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Ariane Web: Conseil d'État 414123, lecture du 20 décembre 2018, ECLI:FR:CECHR:2018:414123.20181220

Décision n° 414123
20 décembre 2018
Conseil d'État

N° 414123
ECLI:FR:CECHR:2018:414123.20181220
Inédit au recueil Lebon
5ème et 6ème chambres réunies
Mme Louise Cadin, rapporteur
M. Nicolas Polge, rapporteur public


Lecture du jeudi 20 décembre 2018
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés le 7 septembre 2017 et le 6 juin 2018 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'association " Le CLER - Réseau pour la transition énergétique ", la Fondation Abbé A...pour le logement des défavorisés et l'association " France Nature Environnement " demandent au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir le décret n° 2017-312 du 9 mars 2017 modifiant le décret n° 2002-120 du 30 janvier 2002 relatif aux caractéristiques du logement décent pris pour l'application de l'article 187 de la loi n° 2000-1208 du 13 décembre 2000 relative à la solidarité et au renouvellement urbains ;

2°) d'enjoindre au Premier ministre, au ministre de la cohésion des territoires et au ministre de la transition écologique et solidaire de prendre, dans un délai de quatre mois, un nouveau décret pour l'application de l'article 12 de la loi n° 2015-992 du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte, sous astreinte de 150 euros par jour de retard ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 250 euros à verser à chaque requérante au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.



Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- la directive 2010/31/UE du 19 mai 2010 ;
- le code de la construction et de l'habitation ;
- la loi n° 89-462 du 6 juillet 1989 ;
- la loi n° 2015-992 du 17 août 2015 ;
- le décret n° 2002-120 du 30 janvier 2002 ;
- le décret n° 2015-1812 du 28 décembre 2015 ;
- le code de justice administrative ;



Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Louise Cadin, auditrice,

- et les conclusions de M. Nicolas Polge, rapporteur public.



1. Considérant que l'UFC-Que Choisir justifie d'un intérêt suffisant à l'annulation du décret attaqué ; qu'ainsi son intervention est recevable ;

2. Considérant que l'article 6 de la loi du 6 juillet 1989 tendant à améliorer les rapports locatifs et portant modification de la loi n° 86-1290 du 23 décembre 1986, dans sa rédaction résultant de l'article 12 de la loi du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte, dispose que " le bailleur est tenu de remettre au locataire un logement décent (...) répondant à un critère de performance énergétique minimale (...) " et qu'" un décret en Conseil d'Etat définit le critère de performance énergétique minimale à respecter et un calendrier de mise en oeuvre échelonnée " ; que les associations et la fondation requérantes demandent l'annulation pour excès de pouvoir du décret du 9 mars 2017 pris pour l'application de ces dispositions ;

Sur le moyen tiré de la méconnaissance du droit européen :

3. Considérant qu'aux termes de l'article 4 de la directive du 19 mai 2010 sur la performance énergétique des bâtiments visée ci-dessus : " Les Etats membres prennent les mesures nécessaires pour garantir que des exigences minimales en matière de performance énergétique des bâtiments ou des unités de bâtiment soient fixées en vue de parvenir à des niveaux optimaux en fonction des coûts. (...) " ; qu'aux termes de son article 6 : " Les Etats membres prennent les mesures nécessaires pour garantir que les bâtiments neufs respectent les exigences minimales en matière de performance énergétique fixées conformément à l'article 4. (...) " ; qu'aux termes de son article 7 : " Les Etats membres prennent les mesures nécessaires pour garantir que, lorsque des bâtiments font l'objet de travaux de rénovation importants, la performance énergétique du bâtiment ou de sa partie rénovée soit améliorée de manière à pouvoir satisfaire aux exigences minimales en matière de performance énergétique fixées conformément à l'article 4 dans la mesure où cela est techniquement, fonctionnellement et économiquement réalisable. (...) " ; qu'enfin, l'article 3 de cette directive dispose que : " Les Etats membres appliquent une méthode de calcul de la performance énergétique des bâtiments conforme au cadre général commun établi à l'annexe I. / Cette méthode est adoptée au niveau national ou régional " ;

4. Considérant qu'il résulte de ces dispositions que les Etats membres sont tenus d'imposer le respect de normes minimales de performance énergétique lors de la construction des bâtiments neufs et de la rénovation des bâtiments existants ; que, cependant, le décret attaqué n'a pas pour objet de définir les normes de performance énergétique applicables en cas de construction ou de rénovation de bâtiments mais de définir les critères de performance énergétique dont la satisfaction permet à un logement donné à bail d'être regardé comme décent au sens de l'article 6 de la loi du 6 juillet 1989 ; que, dès lors, et en tout état de cause, les requérantes ne peuvent utilement soutenir que ce décret méconnaîtrait les objectifs de la directive faute de recourir à la méthode de calcul de la performance énergétique qu'elle prévoit en son article 3 ;

Sur le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions de l'article 6 de la loi du 6 juillet 1989 dans sa rédaction résultant de l'article 12 de la loi du 17 août 2015 :

5. Considérant que l'article 2 du décret attaqué ajoute de nouveaux critères à la définition du logement décent figurant à l'article 2 du décret du 30 janvier 2002 relatif aux caractéristiques du logement décent pris pour l'application de l'article 187 de la loi n° 2000-1208 du 13 décembre 2000 relative à la solidarité et au renouvellement urbains ; qu'il prévoit à cette fin l'application, à compter du 1er janvier 2018, d'un critère selon lequel le logement " est protégé contre les infiltrations d'air parasites. Les portes et fenêtres du logement ainsi que les murs et parois de ce logement donnant sur l'extérieur ou des locaux non chauffés présentent une étanchéité à l'air suffisante. Les ouvertures des pièces donnant sur des locaux annexes non chauffés sont munies de portes ou de fenêtres. Les cheminées doivent être munies de trappes " et, à compter du 1er juillet 2018, d'un critère selon lequel " le logement permet une aération suffisante. Les dispositifs d'ouverture et les éventuels dispositifs de ventilation des logements sont en bon état et permettent un renouvellement de l'air et une évacuation de l'humidité adaptés aux besoins d'une occupation normale du logement et au fonctionnement des équipements " ;

6. Considérant que, contrairement à ce que soutiennent les requérantes, les dispositions législatives citées au point 2 n'imposaient pas au pouvoir réglementaire de définir le critère de performance énergétique permettant de qualifier un logement donné à bail de décent par référence à un indicateur unique et chiffré ou quantifiable ; qu'il lui était loisible de retenir à cette fin plusieurs critères qualitatifs, conformément au parti choisi pour les autres dispositions de l'article 2 du décret du 30 janvier 2002 au sein duquel s'insèrent les dispositions litigieuses ; que les critères qualitatifs ajoutés par le décret attaqué, qui visent à garantir une étanchéité à l'air et une ventilation minimales du logement, ne sont pas étrangers à la garantie de l'effectivité du droit à un logement décent ; que le décret attaqué a pu légalement retenir, pour définir le " critère de performance énergétique " prévu par l'article 12 de la loi du 17 août 2015, un parti différent de celui retenu par le pouvoir règlementaire pour assurer l'application de l'article 13 de la même loi, qui prévoit que les organismes d'habitations à loyer modéré ne peuvent céder que les logement répondant à des " normes de performance énergétique minimales " fixées par décret ;

Sur les autres moyens :

7. Considérant que le décret contesté qui, ainsi qu'il a été dit ci-dessus, n'a pas méconnu la loi du 17 août 2015 dont il fait application, n'est pas entaché d'erreur manifeste d'appréciation en sa définition de critères qualitatifs permettant de définir les logements décents ;

8. Considérant qu'aux termes de la dernière phrase du premier alinéa de l'article 6 de la loi du 6 juillet 1989 dans sa rédaction résultant de l'article 12 de la loi du 17 août 2015 : " un décret en Conseil d'Etat définit le critère de performance énergétique minimale à respecter et un calendrier de mise en oeuvre échelonnée " ; qu'en prévoyant que le critère relatif à l'isolation des logements entrerait en vigueur le 1er janvier 2018 et celui relatif à leur ventilation le 1er juillet 2018, le décret attaqué a assuré la mise en oeuvre échelonnée ainsi prévue par le législateur ;

9. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que les requérantes ne sont pas fondées à demander l'annulation du décret qu'elles attaquent ;

10. Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de l'Etat qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante ;



D E C I D E :
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Article 1er : L'intervention de l'Union fédérale des consommateurs - Que choisir est admise.
Article 2 : La requête de l'association " Le CLER - Réseau pour la transition énergétique ", de la Fondation Abbé A...et de l'association " France nature environnement " est rejetée.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à l'association " Le CLER - Réseau pour la transition énergétique ", à la Fondation AbbéA..., à l'association " France nature environnement ", au Premier ministre, au ministre d'Etat, ministre de la transition écologique et solidaire, au ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales et à l'Union fédérale des consommateurs - Que choisir.


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