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Ariane Web: Conseil d'État 424520, lecture du 21 décembre 2018, ECLI:FR:CECHR:2018:424520.20181221

Décision n° 424520
21 décembre 2018
Conseil d'État

N° 424520
ECLI:FR:CECHR:2018:424520.20181221
Mentionné aux tables du recueil Lebon
5ème et 6ème chambres réunies
M. Alain Seban, rapporteur
SCP GADIOU, CHEVALLIER, avocats


Lecture du vendredi 21 décembre 2018
REPUBLIQUE FRANCAISE




Vu la procédure suivante :

Par un arrêt n° 17NC01727 du 25 septembre 2018, enregistré le même jour au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la cour administrative d'appel de Nancy, avant de statuer sur l'appel de l'Agence nationale de l'habitat (ANAH) tendant à l'annulation du jugement n° 1400195, 1400196 du 16 mai 2017 par lequel le tribunal administratif de Strasbourg a, à la demande de la SCI Chabert et de M.A..., annulé la décision du 31 octobre 2013 par laquelle l'ANAH leur a infligé des sanctions ainsi que le titre exécutoire, d'un montant de 38 263 euros, émis à l'encontre de la SCI Chabert le 8 novembre 2013, a décidé, par application des dispositions de l'article L. 113-1 du code de justice administrative, de transmettre le dossier de cette requête au Conseil d'Etat, en soumettant à son examen la question de savoir si les dispositions du code de la construction et de l'habitation, en ce qu'elles permettent au directeur général de l'ANAH d'être à la fois l'autorité à l'origine de la procédure de sanction, de présider la commission des recours et de prononcer la sanction, méconnaissent les exigences posées par l'article 6, paragraphe 1, de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et, en particulier, le principe d'impartialité.

Des observations, enregistrées le 17 octobre 2018, ont été présentées pour l'ANAH.

Des observations, enregistrées le 6 novembre 2018, ont été présentées par la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales.




Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code de la construction et de l'habitation ;

- le code de justice administrative ;



Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Alain Seban, conseiller d'Etat,
- les conclusions de Mme Cécile Barrois de Sarigny, rapporteur public.
- La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Gadiou, Chevallier, avocat de l'Agence nationale de l'habitat.
REND L'AVIS SUIVANT


1. Aux termes de l'article L. 321-1 du code de la construction et de l'habitation : " L'Agence nationale de l'habitat a pour mission, dans le respect des objectifs définis à l'article L. 301-1, de promouvoir le développement et la qualité du parc existant de logements privés, en particulier en ce qui concerne les performances thermiques et l'adaptation à la perte d'autonomie. Elle participe à la lutte contre l'habitat indigne et dégradé, aux actions de prévention et de traitement des copropriétés fragiles ou en difficulté, à la lutte contre la précarité énergétique et à l'amélioration des structures d'hébergement ". Aux termes de l'article R. 321-1 du même code : " L'Agence nationale de l'habitat est un établissement public administratif de l'Etat. / Elle est placée sous la tutelle des ministres chargés du logement, du budget et de l'économie. / Elle comprend, outre un conseil d'administration, (...) une commission des recours ". Aux termes de l'article L. 321-2 : " L'Agence nationale de l'habitat peut prononcer des sanctions à l'encontre des bénéficiaires des aides ou de leurs mandataires, ainsi que des signataires d'une convention prévue aux articles L. 321-4 ou L. 321-8, ayant contrevenu aux règles ou aux conventions conclues. Elle peut, pour une durée maximale de cinq ans, refuser une nouvelle demande d'aide émanant du même bénéficiaire. Elle peut également prononcer des sanctions pécuniaires dont le montant, qui ne peut excéder la moitié de l'aide accordée ou une somme équivalant à deux ans de loyers, est fixé par décret compte tenu de la gravité des faits reprochés et de la situation financière de la personne ou de l'organisme intéressé. Les personnes ou les organismes concernés sont mis en mesure de présenter leurs observations préalablement au prononcé des sanctions ". Aux termes de l'article R. 321-21 : " I. - En ce qui concerne les aides versées par l'agence : / Le conseil d'administration ou, par délégation, le directeur général de l'agence exerce le pouvoir de sanction prévu à l'article L. 321-2. Il peut, notamment, prononcer une sanction pécuniaire en cas de fausse déclaration ou de manoeuvre frauduleuse. L'avis de la commission des recours n'est pas requis pour les opérations mentionnées aux III, IV et V de l'article R. 321-12. / Le directeur général de l'agence notifie les griefs à la personne concernée et l'invite à présenter ses observations écrites. La notification est faite par tout moyen permettant de lui donner date certaine. Dans le délai d'un mois commençant à courir le lendemain du jour de la notification, le bénéficiaire de l'aide peut adresser des observations écrites à l'Agence. La date limite au-delà de laquelle celles-ci ne sont pas prises en considération est déterminée conformément aux prescriptions des articles L. 112-1 et L. 112-13 du code des relations entre le public et l'administration. Dans le même délai, le bénéficiaire de l'aide peut demander à présenter des observations orales devant la commission des recours, chargée de donner un avis préalable sur les sanctions, en se faisant assister, le cas échéant, par un conseil de son choix ou en se faisant représenter (...) ". Aux termes, enfin, de l'article R. 321-6-3 : " La commission des recours mentionnée à l'article R. 321-1 (...) / est chargée de donner un avis préalable aux décisions du conseil d'administration ou du directeur général de l'agence statuant sur les sanctions prévues à l'article L. 321-2. / (...) La commission est présidée par le directeur général de l'agence ou son représentant. Son secrétariat est assuré par l'agence. (...) ".

2. Les dispositions des articles R. 321-21 et R. 321-6-3 du code de la construction et de l'habitation, citées ci-dessus, confient au conseil d'administration de l'Agence nationale de l'habitat (ANAH) ou, par délégation, à son directeur général tant l'engagement de la procédure de sanction contre le bénéficiaire d'une aide ou le signataire d'une convention que la décision relative à la sanction. Elles prévoient par ailleurs que cette décision est prise au vu de l'avis d'une commission présidée par le directeur général ou son représentant. La cour administrative d'appel de Nancy soumet à l'examen du Conseil d'Etat, en application de l'article L. 113-1 du code de justice administrative, la question de savoir si ces dispositions, en tant qu'elles permettent que le directeur général engage la procédure puis décide de la sanction, au vu de l'avis d'un organisme qu'il a lui-même présidé, sont compatibles avec les exigences de l'article 6, paragraphe 1, de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, garantissant le droit à une procès équitable, et, en particulier, avec le principe d'impartialité. Afin d'éclairer la cour, il y a lieu d'envisager la légalité des dispositions réglementaires en cause au regard tant des stipulations de l'article 6, paragraphe 1, de la convention que du principe d'impartialité tel qu'il résulte du droit interne.

Sur la compatibilité de la procédure de sanction de l'ANAH avec les stipulations de l'article 6, paragraphe 1, de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales :

3. Si les poursuites engagées par l'ANAH en vue d'infliger des sanctions financières sur le fondement de l'article L. 321-1 du code de la construction et de l'habitation cité ci-dessus sont des accusations en matière pénale, au sens de l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, il n'en résulte pas que la procédure de sanction doive respecter les stipulations de cet article, dès lors, d'une part, que ni le conseil d'administration de l'ANAH, ni son directeur général, compétents pour prendre les mesures de sanction, ne peuvent être regardés comme un tribunal, au sens des stipulations de cet article, et, d'autre part, que la décision de sanction peut faire l'objet d'un recours de plein contentieux devant la juridiction administrative, devant laquelle la procédure est en tous points conforme aux exigences de l'article 6.

Sur le respect du principe d'impartialité tel qu'il résulte du droit interne :

4. Le principe d'impartialité, qui est un principe général du droit s'imposant à tous les organismes administratifs, n'impose pas qu'il soit procédé, au sein de l'ANAH, à une séparation des fonctions de poursuite et de sanction. En effet, d'une part, ainsi qu'il résulte des dispositions citées au point 1, l'ANAH n'est pas une autorité administrative ou publique indépendante mais un établissement public à caractère administratif placé sous la tutelle de l'Etat. D'autre part, les organes collégiaux qui interviennent dans la procédure ne peuvent raisonnablement donner à penser à la personne poursuivie qu'ils ont un fonctionnement de type juridictionnel, qu'il s'agisse de la commission des recours, qui n'a qu'un rôle consultatif, ou du conseil d'administration, qui, s'il peut se prononcer directement sur les sanctions, comprend, conformément à l'article R. 321-5 du code de la construction et de l'habitation, des représentants des ministres de tutelle et dont les délibérations, y compris celles portant le cas échéant sur des sanctions, sont susceptibles de faire l'objet d'une opposition de ces ministres, conformément à l'article R. 321-6 du même code. Ainsi, compte tenu de la soumission de l'établissement à la tutelle de l'Etat et de l'absence d'apparence de fonctionnement juridictionnel de ses organes, le principe d'impartialité ne fait pas obstacle à ce que le directeur général de l'ANAH puisse à la fois, par délégation du conseil d'administration, prendre l'initiative des poursuites et exercer le pouvoir de sanction, et présider en outre la commission consultative des recours. Ce principe ne s'oppose pas davantage à ce que le directeur général assiste avec voix consultative aux séances du conseil d'administration, comme le prévoit l'article R. 321-4 du code de la construction et de l'habitation, y compris lorsque ce dernier prend une décision de sanction.

5. Le présent avis sera notifié à la cour administrative d'appel de Nancy, à l'Agence nationale de l'habitat (ANAH), à la SCI Chabert, à M. A...et à la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales.

Il sera publié au Journal officiel de la République française.






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