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Ariane Web: Conseil d'État 425096, lecture du 14 novembre 2018, ECLI:FR:CEORD:2018:425096.20181114

Décision n° 425096
14 novembre 2018
Conseil d'État

N° 425096
ECLI:FR:CEORD:2018:425096.20181114
Inédit au recueil Lebon
Juge des référés
SCP GARREAU, BAUER-VIOLAS, FESCHOTTE-DESBOIS, avocats


Lecture du mercredi 14 novembre 2018
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS




Vu la procédure suivante :

M. D...A...B...a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Nantes, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, d'enjoindre à la préfète de la Loire-Atlantique, d'une part, de lui délivrer, dans un délai de 48 heures, une convocation n'excédant pas un délai de 72 heures en vue de se voir délivrer une attestation de demandeur d'asile en procédure normale, d'autre part, d'enregistrer sa demande et de lui remettre un dossier à adresser à l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) et d'assortir cette injonction d'une astreinte de 100 euros par jour de retard. Par une ordonnance n° 1809428 du 12 octobre 2018, le juge des référés du tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande.

Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés le 26 octobre et le 8 novembre 2018 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. A...B..., demande au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative :

1°) d'annuler cette ordonnance ;

2°) de faire droit à ses demandes de première instance ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 700 euros à verser à Me C... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et des articles 34 et 37 de la loi du 10 juillet 1991 sous réserve de son désistement au bénéfice de l'aide juridictionnelle ;


Il soutient que :
- sa requête est recevable dès lors que les décisions prises à son égard par l'administration méconnaissent le droit d'asile ;
- la condition d'urgence est remplie dès lors que, d'une part, il se trouve dans une situation de grande vulnérabilité et que, d'autre part, il est susceptible de faire l'objet d'une nouvelle décision de transfert vers l'Italie qui pourrait donner lieu à un refoulement vers le Soudan compte tenu des accords conclus entre les deux pays et eu égard au refus déjà émis par les autorités italiennes de le laisser faire état de ses craintes ;
- le refus d'enregistrer sa demande d'asile en procédure normale porte une atteinte grave et manifestement illégale au droit d'asile ;
- le juge des référés du tribunal administratif de Nantes a commis une erreur de droit en retenant qu'il lui incombait de prouver qu'il n'aurait pas été en mesure d'exposer aux autorités italiennes les risques encourus en cas de retour au Soudan, alors qu'il appartenait aux autorités françaises de solliciter des informations de la part des autorités italiennes sur la situation de l'intéressé ;
- en dépit de sa qualité de demandeur d'asile, il risque, en cas de transfert en Italie, d'être l'objet d'un refoulement en violation de l'article 33 de la convention de Genève ;
- il existe des raisons sérieuses de croire à l'existence de défaillances systémiques dans le système d'accueil des demandeurs d'asile en Italie alors, au surplus, qu'il y a une dégradation de la situation actuelle en Italie sur la question de l'accueil des migrants.


Par un mémoire en défense, enregistré le 6 novembre 2018, le ministre de l'intérieur soutient que, d'une part, la requête est irrecevable en ce qu'elle est prématurée en l'absence de nouvel arrêté de transfert, d'autre part, la condition d'urgence n'est pas remplie, enfin, les moyens soulevés par le requérant ne sont pas fondés.

Par une intervention, enregistrée le 8 novembre 2018, l'association la Cimade demande que le Conseil d'Etat fasse droit aux conclusions de la requête. Elle se réfère aux moyens exposés dans celle-ci.



Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- la Constitution, et notamment son Préambule ;
- la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le règlement n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;
- la code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique ;
- le code de justice administrative ;



Après avoir convoqué à une audience publique d'une part, M. A... B...et, d'autre part, le ministre de l'intérieur ;

Vu le procès-verbal de l'audience publique du jeudi 8 novembre 2018 à 15 heures au cours de laquelle ont été entendus :
- Me Feschotte-Desbois, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocate de M. A... B...;
- la représentante du ministre de l'intérieur ;

- le représentant de l'association la Cimade ;

et à l'issue de laquelle le juge des référés a clos l'instruction ;



Considérant ce qui suit :

1. Aux termes de l'article L. 521-2 du code de justice administrative : " Saisi d'une demande en ce sens justifiée par l'urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public aurait porté, dans l'exercice d'un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. Le juge des référés se prononce dans un délai de quarante-huit heures ".

2. Il résulte de l'instruction que M. A...B..., ressortissant soudanais, entré irrégulièrement en France en juin 2017, a présenté le 1er août 2017 une première demande d'asile sur le territoire français qui a été enregistrée sous procédure dite Dublin, le relevé de ses empreintes digitales ayant fait apparaître que celles-ci avait déjà été enregistrées en Italie. Le 24 août 2017, le préfet du Doubs a saisi les autorités italiennes d'une demande de prise en charge de M. A...B..., qu'elles ont implicitement acceptée le 24 octobre 2017. Par un arrêté du 6 mars 2018, la préfète du Territoire de Belfort a décidé son transfert vers l'Italie. Le requérant n'ayant pas respecté les obligations qui lui étaient fixées, a été déclaré en fuite le 17 avril 2018. Il s'est présenté le 27 avril 2018 auprès des services de la préfecture de Loire-Atlantique puis a gagné le territoire de l'Allemagne. Remis à la France par les autorités allemandes, M. A...B...a été placé en centre de rétention administrative par le préfet du Bas-Rhin puis transféré en Italie le 11 juin 2018. Par une décision notifiée le 12 juin 2018, les autorités italiennes lui ont fait obligation de quitter le territoire italien. M. A...B...est revenu en France le 26 juin 2018 et le 30 juillet 2018, il s'est présenté à la préfecture de Loire-Atlantique pour y solliciter à nouveau l'asile et a été convoqué au guichet unique pour demandeurs d'asile auprès des services de la préfecture de la Vendée le 22 août 2018. Cette demande a, à nouveau, été enregistrée sous la procédure Dublin, les autorités italiennes ont été saisies le 10 août 2018 d'une requête aux fins de prise en charge qu'elles ont implicitement acceptée le 10 octobre 2018.

3. Par la présente requête, M. D...A...B...relève appel de l'ordonnance n° 1809428 du 12 octobre 2018 par laquelle le juge des référés du tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande qui tendait à ce qu'il soit, sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, enjoint à la préfète de la Loire-Atlantique, d'une part, de lui délivrer, dans un délai de 48 heures à compter de la notification de l'ordonnance à intervenir, une convocation n'excédant pas un délai de 72 heures en vue de se voir délivrer une attestation de demandeur d'asile en procédure normale et, d'autre part, d'enregistrer sa demande et de lui remettre un dossier à adresser à l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) et que ces injonctions soient assorties d'une astreinte de 100 euros par jour de retard.

Sur l'intervention de la Cimade :

4. L'association la Cimade, qui intervient au soutien des conclusions de la requête, justifie, eu égard à son objet statutaire et à la nature du litige, d'un intérêt suffisant pour intervenir dans la présente instance.



Sur la requête de M. A...B... :

5. Ainsi que l'a, à bon droit, relevé le juge des référés du tribunal administratif de Nantes, il ne ressort d'aucune des pièces du dossier que M. A...B...aurait été empêché d'introduire sa demande d'asile en Italie ou de faire valoir devant les autorités de police de ce pays les craintes qu'il éprouverait en cas de retour au Soudan. Par ailleurs, à l'appui de son mémoire en défense devant le Conseil d'Etat, le ministre de l'intérieur a produit un fac-similé du compte-rendu de l'entretien qui a eu lieu dans le cadre de l'instruction de la demande de M. A... B...par les services de la préfecture de la Loire-Atlantique le 30 juillet 2018, entretien qui s'est déroulé avec le concours d'un interprète et dont M. A...B...a signé le compte rendu après avoir coché la case précisant qu'il certifiait sur l'honneur que les renseignements le concernant étaient exacts. Selon les termes mêmes de ce compte rendu : " Monsieur n'a pas demandé l'asile en Italie car son oncle vit en France. C'est pour cette raison que Monsieur demande l'asile en France. ". Enfin, il ne résulte pas de l'instruction que les autorités italiennes seraient dans l'incapacité structurelle d'examiner la demande d'asile de M. A...B....

6. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner la recevabilité de la requête, que M. A...B...n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que par l'ordonnance attaquée, le juge des référés du tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande. Il y a lieu, par suite, de rejeter sa requête, y compris les conclusions présentées sur le fondement des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 34 et 37 de la loi du 10 juillet 1991.



O R D O N N E :
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Article 1er : La requête de M. A...B...est rejetée.
Article 2 : La présente ordonnance sera notifiée à M. D...A...B...et au ministre de l'intérieur.