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Ariane Web: Conseil d'État 403753, lecture du 19 décembre 2018, ECLI:FR:CECHR:2018:403753.20181219

Décision n° 403753
19 décembre 2018
Conseil d'État

N° 403753
ECLI:FR:CECHR:2018:403753.20181219
Inédit au recueil Lebon
3ème - 8ème chambres réunies
Mme Déborah Coricon, rapporteur
Mme Emmanuelle Cortot-Boucher, rapporteur public
SCP LEVIS ; SCP GARREAU, BAUER-VIOLAS, FESCHOTTE-DESBOIS, avocats


Lecture du mercredi 19 décembre 2018
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS




Vu la procédure suivante :

M. A...B...a demandé au tribunal administratif de Cergy-Pontoise, d'une part, d'annuler la décision du 28 mars 2012 par laquelle le directeur du service départemental d'incendie et de secours (SDIS) du Val-d'Oise a décidé de ne pas verser au titre de l'année 2011 la contribution publique finançant le régime de la prestation de fidélisation et de reconnaissance allouée aux sapeurs-pompiers volontaires et la décision du 5 juin 2012 par laquelle le président du conseil d'administration du SDIS a rejeté son recours gracieux, et, d'autre part, d'enjoindre au SDIS de procéder à ce versement dans un délai maximum de deux mois. Par un jugement n ° 1206467 du 23 mars 2015, le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a rejeté sa demande.

Par une ordonnance n° 15VE01606 du 22 septembre 2016, enregistrée au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat le 23 septembre 2016, la cour administrative d'appel de Versailles a transmis, en application de l'article R. 351-2 du code de justice administrative, le pourvoi formé par M. B...contre ce jugement.

Par ce pourvoi, enregistré au greffe de la cour administrative d'appel de Versailles le 21 mai 2015, et par deux mémoires, enregistrés les 25 octobre et 8 novembre 2016 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. B...demande :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à sa demande ;

3°) de mettre à la charge du SDIS du Val-d'Oise la somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.


Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- le code de la sécurité intérieure ;
- la loi n° 79-587 du 11 juillet 1979 ;
- la loi n° 96-370 du 3 mai 1996 ;
- le décret n° 2005-1150 du 13 septembre 2005 ;
- le code de justice administrative ;


Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Déborah Coricon, maître des requêtes en service extraordinaire,

- les conclusions de Mme Emmanuelle Cortot-Boucher, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Lévis, avocat de M. B...et à la SCP Garreau, Bauer-Violas, Feschotte-Desbois, avocat du service départemental d'incendie et de secours (SDIS) du Val d'Oise ;



Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que M. B... a été engagé en qualité de médecin-capitaine de sapeurs-pompiers volontaires à compter du 28 août 2000 au sein du service départemental d'incendie et de secours (SDIS) du Val-d'Oise, puis, à compter du 1er janvier 2010, en qualité de médecin lieutenant-colonel de sapeurs-pompiers volontaires. Par une décision du 28 mars 2012, le directeur du SDIS du Val-d'Oise lui a indiqué que le service ne s'acquitterait pas, au titre de l'année 2011, de la contribution publique annuelle, d'un montant de 375 euros, destinée à financer sa prestation de fidélisation et de reconnaissance. M. B...a formé, le 7 mai 2012, un recours gracieux contre ce refus, qui a été rejeté par une décision du 5 juin 2012. Il se pourvoit en cassation contre le jugement du 23 mars 2015 par lequel le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a rejeté sa demande tendant à l'annulation des décisions du 28 mars 2012 et 5 juin 2012.

2. Aux termes de l'article 15-1 de la loi du 3 mai 1996 relative au développement du volontariat dans les corps de sapeurs-pompiers, dans sa rédaction applicable aux décisions attaquées : " La prestation de fidélisation et de reconnaissance permet aux sapeurs-pompiers volontaires d'acquérir des droits à pension exprimés en points et versés sous forme de rente viagère (...) ". Aux termes de l'article 15-3 de la même loi : " La prestation de fidélisation et de reconnaissance des sapeurs-pompiers volontaires est financée : / a) Par la contribution annuelle obligatoire versée par chaque service départemental d'incendie et de secours, en fonction du nombre de sapeurs-pompiers volontaires dont il assurait la gestion au 31 décembre de l'année précédente. Les modalités de la contribution de l'Etat au coût pour les départements seront définies dans des conditions fixées en loi de finances ; / b) Par la cotisation annuelle obligatoire versée par le sapeur-pompier volontaire dès lors qu'il a accompli une durée d'engagement déterminée par décret en Conseil d'Etat (...) ". Aux termes de l'article 15-4 de la même loi : " (...) L'ouverture des droits à la rente viagère est subordonnée à l'accomplissement, en une ou plusieurs fractions, de vingt années au moins de services en qualité de sapeur-pompier volontaire (...) ". Aux termes de l'article 1er du décret du 13 septembre 2005 relatif à la prestation de fidélisation et de reconnaissance des sapeurs-pompiers volontaires dans sa version applicable aux faits : " Tout sapeur-pompier volontaire d'un corps départemental a droit à la prestation de fidélisation et de reconnaissance lorsqu'il a cessé définitivement son service, qu'il est âgé d'au moins cinquante-cinq ans et qu'il a accompli, en une ou plusieurs fractions, au moins vingt années de service en qualité de sapeur-pompier volontaire (...) ". Aux termes de l'article 3 du même décret : " Le financement est assuré par : (...) / 3° Une contribution publique à la charge du service d'incendie et de secours. Cette contribution est versée dès la première année et pour chaque année d'engagement. / Lorsque le sapeur-pompier volontaire suspend son engagement, dans les conditions prévues à l'article 38 du décret du 10 décembre 1999 susvisé, les cotisations personnelles et la contribution publique ne sont pas exigibles au-delà d'une période continue de suspension supérieure à une année ".

3. Aux termes de l'article 1er de la loi du 11 juillet 1979 relative à la motivation des actes administratifs et à l'amélioration des relations entre l'administration et le public, alors applicable et désormais repris à l'article L. 211-2 du code des relations entre le public et l'administration : " Les personnes physiques ou morales ont le droit d'être informées sans délai des motifs des décisions administratives individuelles défavorables qui les concernent. / A cet effet, doivent être motivées les décisions qui (...) refusent un avantage dont l'attribution constitue un droit pour les personnes qui remplissent les conditions légales pour l'obtenir (...) ".

4. Lorsque le service départemental d'incendie et de secours refuse de s'acquitter de la contribution annuelle destinée à financer pour partie la prestation de fidélisation et de reconnaissance à laquelle a droit tout sapeur-pompier volontaire départemental en application de l'article 1er du décret du 13 septembre 2005, elle le prive de son droit à pouvoir prendre en compte tout ou fraction de cette année pour le calcul des vingt années de services requises par l'article 15-4 de la loi du 3 mai 1996 pour bénéficier de la rente viagère. Cette décision est, en conséquence, au nombre de celles qui, refusant un avantage dont l'attribution constitue un droit pour les personnes qui remplissent les conditions légales pour l'obtenir, devaient être motivées en vertu de l'article 1er de la loi du 11 juillet 1979. Par suite, le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a commis une erreur de droit en jugeant que les décisions contestées n'avaient pas à être motivées. En conséquence, M. B...est fondé, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de son pourvoi, à demander l'annulation du jugement qu'il attaque.

5. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de régler l'affaire au fond en application de l'article L. 821-2 du code de justice administrative.

6. Contrairement à ce que soutient le SDIS, la circonstance que la contribution mise à sa charge doit être versée à l'association nationale prévue par l'article 15-2 de la loi du 3 mai 1996 précité et non au sapeur-pompier volontaire lui-même est sans incidence sur l'intérêt à agir de ce dernier dès lors que les décisions refusant de verser cette contribution ont pour conséquence de le priver d'une année de cotisation nécessaire pour obtenir la prestation de fidélisation et de reconnaissance et lui font ainsi grief.

7. En premier lieu, d'une part, si l'article 15-1 de la loi du 3 mai 1996 précité institue une prestation de fidélisation et de reconnaissance afin de récompenser l'engagement des sapeurs-pompiers volontaires au bénéfice de la collectivité, il ne saurait être déduit des termes de la loi qu'elle subordonne son octroi au respect d'une condition minimale de vacations horaires que le décret attaqué aurait dû venir préciser. Par suite, le pouvoir réglementaire n'était pas tenu de subordonner le versement des contributions publiques volontaires aux prestations effectivement réalisées par les sapeurs-pompiers volontaires.

8. D'autre part, le SDIS du Val-d'Oise ne saurait utilement se prévaloir, pour contester l'obligation de contribution litigieuse, de ce que le décret du 13 septembre 2015 méconnaîtrait le principe d'égalité faute de prévoir des modalités de remboursement des contributions annuelles versées par les SDIS pour les sapeurs-pompiers volontaires ne bénéficiant pas de la prestation, alors qu'il prévoit dans ce cas le remboursement intégral des cotisations versées par le sapeur-pompier volontaire, et en imposant le versement d'une contribution annuelle dès la première année de service alors que l'obligation de cotisation ne débute qu'à compter de la sixième année de service pour le sapeur-pompier volontaire, dès lors que les dispositions qu'il critique, qui sont divisibles, ne constituent pas la base légale du refus attaqué et que ce dernier n'a pas été pris pour leur application. Enfin, si le SDIS du Val-d'Oise soutient que le décret du 13 septembre 2015 met à la charge des SDIS des sommes disproportionnées, dès lors que la contribution personnelle obligatoire annuelle du sapeur-pompier volontaire est fixée de manière définitive et arbitraire à cinq fois le montant de la vacation horaire d'un officier de sapeur-pompier volontaire, que le décret donne pouvoir à l'association nationale mentionnée à l'article 15-2 de la loi du 3 mai 1996 de fixer avec l'organisme gestionnaire de la prestation la valeur du point de service et omet de prendre en considération la situation particulière de chaque SDIS, il ne se prévaut d'aucune disposition ni d'aucun principe qui aurait été, de ce fait, méconnu. Par suite, le moyen soulevé par le défendeur, par voie d'exception, et tiré de l'illégalité du décret doit être écarté.

9. En troisième lieu, s'il est constant qu'après six années d'activité effective entre 2002 et 2007 comme sapeur-pompier volontaire au sein du SDIS du Val-d'Oise, M. B... n'a plus eu qu'une activité très réduite en 2008 et 2009 avant de cesser d'effectuer tout service en 2010, 2011 et 2012, aucune disposition législative ou règlementaire ne subordonne l'éligibilité à la prestation de fidélisation et de reconnaissance à la réalisation par le sapeur-pompier volontaire d'un minimum d'heures de service. Par suite, le SDIS du Val-d'Oise ne pouvait pas refuser de verser sa contribution annuelle au motif que M. B...n'aurait pas effectué, au cours de l'année considérée, de vacation horaire, alors que son engagement en tant que sapeur-pompier volontaire n'avait été ni résilié ni suspendu. Les décisions attaquées doivent en conséquence, sans qu'il soit besoin d'examiner l'autre moyen de la requête, être annulées.

10. Il y a lieu, dès lors, de faire droit aux conclusions visant à enjoindre au SDIS du Val-d'Oise de verser la contribution annuelle concernant la prestation de fidélisation et de reconnaissance pour M. B...au titre de l'année 2011.

11. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge du SDIS du Val-d'Oise une somme de 2000 euros à verser à M. B...au titre de l'article L.761-1 du code de justice administrative. Les mêmes dispositions font obstacle à ce qu'une somme soit mise à la charge de M.B..., qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante.



D E C I D E :
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Article 1er : Le jugement du 23 mars 2015 du tribunal administratif de Cergy-Pontoise est annulé.
Article 2 : La décision du 28 mars 2012 du directeur du SDIS du Val-d'Oise et la décision du 5 juin 2012 du président du conseil d'administration du SDIS du Val-d'Oise sont annulées.
Article 3 : Il est enjoint au SDIS du Val-d'Oise de verser la contribution publique annuelle concernant la prestation de fidélité et de reconnaissance de M. B...au titre de l'année 2011.
Article 4 : Le SDIS du Val-d'Oise versera à M. B...une somme de 2000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 5 : Les conclusions du SDIS du Val-d'Oise présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 6 : La présente décision sera notifiée à M. A...B...et au service départemental d'incendie et de secours du Val-d'Oise.