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Ariane Web: Conseil d'État 418827, lecture du 28 novembre 2018, ECLI:FR:CECHR:2018:418827.20181128

Décision n° 418827
28 novembre 2018
Conseil d'État

N° 418827
ECLI:FR:CECHR:2018:418827.20181128
Inédit au recueil Lebon
8ème - 3ème chambres réunies
M. Vincent Ploquin-Duchefdelaville, rapporteur
Mme Karin Ciavaldini, rapporteur public
SCP FOUSSARD, FROGER ; LE PRADO, avocats


Lecture du mercredi 28 novembre 2018
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

Par une ordonnance n° 16/00414 du 21 novembre 2017, le tribunal de grande instance de Grenoble a sursis à statuer et saisi le tribunal administratif de Grenoble afin qu'il se prononce sur l'existence, l'étendue et les limites du domaine public communal du Chemin du Pavé sur la commune de La Frette (Isère).

Par un jugement n° 1706703 du 20 février 2018, le tribunal administratif de Grenoble a déclaré que le domaine public routier de la commune de La Frette incluait la section perpendiculaire du Chemin du Pavé jusqu'au portail de la propriété de M. et Mme A...B....

Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés
les 7 mars et 6 avril 2018 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la commune de
La Frette demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à sa demande ;

3°) de mettre à la charge de M. et Mme B...la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.



Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- l'ordonnance n° 59-115 du 7 janvier 1959 ;
- le code de justice administrative ;



Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Vincent Ploquin-Duchefdelaville, auditeur,

- les conclusions de Mme Karin Ciavaldini, rapporteur public.

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Foussard, Froger, avocat de la commune de La Frette (Isère) et à Me Le Prado, avocat de M. et Mme B... ;


Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que M. et Mme B... sont propriétaires de deux parcelles cadastrées n°s 257 et 258 situées dans la commune de la Frette. En 2015, ils ont souhaité céder la parcelle n° 257. La commune a cependant indiqué à leur notaire, par un courrier en date du 24 avril 2015, que cette parcelle était desservie par une voie publique dite " le Chemin du Pavé " sur laquelle la maison d'habitation édifiée sur cette parcelle empiétait. Les époux B...ont assigné la commune devant le tribunal de grande instance de Grenoble afin de voir reconnaitre leur propriété sur l'ensemble de la parcelle délimitée par le portail, en ce compris le chemin perpendiculaire au Chemin du Pavé. Par une ordonnance du 21 novembre 2017, le juge de la mise en état de ce tribunal a saisi le tribunal administratif de Grenoble de la question de l'existence, de l'étendue et des limites du domaine public routier communal du Chemin du Pavé. La commune de la Frette se pourvoit en cassation contre le jugement n° 1706703 du 20 février 2018 par lequel ce tribunal a jugé que son domaine public routier incluait la section perpendiculaire du Chemin du Pavé situé au niveau du n° 157 jusqu'au portail de la propriété des épouxB....

2. L'article L. 5 du code de justice administrative dispose : " L'instruction des affaires est contradictoire. Les exigences de la contradiction sont adaptées à celles de l'urgence, du secret de la défense nationale et de la protection de la sécurité des personnes ". Aux termes de l'article R. 611-1 du même code : " (...) La requête, le mémoire complémentaire annoncé dans la requête et le premier mémoire de chaque défendeur sont communiqués aux parties avec les pièces jointes dans les conditions prévues aux articles R. 611-3, R. 611-5 et R. 611-6. / Les répliques, autres mémoires et pièces sont communiqués s'ils contiennent des éléments nouveaux ". Aux termes de l'article R. 771-2-1 du même code : " Lorsque la juridiction administrative compétente est saisie d'une question préjudicielle soulevée par une juridiction judiciaire, l'affaire est instruite et jugée comme une affaire urgente. / Les délais les plus brefs sont donnés aux parties pour produire leurs observations. A défaut de production dans le délai imparti, il est passé outre sans mise en demeure ". Il résulte de la combinaison de ces dispositions que, lorsqu'il est saisi par le juge judiciaire d'une question préjudicielle, si le juge administratif doit mener l'instruction de l'affaire dans des délais compatibles avec l'urgence qui s'attache à répondre à cette question, le cas échéant en faisant usage de la faculté que lui ouvre le second alinéa de l'article R. 771-2-1 précité, il est tenu de le faire dans le respect du principe du contradictoire et doit à cet égard procéder à la communication des observations produites devant lui par les parties.

3. En l'espèce, il ressort des pièces du dossier que les observations des époux B...n'ont pas été communiquées à la commune de la Frette. La décision litigieuse a, dès lors, été rendue en méconnaissance de la règle énoncée au point 2. La commune de la Frette est ainsi fondée, sans qu'il soit besoin de statuer sur les autres moyens de son pourvoi, à demander l'annulation du jugement qu'elle attaque.

4. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de régler l'affaire au fond, en application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative.

5. Aux termes de l'article 1er de l'ordonnance du 7 janvier 1959 relative à la voirie des collectivités locales : " La voirie des communes comprend : 1° Les voies communales, qui font partie du domaine public ; 2° Les chemins ruraux, qui appartiennent au domaine privé de la commune ", l'article 9 de cette même ordonnance précisant que : " Deviennent voies communales les voies qui, conformément à la législation en vigueur à la date de la présente ordonnance, appartiennent aux catégories ci-après : 1° Les voies urbaines (...) ". Il résulte de ces dispositions que, sans que soit nécessaire l'intervention de décisions expresses de classement, font partie de la voirie urbaine et appartiennent au domaine public communal les voies, propriétés de la commune, situées dans une agglomération qui étaient, antérieurement à l'intervention de l'ordonnance du 7 janvier 1959, affectées à l'usage du public.

6. Il ressort des pièces versées au dossier que le Chemin du Pavé et la section perpendiculaire à ce chemin étaient situés en agglomération à la date d'entrée en vigueur de l'ordonnance du 7 janvier 1959. Par suite, ils font donc partie de la voirie urbaine et appartiennent au domaine public communal pour autant qu'ils soient propriétés de la commune et qu'ils aient été affectés à l'usage du public à une date antérieure à celle de l'entrée en vigueur de l'ordonnance précitée.

7. Les éléments versés au dossier, notamment les documents cadastraux qui se rapportent à l'année 1919, date à laquelle les ascendants de M. et Mme B...ont fait l'acquisition des actuelles parcelles n°s 257 et 258, établissent l'affectation à l'usage du public de l'ensemble de la section perpendiculaire au Chemin du Pavé. Il suit de là qu'en l'absence de décision emportant son déclassement, cette section doit être regardée comme une voie communale au sens et pour l'application de l'ordonnance précitée du 7 janvier 1959, la circonstance que l'accès à ses derniers mètres ait été fermé à la circulation par un portail à une date antérieure à l'entrée en vigueur de cette ordonnance n'étant pas, à elle seule, de nature à lui faire perdre cette qualité. Sont inopérants à cet égard les éléments produits par M. et MmeB..., tels que les photographies et témoignages attestant de la privatisation de cette partie de voie communale. Il suit de là que la portion de voie en litige appartient au domaine public routier de la commune, sous réserve que cette dernière en soit propriétaire.

8. Il résulte de tout ce qui précède qu'il doit être répondu à la question préjudicielle adressée par le juge de la mise en l'état du tribunal de grande instance de Grenoble que le domaine public routier du Chemin du Pavé de la commune de la Frette comprend la section perpendiculaire depuis son n° 157, jusqu'à la limite de la parcelle cadastrée n° 247, sous réserve que la commune de la Frette en soit bien propriétaire.

9. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de M. et Mme B...la somme de 3 000 euros à verser à la commune de La Frette en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code justice administrative. Ces dispositions font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de cette commune, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante.


D E C I D E :
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Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Grenoble du 20 février 2018 est annulé.

Article 2 : Il doit être répondu à la question préjudicielle adressée au tribunal administratif de Grenoble par le juge de la mise en l'état du tribunal de grande instance de Grenoble que le domaine public routier du Chemin du Pavé de la commune de la Frette comprend la section perpendiculaire depuis son n° 157 jusqu'à la limite de la parcelle cadastrée n° 247, sous réserve que la commune de la Frette en soit bien propriétaire.

Article 3 : M. et Mme B...verseront à la commune de La Frette une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Les conclusions de M. et Mme B...présentées au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 5 : La présente décision sera notifiée à la commune de La Frette ainsi qu'à M. et Mme A...B....