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Ariane Web: Conseil d'État 412632, lecture du 5 décembre 2018, ECLI:FR:CECHR:2018:412632.20181205

Décision n° 412632
5 décembre 2018
Conseil d'État

N° 412632
ECLI:FR:CECHR:2018:412632.20181205
Mentionné aux tables du recueil Lebon
6ème et 5ème chambres réunies
Mme Laure Durand-Viel, rapporteur
M. Louis Dutheillet de Lamothe, rapporteur public
SCP POTIER DE LA VARDE, BUK LAMENT, ROBILLOT ; SCP MARLANGE, DE LA BURGADE, avocats


Lecture du mercredi 5 décembre 2018
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu les procédures suivantes :

M. H...C..., Mme I...C...D..., M. A...E..., Mme J...D..., épouseG..., Mme F...D...et Mme B...D...ont demandé au tribunal administratif de Besançon, par deux demandes distinctes, d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté du 7 mars 2014 par lequel le préfet du Doubs a modifié l'arrêté déclarant d'utilité publique le projet d'aménagement du quartier " Les Vaîtes " ainsi que l'arrêté du 20 mars 2014 déclarant cessibles les parcelles concernées au profit de la société publique locale (SPL) Territoire 25.

Par un jugement nos 1400806, 1400808, 1401438 du 22 mars 2016, le tribunal administratif de Besançon a joint et rejeté leurs demandes.

Par un arrêt no 16NC00913 du 8 juin 2017, la cour administrative d'appel de Nancy a annulé ce jugement ainsi que les arrêtés du préfet du Doubs des 7 mars et 20 mars 2014.

1° Sous le n° 412632, par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 20 juillet et 23 octobre 2017 et le 10 octobre 2018 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la SPL Territoire 25 demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cet arrêt ;

2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à ses conclusions d'appel ;

3°) de mettre à la charge de M. C...et autres la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.



2° Sous le n° 413380, par un pourvoi, enregistré le 14 août 2017 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le ministre de l'intérieur demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cet arrêt ;

2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à ses conclusions d'appel.


....................................................................................

Vu les autres pièces des dossiers ;

Vu :
- le code de l'urbanisme ;
- le code de l'expropriation pour cause d'utilité publique ;
- le code de justice administrative ;


Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Laure Durand-Viel, auditeur,

- les conclusions de M. Louis Dutheillet de Lamothe, rapporteur public.

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Potier de la Varde, Buk Lament, Robillot, avocat de la SPL Territoire 25 et à la SCP Marlange, de la Burgade, avocat de Mme D...et autres.


1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la commune de Besançon (Doubs) a décidé d'aménager le secteur dit des Vaîtes, d'une superficie d'une quarantaine d'hectares, afin d'y réaliser un " éco-quartier ". Par un arrêté du 27 octobre 2011, le préfet du Doubs a déclaré d'utilité publique le projet au profit de la commune de Besançon. Par arrêté du 7 mars 2014, le préfet a modifié la déclaration d'utilité publique afin de désigner la société publique locale (SPL) Territoire 25, comme en étant le bénéficiaire, en qualité de concessionnaire de l'opération. Par un arrêté du 20 mars 2014, le préfet a déclaré cessibles au bénéfice de la société les parcelles concernées. Par un jugement du 22 mars 2016, le tribunal administratif de Besançon a rejeté la demande de M. C...et autres tendant à l'annulation pour excès de pouvoir des arrêtés des 7 mars 2014 et 20 mars 2014. Par un arrêt du 8 juin 2017, contre lequel la SPL Territoire 25 et le ministre de l'intérieur se pourvoient en cassation, la cour administrative d'appel de Nancy a annulé ce jugement ainsi que les arrêtés des 7 mars et 20 mars 2014 du préfet du Doubs.

2. Il y a lieu de joindre les pourvois du ministre de l'intérieur et de la SPL Territoire 25, qui sont dirigés contre le même arrêt.

Sur le bien-fondé de l'arrêt attaqué, s'agissant de l'annulation de l'arrêté modificatif du 7 mars 2014 :

3. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que l'arrêté du préfet du Doubs du 7 mars 2014 avait pour seul objet de modifier le bénéficiaire de la déclaration d'utilité publique prononcée par l'arrêté du 27 octobre 2011, lequel était devenu définitif à la date à laquelle Mme D...et autres ont demandé l'annulation de l'arrêté du 7 mars 2014 au tribunal administratif de Besançon. Eu égard à la portée de cet arrêté modificatif, les requérants ne pouvaient utilement exciper, au soutien de leurs conclusions tendant à son annulation, de l'incompatibilité de la déclaration d'utilité publique initiale du 27 octobre 2011 avec le plan local d'urbanisme de Besançon. Par suite, la cour administrative d'appel de Nancy a commis une erreur de droit en se fondant sur ce moyen, qui était inopérant, pour annuler l'arrêté du 7 mars 2014.

Sur le bien-fondé de l'arrêt attaqué, s'agissant de la recevabilité des conclusions dirigées contre l'arrêté de cessibilité :

4. En l'absence de circonstances particulières dont il ferait état, un requérant ne justifie pas, en principe, d'un intérêt lui donnant qualité à demander l'annulation d'un arrêté de cessibilité en tant qu'il concerne des terrains autres que ceux lui appartenant. Par suite, dès lors que de telles circonstances particulières n'étaient pas invoquées devant elles, la cour a commis une erreur de droit en ne rejetant pas comme irrecevables les conclusions dirigées contre l'arrêté de cessibilité en tant qu'il déclare cessibles des parcelles autres que celles appartenant à M. H... C..., Mme I...C...D..., M. A...E..., Mme J...D..., épouseG..., Mme F...D...et Mme B...D....

Sur le bien-fondé de l'arrêt attaqué, s'agissant des moyens dirigés contre l'arrêté de cessibilité tirés du défaut de compatibilité de la déclaration d'utilité publique avec le plan local d'urbanisme :

5. D'une part, aux termes de l'article L. 11-4 du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique, dans sa rédaction alors en vigueur : " Ainsi qu'il est dit à l'article L. 123-8 du code de l'urbanisme : La déclaration d'utilité publique d'une opération qui n'est pas compatible avec les prescriptions d'un plan d'occupation des sols rendu public ou approuvé ne peut intervenir que si l'enquête publique concernant cette opération a porté à la fois sur l'utilité publique et sur la modification du plan et si, en outre, l'acte déclaratif d'utilité publique est pris dans des conditions conformes aux prescriptions concernant l'approbation des plans d'occupation des sols. La déclaration d'utilité publique comporte alors modification du plan ". Aux termes de l'article L. 123-16 du code de l'urbanisme, alors en vigueur, reprenant les dispositions de l'ancien article L. 123-8 du même code mentionné à l'article L. 11-4 du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique : " La déclaration d'utilité publique ou, si une déclaration d'utilité publique n'est pas requise, la déclaration de projet d'une opération qui n'est pas compatible avec les dispositions d'un plan local d'urbanisme ne peut intervenir que si : / a) L'enquête publique concernant cette opération a porté à la fois sur l'utilité publique ou l'intérêt général de l'opération et sur la mise en compatibilité du plan qui en est la conséquence ; / b) L'acte déclaratif d'utilité publique ou la déclaration de projet est pris après que les dispositions proposées pour assurer la mise en compatibilité du plan ont fait l'objet d'un examen conjoint du représentant de l'Etat dans le département, du président de l'établissement public de coopération intercommunale compétent, du maire de la commune sur le territoire de laquelle est situé le projet, de l'établissement public mentionné à l'article L. 122-4, s'il en existe un, de la région, du département et des organismes mentionnés à l'article L. 121-4, et après avis de l'organe délibérant de l'établissement public de coopération intercommunale compétent ou, dans le cas prévu par le deuxième alinéa de l'article L. 123-6, du conseil municipal / La déclaration d'utilité publique emporte approbation des nouvelles dispositions du plan (...). Dès l'ouverture de l'enquête publique et jusqu'à l'adoption de la déclaration d'utilité publique, le plan local d'urbanisme ne peut plus faire l'objet d'une modification ou d'une révision portant sur les dispositions faisant l'objet de la mise en compatibilité ".

6. D'autre part, aux termes de l'article R. 123-6 du code de l'urbanisme, dans sa rédaction alors en vigueur : " Les zones à urbaniser sont dites " zones AU ". Peuvent être classés en zone à urbaniser les secteurs à caractère naturel de la commune destinés à être ouverts à l'urbanisation. / Lorsque les voies publiques et les réseaux d'eau, d'électricité et, le cas échéant, d'assainissement existant à la périphérie immédiate d'une zone AU ont une capacité suffisante pour desservir les constructions à implanter dans l'ensemble de cette zone, les orientations d'aménagement et de programmation et le règlement définissent les conditions d'aménagement et d'équipement de la zone. Les constructions y sont autorisées soit lors de la réalisation d'une opération d'aménagement d'ensemble, soit au fur et à mesure de la réalisation des équipements internes à la zone prévus par les orientations d'aménagement et de programmation et le règlement. / Lorsque les voies publiques et les réseaux d'eau, d'électricité et, le cas échéant, d'assainissement existant à la périphérie immédiate d'une zone AU n'ont pas une capacité suffisante pour desservir les constructions à implanter dans l'ensemble de cette zone, son ouverture à l'urbanisation peut être subordonnée à une modification ou à une révision du plan local d'urbanisme ". Aux termes du règlement du plan local d'urbanisme de la commune de Besançon, alors en vigueur : " Le règlement des zones AU fixe les prescriptions relatives aux occupations et utilisations du sol existantes dans l'attente d'une opération d'aménagement d'ensemble (1AU) ou d'une évolution du document d'urbanisme (2AU) ". Ce règlement décrit les zones 2AU comme des zones " pour lesquelles une procédure de modification ou une révision du document d'urbanisme conditionne l'urbanisation ". Sont applicables à la zone 2 AU l'article AU 1 qui prévoit que : " Sont interdites les occupations et utilisations du sol suivantes : / - Les constructions nouvelles quelle que soit leur destination à l'exception des constructions à destination d'équipement collectif public de type infrastructures et superstructures publiques et de celles autorisées à l'article AU 2 ; (...) " et l'article AU 2 selon lequel : " Sont autorisées les occupations et utilisations du sol suivantes : (...) - Les affouillements, exhaussements sous réserve qu'ils soient liés à la construction ou à la réalisation de travaux publics ".

7. Il résulte des dispositions citées au point 5 que l'opération qui fait l'objet d'une déclaration d'utilité publique ne peut être regardée comme compatible avec un plan local d'urbanisme, pour l'application de l'article L. 123-16 du code de l'urbanisme, qu'à la double condition, d'une part, qu'elle ne soit pas de nature à compromettre le parti d'aménagement retenu par la commune au travers de ce plan, et d'autre part, qu'elle ne méconnaisse pas les dispositions du règlement de la zone du plan dans laquelle sa réalisation est prévue.

8. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que le projet litigieux consiste à programmer la réalisation à terme d'un éco-quartier comprenant des logements sur des terrains classés en zone 2 AU du plan local d'urbanisme, laquelle permet l'urbanisation sous réserve d'une procédure de modification ou de révision du document d'urbanisme. En déduisant l'incompatibilité de l'opération objet de la déclaration d'utilité publique avec le plan local d'urbanisme de la seule circonstance qu'elle prévoit à terme la réalisation de logements alors que le plan local d'urbanisme ne permet de telles constructions en zone 2 AU qu'après une modification ou une révision de celui-ci, sans tenir compte du caractère programmatique tant de l'opération à ce stade que du classement en zone 2 AU, la cour administrative d'appel de Nancy a commis une erreur de droit.

9. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens des pourvois, que le ministre de l'intérieur et la SPL Territoire 25 sont fondés à demander l'annulation de l'arrêt qu'ils attaquent.

10. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice font obstacle à ce qu'une somme soit mise, à ce titre, à la charge de l'Etat et de la SPL Territoire 25, qui ne sont pas, dans la présente instance, les parties perdantes. Il y a lieu, en revanche, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de Mme D...et autres une somme globale de 3 000 euros à verser à la SPL Territoire 25 au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.


D E C I D E :
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Article 1er : L'arrêt du 8 juin 2017 de la cour administrative d'appel de Nancy est annulé.

Article 2 : L'affaire est renvoyée à la cour administrative d'appel de Nancy.
Article 3 : Mme D...et autres verseront à la SPL Territoire 25 une somme globale de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Les conclusions présentées par Mme D...et autres au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 5 : La présente décision sera notifiée au ministre de l'intérieur, à la SPL Territoire 25 et à Mme B...D..., première dénommée, pour l'ensemble des défendeurs.
Copie en sera adressée à la commune de Besançon.



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