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Ariane Web: Conseil d'État 406714, lecture du 28 décembre 2018, ECLI:FR:CEORD:2018:406714.20181228

Décision n° 406714
28 décembre 2018
Conseil d'État

N° 406714
ECLI:FR:CEORD:2018:406714.20181228
Inédit au recueil Lebon

Mme Anne Iljic, rapporteur public
SCP PIWNICA, MOLINIE, avocats


Lecture du vendredi 28 décembre 2018
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

La société Acanthe Développement a demandé au tribunal administratif de Paris de prononcer la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés et des contributions additionnelles, ainsi que des pénalités y afférentes, auxquelles elle a été assujettie au titre des exercices clos en 2004 et 2005. Par un jugement n° 1115513/1-1 du 10 décembre 2014, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.

Par un arrêt n° 15PA00981 du 8 novembre 2016, la cour administrative d'appel de Paris a rejeté l'appel de la société Acanthe Développement contre ce jugement.

Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 9 janvier et 10 avril 2017 et le 8 janvier 2018 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Acanthe Développement demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cet arrêt ;

2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à son appel ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.


Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative ;



Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Pierre Ramain, maître des requêtes,

- les conclusions de Mme Anne Iljic, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Piwnica, Molinié, avocat de la société Acanthe Développement ;



Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la société anonyme Acanthe Développement, qui a pour activité la détention de participations de sociétés, a fait l'objet d'une vérification de comptabilité portant sur les exercices clos les 31 décembre 2004 et 2005 à l'issue de laquelle l'administration fiscale a remis en cause, sur le fondement de l'article L. 64 du livre des procédures fiscales, le bénéfice du régime des sociétés mères à l'égard de ses filiales, les sociétés Tissage Millotte et Courbet. La société Acanthe Développement se pourvoit en cassation contre l'arrêt de la cour administrative d'appel de Paris du 8 novembre 2016 qui a rejeté son appel contre le jugement administratif de Paris du 10 décembre 2014 rejetant sa demande de décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie en conséquence au titre des exercices clos en 2004 et 2005.

En ce qui concerne la remise en cause du régime fiscal des sociétés mères au titre des dividendes perçus en 2004 :

2. Aux termes de l'article 145 du code général des impôts, dans sa rédaction applicable aux impositions litigieuses : " 1. Le régime fiscal des sociétés mères, tel qu'il est défini aux articles 146 et 216, est applicable aux sociétés et autres organismes soumis à l'impôt sur les sociétés au taux normal qui détiennent des participations satisfaisant aux conditions ci-après : a. les titres de participations doivent revêtir la forme nominative ou être déposés dans un établissement désigné par l'administration ; b. les titres de participation doivent représenter au moins 5 % du capital de la société émettrice (...) ; c. les titres de participations doivent avoir été souscrits à l'émission. A défaut, la personne morale participante doit avoir pris l'engagement de les conserver pendant un délai de deux ans. (...). ". Aux termes de l'article 216 du même code : " I. Les produits nets des participations, ouvrant droit à l'application du régime des sociétés mères et visées à l'article 145, touchés au cours d'un exercice par une société mère, peuvent être retranchés du bénéfice net total de celle-ci, défalcation faite d'une quote-part de frais et charges (...) ". Aux termes du I de l'article 219 du même code, dans sa rédaction alors applicable : " (...) a ter. Le régime des plus-values et moins-values à long terme cesse de s'appliquer au résultat de la cession de titres du portefeuille réalisée au cours d'un exercice ouvert à compter du 1er janvier 1994 à l'exclusion des parts ou actions de sociétés revêtant le caractère de titres de participation (...). Pour les exercices ouverts à compter de la même date, le régime des plus ou moins-values à long terme cesse également de s'appliquer en ce qui concerne les titres de sociétés dont l'actif est constitué principalement par des titres exclus de ce régime ou dont l'activité consiste de manière prépondérante en la gestion des mêmes valeurs pour leur propre compte. Pour l'application des premier et deuxième alinéas, constituent des titres de participation les parts ou actions de sociétés revêtant ce caractère sur le plan comptable. Il en va de même (...) des titres ouvrant droit au régime des sociétés mères, (...) si ces (...) titres sont inscrits en comptabilité au compte de titres de participation ou à une subdivision spéciale d'un autre compte du bilan correspondant à leur qualification comptable (...) ".

3. Aux termes de l'article L. 64 du livre des procédures fiscales, dans sa rédaction antérieure à la loi du 30 décembre 2008 de finances rectificative pour 2008 qui est applicable au présent litige : " Ne peuvent être opposés à l'administration des impôts les actes qui dissimulent la portée véritable d'un contrat ou d'une convention à l'aide de clauses : (...) b) (...) qui déguisent soit une réalisation, soit un transfert de bénéfices ou de revenus ; (...) L'administration est en droit de restituer son véritable caractère à l'opération litigieuse. En cas de désaccord sur les redressements notifiés sur le fondement du présent article, le litige est soumis, à la demande du contribuable, à l'avis du comité consultatif pour la répression des abus de droit. L'administration peut également soumettre le litige à l'avis du comité dont les avis rendus feront l'objet d'un rapport annuel. Si l'administration ne s'est pas conformée à l'avis du comité, elle doit apporter la preuve du bien-fondé du redressement. ".

4. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que l'administration, pour fonder le redressement litigieux au titre de l'année 2004 en écartant les actes passés par la contribuable et lui refuser le bénéfice de l'application du régime mère-fille ainsi que la déduction des provisions constituées pour dépréciation de ses titres de participation dans les sociétés Tissage Millotte et Courbet, en application des dispositions, citées au point 3, de l'article L. 64 du livre des procédures fiscales, a relevé que la société requérante avait acheté ces participations dans ces deux sociétés, alors que celles-ci n'avaient plus aucune activité et a estimé que la contribuable n'avait jamais eu l'intention de développer leur activité mais avait poursuivi le seul but de devenir fiscalement déficitaire grâce à l'application du régime mère-fille et à la création de provisions pour dépréciation de titres. Le comité de répression des abus de droit a confirmé, par l'avis rendu en sa séance du 25 novembre 2010, le bien-fondé de la mise en oeuvre, à l'encontre de la société requérante, de la procédure de répression des abus de droit.

5. Il résulte de l'ensemble des travaux préparatoires du régime fiscal des sociétés mères, en particulier des travaux préparatoires de l'article 27 de la loi du 31 juillet 1920 portant fixation du budget général de l'exercice 1920, de l'article 53 de la loi du 31 décembre 1936 portant réforme fiscale, de l'article 45 de la loi du 14 avril 1952 portant loi de finances pour 1952, des articles 20 et 21 de la loi du 12 juillet 1965 modifiant l'imposition des entreprises et des revenus de capitaux mobiliers et de l'article 9 de la loi de finances pour 2001, ainsi que de la circonstance que le bénéfice de ce régime fiscal a toujours été subordonné à une condition de détention des titres depuis l'origine ou de durée minimale de détention, et, depuis 1936, à une condition de seuil de participation minimale dans le capital des sociétés émettrices, que le législateur, en cherchant à supprimer ou à limiter la succession d'impositions susceptibles de frapper les produits que les sociétés mères perçoivent de leurs participations dans des sociétés filles et ceux qu'elles redistribuent à leurs propres actionnaires, a eu comme objectif de favoriser l'implication des sociétés mères dans le développement économique des sociétés filles pour les besoins de la structuration et du renforcement de l'économie française. Le fait d'acquérir des sociétés ayant cessé leur activité initiale et liquidé leurs actifs, dans le but d'en récupérer les liquidités par le versement de dividendes exonérés d'impôt sur les sociétés en application du régime de faveur des sociétés mères, sans prendre aucune mesure de nature à leur permettre de reprendre et développer leur ancienne activité ou d'en trouver une nouvelle, va à l'encontre de cet objectif.

6. D'une part, il ressort des énonciations de l'arrêt attaqué que la distribution de dividendes à laquelle les sociétés Tissage Millotte et Courbet ont procédé au profit de la société Acanthe Développement a eu pour effet de priver ces dernières des moyens susceptibles de leur permettre de retrouver une activité et que la société Acanthe Développement n'a pris aucune mesure de nature à favoriser le développement des sociétés dont elle venait d'acquérir les titres. En déduisant de ces éléments que la société requérante avait recherché le bénéfice d'une application du régime des sociétés mères contraire à l'intention du législateur, la cour n'a pas commis d'erreur de droit, quand bien même l'objectif du régime des sociétés mères n'aurait été explicité par la jurisprudence que postérieurement à l'acquisition de ces filiales.

7. D'autre part, s'il ressort des énonciations de l'arrêt attaqué que la société requérante soutenait que l'opération en litige n'avait pas eu un but exclusivement fiscal, dès lors qu'elle avait permis un " gain financier significatif " sur l'ensemble des opérations en cause de près de 3 255 000 d'euros, égal à la différence entre le montant des dividendes qu'elle avait reçus des filiales et le montant des provisions comptabilisées, la cour n'a pas commis d'erreur de droit en jugeant qu'une telle différence comptable ne peut être regardée comme de nature à justifier le montage litigieux dès lors qu'en l'absence de tout autre effet de l'opération, elle ne peut résulter que d'un partage de l'avantage fiscal entre le cédant et le cessionnaire des sociétés Tissage Millotte et Courbet.

8. Il résulte de ce qui a été rappelé au point 5 qu'en jugeant que les opérations litigieuses contrevenaient aux objectifs du régime fiscal des sociétés mères et poursuivaient un but exclusivement fiscal, la cour n'a pas entaché son arrêt d'erreur de droit.

En ce qui concerne l'application de la majoration de 80 % pour abus de droit :

9. Il résulte des dispositions de l'article L. 64 du livre des procédures fiscales que lorsque l'administration use des pouvoirs qu'elles lui confèrent dans des conditions telles que la charge de la preuve lui incombe, elle est fondée à écarter comme ne lui étant pas opposables certains actes passés par le contribuable dès lors qu'elle établit que ces actes, même s'ils n'ont pas un caractère fictif, n'ont pu être inspirés par aucun motif autre que celui d'éluder ou d'atténuer les charges fiscales que l'intéressé, s'il n'avait pas passé ces actes, aurait normalement supportées eu égard à sa situation et à ses activités réelles. La qualification d'abus de droit, s'agissant d'un acte n'ayant pas un caractère fictif, est subordonnée à la condition que l'acte en cause procède de la recherche du bénéfice d'une application littérale des textes à l'encontre des objectifs poursuivis par leurs auteurs. Par suite, l'article L. 64 du livre des procédures fiscales, dans sa rédaction antérieure à la loi du 30 décembre 2008 de finances rectificative pour 2008, et le b de l'article 1729 du code général des impôts en tant qu'il institue une majoration en cas d'abus de droit, ne présentent aucune ambiguïté en ce qui concerne la définition des infractions qu'ils sanctionnent. Il suit de là que la cour administrative d'appel n'a pas commis d'erreur de droit en jugeant que ces dispositions étaient dépourvues d'ambigüité.

10. Ainsi qu'il a été dit au point 5, l'intention des auteurs des textes relatifs au régime des sociétés mères résulte des textes définissant le régime fiscal des sociétés et des travaux préparatoires à ces textes, qui sont antérieurs aux faits de l'espèce. Par suite, ne peut qu'être écarté le moyen tiré de l'erreur de droit qu'aurait commise la cour en jugeant que l'administration était fondée à appliquer la majoration prévue par l'article 1729 du code général des impôts alors que la société ne pouvait avoir eu l'intention délibérée de méconnaître l'intention du législateur qui aurait été révélée postérieurement à ses agissements.

11. Il résulte de tout ce qui précède que la société Acanthe Développement n'est pas fondée à demander l'annulation de l'arrêt qu'elle attaque. Sa requête doit être rejetée, y compris, par voie de conséquence, ses conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.



D E C I D E :
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Article 1er : Le pourvoi de la société Acanthe Développement est rejeté.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à la société Acanthe Développement et au ministre de l'action et comptes publics.


Voir aussi