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Ariane Web: Conseil d'État 411373, lecture du 25 octobre 2018, ECLI:FR:CECHR:2018:411373.20181025

Décision n° 411373
25 octobre 2018
Conseil d'État

N° 411373
ECLI:FR:CECHR:2018:411373.20181025
Mentionné aux tables du recueil Lebon
6ème et 5ème chambres réunies
M. Jean-Baptiste de Froment, rapporteur
M. Louis Dutheillet de Lamothe, rapporteur public
SCP WAQUET, FARGE, HAZAN, avocats


Lecture du jeudi 25 octobre 2018
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

Par une requête et un mémoire en réplique enregistrés les 12 juin 2017 et 16 février 2018, la Fédération française des centres de médiation et M. B...A...demandent au Conseil d'Etat :

1) d'annuler pour excès de pouvoir la décision du président du Conseil national des barreaux du 26 janvier 2017, prise à la suite de l'assemblée générale du Conseil national des barreaux du 9 décembre 2016, modifiant l'article 6.3.1 du règlement intérieur national de la profession d'avocat en y introduisant les termes " (qualité dont il peut faire état dès lors qu'il est référencé auprès du Centre National de Médiation des Avocats (CNMA)) " ;

2) de mettre à la charge du Conseil national des barreaux la somme de 4 320 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.



Vu les autres pièces des dossiers ;

Vu :
- la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 ;
- le décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991 ;
- le décret n° 2005-790 du 12 juillet 2005 ;
- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Jean-Baptiste de Froment, maître des requêtes,

- les conclusions de M. Louis Dutheillet de Lamothe, rapporteur public.

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Waquet, Farge, Hazan, avocat du Conseil national des barreaux.



Considérant ce qui suit :

1. L'article 6 du règlement intérieur national de la profession d'avocat, arrêté par le Conseil national des barreaux, est consacré au champ d'activité professionnelle de l'avocat. Par une décision adoptée par son assemblée générale des 9-10 décembre 2016, le Conseil national des barreaux en a modifié l'article 6.3.1 relatif aux missions de justice, d'arbitrage, d'expertise ou de médiation, qui est désormais ainsi rédigé : " L'avocat peut recevoir des missions de justice. Il peut également être investi d'une mission de professionnel qualifié, d'arbitre, d'expert, de médiateur (qualité dont il peut faire état dès lors qu'il est référencé auprès du Centre National de Médiation des Avocats (CNMA)), de praticien du droit collaboratif, de liquidateur amiable ou d'exécuteur testamentaire. ". L'ajout, par cette modification d'une parenthèse précisant dans quelles conditions un avocat peut faire état de la qualité de médiateur, conduit à subordonner cette possibilité à son référencement auprès du Centre national de médiation des avocats.

2. L'article 53 de la loi du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques dispose que : " Dans le respect de l'indépendance de l'avocat, de l'autonomie des conseils de l'ordre et du caractère libéral de la profession, des décrets en Conseil d'Etat fixent les conditions d'application du présent titre. / (...) ". L'article 21-1 de la même loi, dans sa rédaction issue de la loi du 11 février 2004, dispose que : " Le Conseil national des barreaux, établissement d'utilité publique doté de la personnalité morale, est chargé de représenter la profession d'avocat notamment auprès des pouvoirs publics. Dans le respect des dispositions législatives et réglementaires en vigueur, le Conseil national des barreaux unifie par voie de dispositions générales les règles et usages de la profession d'avocat ". Aux termes enfin de l'article 17 de la même loi, le conseil de l'ordre de chaque barreau a pour attribution : " (...) de traiter toutes questions intéressant l'exercice de la profession et de veiller à l'observation des devoirs des avocats ainsi qu'à la protection de leurs droits (...) " et a pour tâches, notamment : " 1° D'arrêter et, s'il y a lieu, de modifier les dispositions du règlement intérieur (...) ; 10° D'assurer dans son ressort l'exécution des décisions prises par le Conseil national des barreaux ".

3. Il résulte des dispositions citées au point 2 que le Conseil national des barreaux est investi par la loi d'un pouvoir réglementaire, qui s'exerce en vue d'unifier les règles et usages des barreaux et dans le cadre des lois et règlements qui régissent la profession. Ce pouvoir trouve cependant sa limite dans les droits et libertés qui appartiennent aux avocats et dans les règles essentielles de l'exercice de la profession. Le Conseil national des barreaux ne peut légalement fixer des prescriptions nouvelles qui mettraient en cause la liberté d'exercice de la profession d'avocat ou les règles essentielles qui la régissent et qui n'auraient aucun fondement dans les règles législatives ou dans celles fixées par les décrets en Conseil d'Etat prévus par l'article 53 de la loi du 31 décembre 1971, ou ne seraient pas une conséquence nécessaire d'une règle figurant au nombre des traditions de la profession.

4. Aux termes du second alinéa de l'article 115 du décret du 27 novembre 1991 : " La profession d'avocat est compatible avec les fonctions (...) de médiateur (...). ". Ces dispositions permettent ainsi à tout avocat d'exercer les fonctions de médiateur. Or les dispositions attaquées du règlement du Conseil national des barreaux ont pour effet d'interdire à un avocat qui ne serait pas référencé auprès du Centre national de médiation des avocats, centre d'information et de mise en relation dédié à la promotion de la médiation, de se prévaloir, auprès de sa clientèle, de sa qualité de médiateur. Il ressort des pièces du dossier que l'avocat qui souhaite ainsi être référencé auprès du Centre national de médiation des avocats doit, sous réserve de dispositions transitoires, avoir suivi 200 heures de formation ou 140 heures s'il peut justifier d'expérience pratique en matière de médiation. Ce faisant, les dispositions attaquées fixent une prescription nouvelle qui met en cause la liberté d'exercice de la profession d'avocat, n'a pas de fondement dans les règles législatives ou dans celles fixées par les décrets en Conseil d'Etat prévus par l'article 53 de la loi du 31 décembre 1971, et ne peut davantage être regardée comme une conséquence nécessaire d'une règle figurant au nombre des traditions de la profession. Par suite, les dispositions attaquées ne sont pas au nombre de celles que le Conseil national des barreaux était compétent pour édicter.

5. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, que la décision contestée des 9 et 10 décembre 2016 du Conseil national des barreaux modifiant l'article 6.3.1 du règlement intérieur national de la profession d'avocat en y introduisant les termes " (qualité dont il peut faire état dès lors qu'il est référencé auprès du Centre National de Médiation des Avocats (CNMA)) " doit être annulée dans cette mesure.

6. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge du Conseil national des barreaux la somme de 1 500 euros à verser tant à la Fédération française des centres de médiation qu'à M. A...au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.


D E C I D E :
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Article 1er : La décision des 9 et 10 décembre 2016 du Conseil national des barreaux est annulée en tant qu'elle modifie l'article 6.3.1 du règlement intérieur national de la profession d'avocat en y introduisant les termes " (qualité dont il peut faire état dès lors qu'il est référencé auprès du Centre National de Médiation des Avocats CNMA) ".

Article 2 : Le Conseil national des barreaux versera tant à la Fédération française des centres de médiation qu'à M. A...la somme de 1 500 euros chacun au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : La présente décision sera notifiée à la Fédération française des centres de médiation, à M. B...A...et au Conseil national des barreaux.



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