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Ariane Web: Conseil d'État 406709, lecture du 28 décembre 2018, ECLI:FR:CEORD:2018:406709.20181228

Décision n° 406709
28 décembre 2018
Conseil d'État

N° 406709
ECLI:FR:CEORD:2018:406709.20181228
Mentionné aux tables du recueil Lebon

Mme Anne Iljic, rapporteur public
SCP PIWNICA, MOLINIE, avocats


Lecture du vendredi 28 décembre 2018
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

La société Alliance Développement Capital a demandé au tribunal administratif de Paris la décharge des suppléments d'impôt sur les sociétés et de contribution additionnelle sur cet impôt auxquels elle a été assujettie au titre des exercices 2003 et 2004 ainsi que des intérêts de retard et pénalités dont ils ont été assortis. Par un jugement nos 1203170, 1203177 du 10 décembre 2014, le tribunal administratif de Paris a partiellement rejeté ses demandes.

Par un arrêt n° 15PA00980 du 8 novembre 2016, la cour administrative d'appel de Paris a rejeté l'appel de la société Alliance Développement Capital contre ce jugement.

Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 9 janvier et 10 avril 2017 et le 8 janvier 2018 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Alliance Développement Capital demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cet arrêt ;

2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à son appel ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 000 euros au titre de l'article L 761-1 du code de justice administrative.


Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative ;



Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Pierre Ramain, maître des requêtes,

- les conclusions de Mme Anne Iljic, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Piwnica, Molinié, avocat de la société Alliance Développement Capital ;



Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la société Alliance Développement Capital, ADC, qui a pour objet principal l'acquisition ou la construction d'immeubles en vue de la location et la détention de participations dans des sociétés ayant cette même activité, a demandé au tribunal administratif de Paris la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie, ainsi que des pénalités y afférentes, au titre des exercices 2003 et 2004. Elle se pourvoit en cassation contre l'arrêt de la cour administrative d'appel de Paris du 8 novembre 2016 qui a rejeté son appel contre ce jugement en tant qu'il n'avait pas fait entièrement droit à ses demandes.

En ce qui concerne la remise en cause de la déduction d'une perte à raison de l'annulation de bons de souscription d'actions au titre de l'année 2003 :

2. Aux termes du 2° de l'article 38 du code général des impôts, le bénéfice imposable " est constitué par la différence entre les valeurs de l'actif net à la clôture et à l'ouverture de la période dont les résultats doivent servir de base à l'impôt diminuée des suppléments d'apport et augmentée des prélèvements effectués au cours de cette période par l'exploitant ou par les associés. L'actif net s'entend de l'excédent des valeurs d'actif sur le total formé au passif par les créances des tiers, les amortissements et les provisions justifiés ".

3. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la société requérante, après avoir procédé en décembre 2003 à la fusion-absorption de sa filiale, la société Eyra, s'est trouvée détenir des bons de souscription à ses propres actions émis et distribués par elle à ses actionnaires en septembre 2003 mais non utilisés et dont sa filiale était devenue entre temps propriétaire. Ayant procédé à l'annulation de ces bons de souscription le 31 décembre 2003, elle a comptabilisé, à la même date, une perte nette sur cession de valeurs mobilières de placement correspondant à la valeur de ces bons, laquelle s'élevait à 9 406 740 euros. L'administration fiscale a remis en cause la déduction de cette perte opérée sur le fondement du 2° de l'article 38 du code général des impôts au motif qu'elle n'aurait pas dû être déduite des résultats de la société ADC mais imputée directement sur ses capitaux propres.

4. En se bornant à estimer, de manière hypothétique, que la perte comptabilisée par la société ADC à raison de l'annulation des bons de souscription d'actions ne pouvait être admise en déduction de ses résultats de l'exercice 2003, alors qu'il lui revenait de déterminer, au vu des éléments produits par les parties, si une telle annulation était susceptible de générer une perte déductible des résultats de la société contribuable, comme celle-ci le soutenait, ou devait être imputée sur ses capitaux propres, la cour a méconnu son office.

En ce qui concerne la remise en cause du régime fiscal des sociétés mères au titre des dividendes perçus en 2003 et 2004 :

5. Aux termes de l'article 145 du code général des impôts, dans sa rédaction applicable aux impositions litigieuses : " 1. Le régime fiscal des sociétés mères, tel qu'il est défini aux articles 146 et 216, est applicable aux sociétés et autres organismes soumis à l'impôt sur les sociétés au taux normal qui détiennent des participations satisfaisant aux conditions ci-après : a. les titres de participations doivent revêtir la forme nominative ou être déposés dans un établissement désigné par l'administration ; b. les titres de participation doivent représenter au moins 5 % du capital de la société émettrice (...) ; c. les titres de participations doivent avoir été souscrits à l'émission. A défaut, la personne morale participante doit avoir pris l'engagement de les conserver pendant un délai de deux ans. (...). ". Aux termes de l'article 216 du même code : " I. Les produits nets des participations, ouvrant droit à l'application du régime des sociétés mères et visées à l'article 145, touchés au cours d'un exercice par une société mère, peuvent être retranchés du bénéfice net total de celle-ci, défalcation faite d'une quote-part de frais et charges (...) ". Aux termes du I de l'article 219 du même code, dans sa rédaction alors applicable : " (...) a ter. Le régime des plus-values et moins-values à long terme cesse de s'appliquer au résultat de la cession de titres du portefeuille réalisée au cours d'un exercice ouvert à compter du 1er janvier 1994 à l'exclusion des parts ou actions de sociétés revêtant le caractère de titres de participation (...). Pour les exercices ouverts à compter de la même date, le régime des plus ou moins-values à long terme cesse également de s'appliquer en ce qui concerne les titres de sociétés dont l'actif est constitué principalement par des titres exclus de ce régime ou dont l'activité consiste de manière prépondérante en la gestion des mêmes valeurs pour leur propre compte. Pour l'application des premier et deuxième alinéas, constituent des titres de participation les parts ou actions de sociétés revêtant ce caractère sur le plan comptable. Il en va de même (...) des titres ouvrant droit au régime des sociétés mères, (...) si ces (...) titres sont inscrits en comptabilité au compte de titres de participation ou à une subdivision spéciale d'un autre compte du bilan correspondant à leur qualification comptable (...) ".

6. Aux termes de l'article L. 64 du livre des procédures fiscales, dans sa rédaction antérieure à la loi du 30 décembre 2008 de finances rectificative pour 2008 qui est applicable au présent litige : " Ne peuvent être opposés à l'administration des impôts les actes qui dissimulent la portée véritable d'un contrat ou d'une convention à l'aide de clauses : (...) b) (...) qui déguisent soit une réalisation, soit un transfert de bénéfices ou de revenus ; (...) L'administration est en droit de restituer son véritable caractère à l'opération litigieuse. En cas de désaccord sur les redressements notifiés sur le fondement du présent article, le litige est soumis, à la demande du contribuable, à l'avis du comité consultatif pour la répression des abus de droit. L'administration peut également soumettre le litige à l'avis du comité dont les avis rendus feront l'objet d'un rapport annuel. Si l'administration ne s'est pas conformée à l'avis du comité, elle doit apporter la preuve du bien-fondé du redressement ".

7. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que l'administration, pour fonder les redressements litigieux au titre des années 2003 et 2004 en écartant les actes passés par la contribuable et lui refuser le bénéfice de l'application du régime mère-fille ainsi que la déduction des provisions constituées pour dépréciation de ses titres de participation dans les sociétés EFC et LDH, en application des dispositions, citées au point 6, de l'article L. 64 du livre des procédures fiscales, a relevé que la société requérante avait acheté ces participations dans ces deux sociétés alors que celles-ci n'avaient plus aucune activité et a estimé que la contribuable n'avait jamais eu l'intention de développer leur activité mais avait poursuivi le seul but de devenir fiscalement déficitaire grâce à l'application du régime mère-fille et à la création de provisions pour dépréciation de titres. Le comité de répression des abus de droit a confirmé, par l'avis rendu en sa séance du 19 mars 2009, le bien-fondé de la mise en oeuvre, à l'encontre de la société requérante, de la procédure de répression des abus de droit.

8. Il résulte de l'ensemble des travaux préparatoires du régime fiscal des sociétés mères, en particulier des travaux préparatoires de l'article 27 de la loi du 31 juillet 1920 portant fixation du budget général de l'exercice 1920, de l'article 53 de la loi du 31 décembre 1936 portant réforme fiscale, de l'article 45 de la loi du 14 avril 1952 portant loi de finances pour 1952, des articles 20 et 21 de la loi du 12 juillet 1965 modifiant l'imposition des entreprises et des revenus de capitaux mobiliers et de l'article 9 de la loi de finances pour 2001, ainsi que de la circonstance que le bénéfice de ce régime fiscal a toujours été subordonné à une condition de détention des titres depuis l'origine ou de durée minimale de détention, et, depuis 1936, à une condition de seuil de participation minimale dans le capital des sociétés émettrices, que le législateur, en cherchant à supprimer ou à limiter la succession d'impositions susceptibles de frapper les produits que les sociétés mères perçoivent de leurs participations dans des sociétés filles et ceux qu'elles redistribuent à leurs propres actionnaires, a eu comme objectif de favoriser l'implication des sociétés mères dans le développement économique des sociétés filles pour les besoins de la structuration et du renforcement de l'économie française. Le fait d'acquérir des sociétés ayant cessé leur activité initiale et liquidé leurs actifs, dans le but d'en récupérer les liquidités par le versement de dividendes exonérés d'impôt sur les sociétés en application du régime de faveur des sociétés mères, sans prendre aucune mesure de nature à leur permettre de reprendre et développer leur ancienne activité ou d'en trouver une nouvelle, va à l'encontre de cet objectif.

9. D'une part, il ressort des énonciations de l'arrêt attaqué que la distribution de dividendes à laquelle les sociétés EFC et LDH ont procédé au profit de la société ADC dans les jours qui ont suivi leur acquisition par cette dernière a eu pour effet de les priver des moyens susceptibles de leur permettre de retrouver une activité et que la société ADC n'a pris aucune mesure de nature à favoriser leur développement. En déduisant de ces éléments, par un arrêt suffisamment motivé, que la société requérante avait recherché le bénéfice d'une application du régime des sociétés mères contraire à l'intention du législateur, la cour n'a pas commis d'erreur de droit, quand bien même l'objectif du régime des sociétés mères n'aurait été explicité par la jurisprudence que postérieurement à l'acquisition des sociétés EFC et LDH. Par ailleurs, contrairement à ce que soutient la société requérante, en mentionnant un groupe informel constitué avec ses filiales distributrices, la cour n'a pas commis d'erreur de droit.

10. D'autre part, s'il ressort des énonciations de l'arrêt attaqué que la société requérante soutenait que les opérations en litige avaient permis un " gain financier significatif " sur l'ensemble des opérations en cause de près de 1 770 000 euros, égal à la différence entre le montant des dividendes qu'elle avait reçus de ses filiales et le montant des provisions comptabilisées, la cour n'a pas commis d'erreur de droit en jugeant qu'une telle différence comptable ne peut être regardée comme de nature à justifier le montage litigieux dès lors qu'en l'absence de tout autre effet de l'opération, elle ne peut résulter que d'un partage de l'avantage fiscal entre le cédant et le cessionnaire des sociétés EFC et LDH.

11. Il résulte de ce qui a été rappelé au point 8 qu'en jugeant que les opérations litigieuses contrevenaient aux objectifs du régime fiscal des sociétés mères et poursuivaient un but exclusivement fiscal, la cour n'a pas entaché son arrêt d'erreur de droit.

En ce qui concerne l'imposition de la plus-value à long terme résultant de la cession de la participation dans la société SAMRIF :

12. Aux termes du 1 du I de l'article 39 quindecies du code général des impôts : " Sous réserve des dispositions des articles 41, 151 octies et 210 A à 210 C, le montant net des plus-values à long terme fait l'objet d'une imposition séparée au taux de 16 % (...) / Toutefois, ce montant net n'est pas imposable lorsqu'il est utilisé à compenser le déficit d'exploitation de l'exercice. Le déficit ainsi annulé ne peut plus être reporté sur les bénéfices des exercices ultérieurs. (...) ". Par ces dispositions, le législateur a offert aux entreprises le choix d'éviter la taxation du montant net des plus-values à long terme en le compensant avec un déficit ordinaire constaté au titre de l'exercice ou reportable sur cet exercice. Lorsqu'un contribuable a effectué ce choix, il prend une décision de gestion qui lui est opposable.

13. Il ressort des énonciations de l'arrêt attaqué que la société requérante avait imputé sur le déficit de l'exercice 2004 la plus-value de 2 300 000 euros réalisée le 30 juin 2004 à la suite de la cession de ses titres de participation dans la société civile à prépondérance immobilière SAMRIF. Mais à la suite de l'annulation des déficits déclarés par la société requérante à raison du redressement, rappelé au point 7, remettant en cause le bénéfice du régime mère-fille, l'administration a imposé cette plus-value au taux normal de l'impôt sur les sociétés. En jugeant qu'en choisissant d'imputer la plus-value en litige sur le déficit déclaré la société requérante avait pris une décision de gestion qui lui était opposable et qui lui interdisait de demander ultérieurement le bénéfice de l'imposition au taux réduit de la plus-value, alors même que postérieurement ce déficit avait été remis en cause par l'administration, la cour n'a pas commis d'erreur de droit.

En ce qui concerne l'application de la majoration de 80 % pour abus de droit :

14. Il résulte des dispositions de l'article L. 64 du livre des procédures fiscales que lorsque l'administration use des pouvoirs qu'elles lui confèrent dans des conditions telles que la charge de la preuve lui incombe, elle est fondée à écarter comme ne lui étant pas opposables certains actes passés par le contribuable dès lors qu'elle établit que ces actes, même s'ils n'ont pas un caractère fictif, n'ont pu être inspirés par aucun motif autre que celui d'éluder ou d'atténuer les charges fiscales que l'intéressé, s'il n'avait pas passé ces actes, aurait normalement supportées eu égard à sa situation et à ses activités réelles. Par ailleurs, la qualification d'abus de droit, s'agissant d'un acte n'ayant pas un caractère fictif, est subordonnée à la condition que l'acte en cause procède de la recherche du bénéfice d'une application littérale des textes à l'encontre des objectifs poursuivis par leurs auteurs. Par suite, l'article L. 64 du livre des procédures fiscales, dans sa rédaction antérieure à la loi du 30 décembre 2008 de finances rectificative pour 2008, et le b de l'article 1729 du code général des impôts en tant qu'il institue une majoration en cas d'abus de droit, ne présentent aucune ambiguïté en ce qui concerne la définition des infractions qu'ils sanctionnent. Il suit de là que la cour administrative d'appel n'a pas commis d'erreur de droit en jugeant que ces dispositions étaient dépourvues d'ambigüité.

15. Ainsi qu'il a été dit au point 8, l'intention des auteurs des textes relatifs au régime des sociétés mères résulte des textes définissant le régime fiscal des sociétés et des travaux préparatoires à ces textes, qui sont antérieurs aux faits de l'espèce. Par suite, ne peut qu'être écarté le moyen tiré de l'erreur de droit qu'aurait commise la cour en jugeant que l'administration était fondée à appliquer la majoration prévue par l'article 1729 du code général des impôts alors que la société ne pouvait avoir eu l'intention délibérée de méconnaître l'intention du législateur qui aurait été révélée postérieurement à ses agissements.

16. Il résulte de tout ce qui précède que la société ADC n'est fondée à demander l'annulation de l'arrêt de la cour administrative d'appel de Paris qu'elle attaque qu'en tant qu'il se prononce sur la réduction du résultat fiscal pour l'exercice 2003 résultant de la prise en compte de l'annulation de bons de souscription d'actions. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros à verser à la société ADC au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.



D E C I D E :
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Article 1er : L'arrêt de la cour administrative d'appel de Paris est annulé en tant qu'il se prononce sur la réduction du résultat fiscal pour l'exercice 2003 de la société Alliance Développement Capital résultant de la prise en compte de l'annulation de bons de souscription d'actions.
Article 2 : L'affaire est renvoyée, dans cette mesure, à la cour administrative d'appel de Paris.
Article 3 : L'Etat versera à la société Alliance Développement Capital une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions du pourvoi est rejeté.
Article 5 : La présente décision sera notifiée à la société Alliance Développement Capital et au ministre de l'action et comptes publics.


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