AB...AA...et de M.AQ....



1. Considérant, d'une part, que l'article L. 351-1 du code de la construction et de l'habitation institue une aide personnalisée au logement (APL) ; que l'article L. 351-2 du même code énumère les logements au titre desquels cette allocation est susceptible d'être versée ; que l'article L. 351-3 de ce code énonce que le montant de l'aide " est calculé en fonction d'un barème défini par voie réglementaire ", en prenant en considération la situation de famille du demandeur de l'aide occupant le logement et le nombre de personnes à charge vivant habituellement au foyer, les ressources et la valeur en capital du patrimoine du demandeur et le montant du loyer ou de la redevance versée en application de contrats de location-accession ou des charges de remboursement des prêts contractés pour l'acquisition du logement ou son amélioration, ainsi que les dépenses accessoires retenues forfaitairement ; que le même article prévoit que le barème de l'aide fait l'objet chaque année au 1er octobre d'une révision qui " assure, par toutes mesures appropriées, le maintien de l'efficacité sociale de l'aide personnalisée au logement " et que certains des paramètres de calcul, au nombre desquels les plafonds de loyers, le montant forfaitaire des charges et " le terme constant de la participation du ménage ", sont indexés sur l'évolution de l'indice de référence des loyers défini à l'article 17-1 de la loi du 6 juillet 1989 tendant à améliorer les rapports locatifs et portant modification de la loi n° 86-1290 du 23 décembre 1986 ;

2. Considérant, d'autre part, que le 4° de l'article L. 511-1 du code de la sécurité sociale institue une allocation de logement ; que l'article L. 542-1 de ce code détermine les bénéficiaires de cette allocation ; que son article L. 542-5 dispose que : " Les taux de l'allocation sont déterminés compte tenu du nombre des personnes à charge vivant au foyer et du pourcentage des ressources affecté au loyer " ; qu'il précise que les paramètres de calcul de l'allocation sont révisés chaque année au 1er octobre et que certains paramètres, au nombre desquels les plafonds de loyers, le montant forfaitaire des charges et " le terme constant de la participation du ménage ", sont indexés sur l'évolution de l'indice de référence des loyers ; que, par ailleurs, les articles L. 831-1 et L. 831-2 du même code instituent une allocation de logement au profit des personnes ne bénéficiant pas de l'allocation de logement prévue à l'article L. 542-1 ni de l'aide personnalisée au logement prévue à l'article L. 351-1 du code de la construction et de l'habitation ; que l'article L. 831-4 fixe pour la révision des paramètres de calcul de cette allocation des règles identiques à celles que prévoit l'article L. 542-5 ;

3. Considérant que les modalités d'application des dispositions législatives rappelées ci-dessus sont fixées, en ce qui concerne l'APL, par les articles R. 351-1 et suivants du code de la construction et de l'habitation et, en ce qui concerne les allocations mentionnées au point 2, respectivement, par les articles D. 542-1 et suivants et D. 831-2 et suivants du code de la sécurité sociale ; que le calcul de l'APL est régi par les dispositions des articles R. 351-17-2 du code de la construction et de l'habitation et de l'arrêté susvisé du 3 juillet 1978 ; que le calcul des allocations mentionnées au point 2 est régi par les articles D. 542-5 et suivants du code de la sécurité sociale, que l'article D. 831-2 rend applicables à l'aide prévue à l'article L. 831-1 ; que ces dispositions réglementaires prévoient que le montant de l'aide est égal à la différence entre la dépense de logement éligible et une participation personnelle du ménage, qui comprend une part minimale et une part dépendant des ressources, et déterminent l'ensemble des paramètres ainsi que les formules de calcul ;

4. Considérant que l'article 1er du décret du 28 septembre 2017 relatif aux aides personnelles au logement et au seuil de versement des allocations de logement modifie les articles R. 351-17-2, R. 351-18 et R. 351-60 du code de la construction et de l'habitation ainsi que les articles D. 542-5 et D. 542-5-2 du code de la sécurité sociale afin de prévoir que les aides personnelles au logement instituées par les dispositions législatives précitées seront minorées d'un montant fixé forfaitairement par arrêté conjoint des ministres chargés du logement, du budget, de la sécurité sociale et de l'agriculture ; que l'arrêté du 28 septembre 2017 fixe à cinq euros par mois le montant de cette réduction ; que l'article 3 du décret ramène par ailleurs de 15 à 10 euros le seuil de versement des aides ; que la Fondation Abbé W...et autres demandent l'annulation pour excès de pouvoir du décret et de l'arrêté ;

5. Considérant, en premier lieu, que, en réservant à la loi la détermination des principes fondamentaux de la sécurité sociale, l'article 34 de la Constitution a entendu englober dans ces termes l'ensemble des systèmes de protection sociale quelles que soient leurs modalités de gestion administrative ou financière et, notamment, sans distinguer suivant que la protection est aménagée au moyen de mécanismes d'assurance ou d'assistance ; que doivent être rangées au nombre de ces principes la détermination des catégories de personnes appelées à bénéficier d'une prestation sociale ainsi que la définition de la nature des conditions exigées pour son attribution ; qu'il appartient au pouvoir réglementaire, sous réserve de ne pas dénaturer ces conditions, d'en préciser les éléments en fixant notamment le montant des prestations ;

6. Considérant qu'en modifiant le calcul des aides personnelles au logement afin d'introduire une réduction forfaitaire de leur montant, le pouvoir réglementaire n'a pas empiété sur la compétence du législateur qui porte sur la détermination des principes fondamentaux de la sécurité sociale ; qu'il n'a pas davantage fixé des règles concernant les garanties fondamentales accordées aux citoyens pour l'exercice des libertés publiques ;

7. Considérant, en deuxième lieu, que la réduction de cinq euros du montant mensuel des aides personnelles au logement représente une réduction de l'ordre de 2 % de leur montant moyen ; qu'elle est sans effet sur les autres prestations sociales que sont susceptibles de percevoir leurs bénéficiaires ; que cette diminution forfaitaire du montant des aides personnelles au logement a été compensée, pour certains des ménages en situation de grande précarité, par d'autres mesures ; qu'ainsi, le décret du 4 mai 2017 portant revalorisation du montant forfaitaire du revenu de solidarité active a prévu une revalorisation du montant forfaitaire du revenu de solidarité active de 1,62 % à compter du 1er septembre 2017, soit une hausse de 8,70 euros ; que, dans ces conditions, contrairement à ce que soutiennent la Fondation Abbé W...et autres, le décret et l'arrêté litigieux ne peuvent être regardés comme méconnaissant l'objectif de valeur constitutionnelle que constitue la possibilité pour toute personne de disposer d'un logement décent ; qu'eu égard à leur objet, ils ne sauraient par ailleurs être regardés comme méconnaissant le principe de dignité de la personne humaine et l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

8. Considérant, en troisième lieu, que ceux des paramètres de calcul des aides qui sont mentionnés aux articles L. 351-3 du code de la construction et de l'habitation ainsi que L. 542-5 et L. 832-4 du code de la sécurité sociale, y compris le " terme constant de la participation du ménage ", ont été revalorisés, conformément aux dispositions de ces articles, pour tenir compte de l'évolution de l'indice de référence des loyers par un arrêté du 28 septembre 2017 visé ci-dessus ; que, contrairement à ce que soutiennent les requérants, les dispositions législatives prévoyant l'indexation de ces paramètres ne faisaient pas obstacle à ce que le pouvoir réglementaire, compétent pour définir le barème des aides, apporte à ce barème une modification impliquant une diminution du montant des aides tel qu'il résultait du barème antérieur ; que, compte tenu des éléments relevés au point 7, la diminution de cinq euros résultant des dispositions réglementaires litigieuses ne révèle pas une erreur manifeste d'appréciation, notamment au regard des dispositions de l'article L. 351-3 du code de la construction et de l'habitation relatives au maintien de l'efficacité sociale de l'APL ;

9. Considérant, en quatrième lieu, que le principe d'égalité n'impose pas de traiter différemment des personnes se trouvant dans des situations différentes ; que, dès lors, les requérants ne sont pas fondés à soutenir qu'en prévoyant une réduction forfaitaire du montant des aides personnelles au logement, sans prendre en compte la situation spécifique de chacun des allocataires, le décret attaqué aurait méconnu ce principe ; que, par ailleurs, le décret attaqué n'a pas davantage introduit une discrimination prohibée par les stipulations de l'article 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

10. Considérant, en dernier lieu, qu'en prévoyant que la réduction forfaitaire de cinq euros du montant mensuel des aides personnelles au logement s'applique aux prestations servies à compter du 1er octobre 2017, le pouvoir réglementaire, qui n'était pas tenu, dans les circonstances de l'espèce, de ménager un délai transitoire dans l'application de cette mesure, n'a ni méconnu le principe de sécurité juridique ni, en tout état de cause, les stipulations de l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; que, contrairement à ce qui est soutenu, l'application de la réduction forfaitaire n'est pas de nature à porter atteinte à la liberté contractuelle des bailleurs et des locataires ;

11. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que les requérants ne sont pas fondés à demander l'annulation du décret et de l'arrêté attaqués ; que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de l'Etat qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante ;



D E C I D E :
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Article 1er : La requête de la Fondation Abbé W...et autres requérants est rejetée.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à la Fondation AbbéW..., représentant unique, pour l'ensemble des requérants, et au ministre de la cohésion des territoires.
Copie en sera adressée au Premier ministre, à la ministre des solidarités et de la santé et au ministre de l'action et des comptes publics.