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Ariane Web: Conseil d'État 421329, lecture du 28 décembre 2018, ECLI:FR:CEORD:2018:421329.20181228

Décision n° 421329
28 décembre 2018
Conseil d'État

N° 421329
ECLI:FR:CEORD:2018:421329.20181228
Inédit au recueil Lebon

Mme Anne Iljic, rapporteur public


Lecture du vendredi 28 décembre 2018
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

Par deux mémoires, enregistrés les 5 octobre et 19 novembre 2018 au secrétariat du Conseil d'Etat, l'association Cercle de réflexion et de proposition d'actions sur la psychiatrie demande au Conseil d'Etat, en application de l'article 23-5 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, et à l'appui de sa requête tendant à l'annulation pour excès de pouvoir du décret n° 2018-383 du 23 mai 2018 autorisant les traitements de données à caractère personnel relatifs au suivi des personnes en soins psychiatriques sans consentement, de renvoyer au Conseil constitutionnel la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution de l'article L. 3213-7 du code de la santé publique.


Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- la Constitution, notamment son Préambule et ses articles 61-1 et 66 ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;
- le code pénal ;
- le code de la santé publique, notamment son article L. 3213-7 ;
- le code de justice administrative ;



Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Richard Senghor, conseiller d'Etat,

- les conclusions de Mme Anne Iljic, rapporteur public ;

Vu la note en délibéré, enregistrée le 27 décembre 2018, présentée par l'association CRPA ;



Considérant ce qui suit :

1. Aux termes du premier alinéa de l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel : " Le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution peut être soulevé (...) à l'occasion d'une instance devant le Conseil d'Etat (...) ". Il résulte des dispositions de ce même article que le Conseil constitutionnel est saisi de la question prioritaire de constitutionnalité à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances et que la question soit nouvelle ou présente un caractère sérieux.

2. Aux termes de l'article L. 3213-7 du code de la santé publique, dans sa rédaction issue de la loi du 27 septembre 2013 modifiant certaines dispositions issues de la loi du 5 juillet 2011 relative aux droits et à la protection des personnes faisant l'objet de soins psychiatriques et aux modalités de leur prise en charge : " Lorsque les autorités judiciaires estiment que l'état mental d'une personne qui a bénéficié, sur le fondement du premier alinéa de l'article 122-1 du code pénal, d'un classement sans suite, d'une décision d'irresponsabilité pénale ou d'un jugement ou arrêt de déclaration d'irresponsabilité pénale nécessite des soins et compromet la sûreté des personnes ou porte atteinte de façon grave à l'ordre public, elles avisent immédiatement la commission mentionnée à l'article L. 3222-5 du présent code ainsi que le représentant de l'Etat dans le département qui ordonne sans délai la production d'un certificat médical circonstancié portant sur l'état actuel du malade. Au vu de ce certificat, il peut prononcer une mesure d'admission en soins psychiatriques dans les conditions définies à l'article L. 3213-1. Toutefois, si la personne concernée fait déjà l'objet d'une mesure de soins psychiatriques en application du même article L. 3213-1, la production de ce certificat n'est pas requise pour modifier le fondement de la mesure en cours. / A toutes fins utiles, le procureur de la République informe le représentant de l'Etat dans le département de ses réquisitions ainsi que des dates d'audience et des décisions rendues. / Si l'état de la personne mentionnée au premier alinéa le permet, celle-ci est informée par les autorités judiciaires de l'avis dont elle fait l'objet ainsi que des suites que peut y donner le représentant de l'Etat dans le département. Cette information lui est transmise par tout moyen et de manière appropriée à son état. / L'avis mentionné au premier alinéa indique si la procédure concerne des faits punis d'au moins cinq ans d'emprisonnement en cas d'atteinte aux personnes ou d'au moins dix ans d'emprisonnement en cas d'atteinte aux biens. Dans ce cas, la personne est également informée des conditions dans lesquelles il peut être mis fin à la mesure de soins psychiatriques en application des articles L. 3211-12, L. 3211-12-1 et L. 3213-8 ".

3. L'association Cercle de réflexion et de proposition d'actions sur la psychiatrie soutient que les dispositions de l'article L. 3213-7 du code de la santé publique en tant, d'une part, qu'elles s'appliquent aux personnes ayant fait l'objet d'un classement sans suite sur le fondement de l'article 122-1 du code pénal, qui ne fait pas l'objet d'une procédure contradictoire, et, d'autre part, qu'elles n'imposent l'information de la personne concernée par l'avis transmis par l'autorité judiciaire au représentant de l'Etat dans le département que lorsque son état le permet, sont contraires à la protection de la santé garantie par le Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, à l'article 66 de la Constitution du 4 octobre 1958 et aux articles 2 et 4 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, garantissant la liberté d'aller et venir et le respect de la vie privée.

4. Il appartient au législateur d'assurer la conciliation entre, d'une part, la protection de la santé des personnes souffrant de troubles mentaux ainsi que la prévention des atteintes à l'ordre public, nécessaire à la sauvegarde de droits et de principes de valeur constitutionnelle et, d'autre part, la protection des droits et libertés constitutionnellement garantis au nombre desquels figurent la liberté d'aller et venir et le respect de la vie privée, protégés par les articles 2 et 4 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, ainsi que la liberté individuelle que l'article 66 de la Constitution place sous la protection de l'autorité judiciaire.

5. Les dispositions de l'article L. 3213-7 du code de la santé publique instaurent une procédure d'alerte qui permet aux autorités judiciaires, lorsqu'elles constatent qu'une personne mise en cause ou poursuivie qui nécessite des soins et compromet la sûreté des personnes ou porte atteinte de façon grave à l'ordre public, échappe à la répression pénale en application de l'article 122-1 du code pénal, d'aviser l'autorité administrative compétente pour qu'elle puisse, le cas échéant, mettre en oeuvre la procédure administrative que constitue l'obligation de soins psychiatriques sans consentement. Ces dispositions prévoient l'information de la personne concernée, par les autorités judiciaires, de l'avis dont elle fait l'objet auprès du représentant de l'Etat dans le département ainsi que des suites qu'il peut y donner. Cet avis précise si les faits pour lesquels la personne a été déclarée pénalement irresponsable sont d'une gravité telle qu'ils entraînent l'application d'un régime spécifique de mainlevée par le juge et de levée par le représentant de l'Etat dans le département de la mesure de soins sans consentement. Si l'article L. 3213-7 du code de la santé publique précise que cette information est donnée à la personne concernée si son état le permet et " par tout moyen et de manière appropriée à son état ", ces dispositions permettent d'adapter les modalités de l'information de la personne pour des raisons objectives tenant à son état et à seule fin de garantir, autant qu'il est possible, le respect effectif de ses droits en donnant un effet utile à l'information qui lui est transmise. Enfin, ces modalités d'information sont sans préjudice des garanties qui accompagnent la procédure de placement en soins sans consentement d'une personne qui a bénéficié, sur le fondement du premier alinéa de l'article 122-1 du code pénal, d'un classement sans suite. Il s'ensuit que le moyen tiré de ce que les dispositions critiquées porteraient une atteinte disproportionnée au respect de la vie privée et à la liberté d'aller et venir garantis par les articles 2 et 4 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, à la protection de la santé garantie par le Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, ou à la liberté individuelle placée par l'article 66 de la Constitution sous la protection de l'autorité judiciaire ne soulève pas une question sérieuse de constitutionnalité.

6. Il résulte de ce qui précède qu'il n'y a pas lieu de renvoyer la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par l'association requérante au Conseil constitutionnel.



D E C I D E :
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Article 1er : Il n'y a pas lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par l'association Cercle de réflexion et de proposition d'actions sur la psychiatrie.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à l'association Cercle de réflexion et de proposition d'actions sur la psychiatrie et à la ministre des solidarités et de la santé.
Copie en sera adressée au Conseil constitutionnel et au Premier ministre.





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