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Ariane Web: Conseil d'État 411729, lecture du 30 novembre 2018, ECLI:FR:CECHS:2018:411729.20181130

Décision n° 411729
30 novembre 2018
Conseil d'État

N° 411729
ECLI:FR:CECHS:2018:411729.20181130
Inédit au recueil Lebon
1ère chambre
M. Arnaud Skzryerbak, rapporteur
M. Rémi Decout-Paolini, rapporteur public
SCP FOUSSARD, FROGER ; SCP PIWNICA, MOLINIE, avocats


Lecture du vendredi 30 novembre 2018
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :
La société civile immobilière (SCI) 8 Iéna a demandé au tribunal administratif de Montpellier d'annuler pour excès de pouvoir 1'arrêté du 22 mars 2012 par lequel le maire de la commune de Perpignan a retiré le permis de construire modificatif qu'il lui avait accordé le 22 décembre 2011. Par un jugement n° 1201980 du 29 janvier 2015, le tribunal administratif de Montpellier a fait droit à cette demande.
Par un arrêt n° 15MA01279 du 20 avril 2017, la cour administrative d'appel de Marseille a rejeté l'appel formé par la commune de Perpignan contre ce jugement.
Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 21 juin et 21 septembre 2017 et le 10 avril 2018 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la commune de Perpignan demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cet arrêt ;

2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à son appel ;
3°) de mettre à la charge de la SCI 8 Iéna la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.


Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- le code de l'urbanisme ;
- la loi n° 79-587 du 11 juillet 1979 ;
- la loi n° 2000-321 du 12 avril 2000 ;
- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Arnaud Skzryerbak, maître des requêtes,

- les conclusions de M. Rémi Decout-Paolini, rapporteur public.

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Piwnica, Molinié, avocat de la commune de Perpignan, et à la SCP Foussard, Froger, avocat de la SCI 8 Iéna.



Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, par un arrêté du 22 mars 2012, le maire de Perpignan a retiré le permis de construire modificatif qu'il avait accordé le 22 décembre 2011 à la SCI 8 Iéna pour l'édification d'un bâtiment à usage d'habitation comportant huit logements, d'une surface hors oeuvre nette de 815 mètres carrés, sur un terrain situé 8, rue d'Iéna, à l'angle de cette voie et de la rue Léon Dieudé, en zone urbaine UB1 du plan local d'urbanisme de la commune. Par jugement du 29 janvier 2015, le tribunal administratif de Montpellier a annulé, à la demande de la SCI 8 Iéna, la décision retirant le permis de construire modificatif du 22 décembre 2011. La commune de Perpignan se pourvoit en cassation contre l'arrêt du 20 avril 2017 par lequel la cour administrative d'appel de Marseille a rejeté l'appel qu'elle avait formé contre ce jugement.

2. Aux termes de l'article L. 600-4-1 du code de l'urbanisme : " Lorsqu'elle annule pour excès de pouvoir un acte intervenu en matière d'urbanisme ou en ordonne la suspension, la juridiction administrative se prononce sur l'ensemble des moyens de la requête qu'elle estime susceptibles de fonder l'annulation ou la suspension, en l'état du dossier ".

3. Saisi d'un pourvoi dirigé contre une décision juridictionnelle reposant sur plusieurs motifs dont l'un est erroné, le juge de cassation, à qui il n'appartient pas de rechercher si la juridiction aurait pris la même décision en se fondant uniquement sur les autres motifs, doit, hormis le cas où ce motif erroné présenterait un caractère surabondant, accueillir le pourvoi. Il en va cependant autrement, en principe, lorsque la décision juridictionnelle attaquée prononce l'annulation pour excès de pouvoir d'un acte administratif, dans la mesure où l'un quelconque des moyens retenus par le juge du fond peut suffire alors à justifier son dispositif d'annulation. En pareille hypothèse - et sous réserve du cas où la décision qui lui est déférée aurait été rendue dans des conditions irrégulières - il appartient au juge de cassation, si l'un des moyens reconnus comme fondés par cette décision en justifie légalement le dispositif, de rejeter le pourvoi, après avoir, en raison de l'autorité de chose jugée qui s'attache aux motifs constituant le soutien nécessaire du dispositif de la décision juridictionnelle déférée, censuré celui ou ceux de ces motifs qui étaient erronés.

4. Pour rejeter l'appel dirigé contre le jugement du tribunal administratif de Montpellier qui, sur la demande de la SCI 8 Iéna, avait annulé la décision de retrait du 22 mars 2012, la cour administrative d'appel de Marseille, dans son arrêt du 20 avril 2017, s'est fondée sur deux motifs d'illégalité de ce retrait, résultant, d'une part, de la méconnaissance du principe du respect des droits de la défense et, d'autre part, de l'absence d'application de l'article 6 du règlement du plan local d'urbanisme de la commune au projet de construction en litige.

5. En premier lieu, au sein du titre I du règlement du plan local d'urbanisme de la commune de Perpignan, l'article 6, relatif à l'implantation des constructions par rapport aux voies et emprises publiques, comporte, pour les zones d'habitat dont la zone UB, des dispositions relatives au calcul de la " hauteur relative " que doit respecter la construction à édifier, en particulier lorsqu'elle se situe à l'angle de deux voies. Les notes suivant cet article 6 précisent que, quelle que soit l'implantation de la construction par rapport à la voie, sans recul, avec recul ou à une distance minimale, selon la réglementation applicable à la zone, " (...) Dans tous les cas, l'implantation de la construction devra être compatible avec la hauteur relative lorsqu'elle est définie par l'article 6. Lorsque l'implantation est imposée, c'est le calcul de la hauteur relative qui permettra de respecter le prospect habituellement défini par les formules L=H ou L=2/3H selon la zone ". L'article 6 applicable au secteur UB1 de la zone UB, qui figure au titre II du même règlement, regroupant les dispositions particulières applicables aux zones urbaines, précise l'implantation des constructions selon leur situation et prévoit que : " Dans tous les cas, l'implantation de toute construction devra respecter la règle de retrait par rapport à la hauteur relative L > ou = 2/3 H ". L'article 10 applicable au secteur UB1 définit quant à lui, au sein du même titre II, la hauteur maximale des constructions.

6. Dès lors, en jugeant que la construction projetée, au motif qu'elle était implantée en limite d'alignement, n'était pas soumise aux règles de hauteur relative définies par les dispositions de l'article 6 du titre I et de l'article 6 UB1 du titre II du règlement du plan local d'urbanisme, mais seulement aux règles de hauteur prévues à l'article 10 UB1 du même règlement, la cour administrative d'appel de Marseille a commis une erreur de droit.

7. En second lieu toutefois, aux termes du premier alinéa de l'article 24 de la loi du 12 avril 2000, alors applicable et aujourd'hui repris aux articles L. 121-1 et L. 122-1 du code des relations entre le public et l'administration : " Exception faite des cas où il est statué sur une demande, les décisions individuelles qui doivent être motivées en application des articles 1er et 2 de la loi n° 79-587 du 11 juillet 1979 relative à la motivation des actes administratifs et à l'amélioration des relations entre l'administration et le public n'interviennent qu'après que la personne intéressée a été mise à même de présenter des observations écrites et, le cas échéant, sur sa demande, des observations orales (...) ". La décision portant retrait d'un permis de construire est au nombre de celles qui doivent être motivées en application de l'article 1er de la loi du 11 juillet 1979, alors applicable et dont les dispositions ont été reprises à l'article L. 211-1 du même code. Elle doit, par suite, être précédée d'une procédure contradictoire, permettant au titulaire du permis de construire d'être informé de la mesure qu'il est envisagé de prendre, ainsi que des motifs sur lesquels elle se fonde, et de bénéficier d'un délai suffisant pour présenter ses observations. Le respect de la procédure ainsi prévue par les dispositions de l'article 24 de la loi du 12 avril 2000 constitue une garantie pour le titulaire du permis que l'autorité administrative entend rapporter.

8. Il résulte des énonciations de l'arrêt de la cour administrative d'appel de Marseille que le courrier du 6 mars 2012 par lequel le maire de Perpignan a informé la SCI 8 Iéna qu'il avait été saisi du recours gracieux d'un tiers contre le permis de construire modificatif du 22 décembre 2011 et qu'au vu des éléments portés à sa connaissance, il envisageait de retirer ce permis, ne mentionnait pas les motifs de la décision envisagée et n'était pas accompagné du recours gracieux. La cour a en outre relevé que, dans son courrier du 14 mars 2012 adressé au maire et resté sans réponse, la SCI relevait cette lacune et ne formulait pas d'observations sur les motifs susceptibles de fonder le retrait envisagé. En se fondant sur ces constatations, non arguées de dénaturation, et en jugeant que la circonstance que le permis de construire modificatif avait été délivré au bénéfice d'une adaptation mineure des règles de hauteur ne suffisait pas à considérer que la SCI aurait été mise à même de discuter utilement les motifs du retrait envisagé, la cour n'a pas commis d'erreur de droit.

9. Ce motif suffit à justifier légalement le dispositif de l'arrêt de la cour administrative d'appel de Marseille, qui, rejetant l'appel de la commune, a confirmé l'annulation pour excès de pouvoir de la décision retirant le permis de construire modificatif du 22 décembre 2011. Par suite, la commune de Perpignan n'est pas fondée à demander l'annulation de cet arrêt.

10. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de la SCI 8 Iéna, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la commune de Perpignan le versement à la SCI 8 Iéna d'une somme de 3 000 euros au titre de ces dispositions.


D E C I D E :
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Article 1er : Le pourvoi de la commune de Perpignan est rejeté
Article 2 : La commune de Perpignan versera à la SCI 8 Iéna une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à la commune de Perpignan et à la société civile immobilière 8 Iéna.