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Ariane Web: Conseil d'État 418745, lecture du 11 janvier 2019, ECLI:FR:CECHR:2019:418745.20190111

Décision n° 418745
11 janvier 2019
Conseil d'État

N° 418745
ECLI:FR:CECHR:2019:418745.20190111
Mentionné aux tables du recueil Lebon
9ème - 10ème chambres réunies
M. Nicolas Agnoux, rapporteur
Mme Marie-Gabrielle Merloz, rapporteur public
SCP FOUSSARD, FROGER, avocats


Lecture du vendredi 11 janvier 2019
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

Par une requête et un mémoire en réplique enregistrés les 2 mars et 12 novembre 2018 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la Fédération française des combustibles, carburants et chauffages demande au Conseil d'Etat :

1°) à titre principal, d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté du ministre d'Etat, ministre de la transition écologique et solidaire du 22 décembre 2017 modifiant l'arrêté du 29 décembre 2014 relatif aux modalités d'application de la troisième période du dispositif des certificats d'économie d'énergie ;

2°) à titre subsidiaire, d'ordonner la tenue d'une médiation en application des dispositions de l'article L. 114-1 du code de justice administrative ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.


Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- le code de l'énergie ;
- le décret n° 2005-850 du 27 juillet 2005 ;
- le code de justice administrative ;


Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Nicolas Agnoux, maître des requêtes,

- les conclusions de Mme Marie-Gabrielle Merloz, rapporteur public.

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Foussard, Froger, avocat de la Fédération française des combustibles, carburants et chauffages.

Vu la note en délibéré, enregistrée le 9 janvier 2019, présentée par le ministre d'Etat, ministre de la transition écologique et solidaire ;




Considérant ce qui suit :

1. Les articles L. 221-1 à L. 222-9 du code de l'énergie instituent un dispositif soumettant les fournisseurs d'énergie dont les ventes excèdent un certain seuil à des obligations d'économies d'énergie, dont ils s'acquittent par la détention, à la fin de chaque période de référence, de certificats d'économies d'énergie. Les fournisseurs d'énergie peuvent réunir les certificats soit en réalisant eux-mêmes des économies d'énergie, soit en obtenant de leurs clients qu'ils en réalisent, soit en les acquérant auprès d'un autre fournisseur d'énergie ou d'une personne morale qui, en application de l'article L. 221-7 de ce code, est susceptible d'obtenir des certificats en contrepartie de mesures d'économies d'énergie réalisées volontairement.

2. Par un arrêté du 25 février 2017, la ministre de l'environnement, de l'énergie et de la mer, chargée des relations internationales sur le climat a modifié l'arrêté du 29 décembre 2014, pris pour l'application des dispositions mentionnées au point 1, pour y ajouter un article 3-4 prévoyant, en faveur des signataires de la charte intitulée " Coup de pouce économies d'énergie " qui s'engagent à accorder aux ménages en situation de précarité énergétique ou de grande précarité énergétique des réductions tarifaires sur certaines opérations réalisées pour leur compte et engagées entre le 1er mars 2017 et le 31 mars 2018, une bonification du volume des certificats d'économies d'énergie (CEE) correspondants.

3. Par un arrêté du 22 décembre 2017, le ministre d'Etat, ministre de la transition écologique et solidaire a modifié à nouveau l'arrêté du 29 décembre 2014 pour y ajouter un article 3-5, prolongeant le dispositif précité jusqu'au 31 décembre 2020 et modifiant les modalités d'attribution de la bonification du volume des CEE. S'agissant des équipements produisant de la chaleur, la bonification est désormais limitée aux hypothèses de remplacement d'une chaudière individuelle au fioul par une chaudière biomasse, une pompe à chaleur de type air/eau ou eau/eau, un système solaire combiné ou une pompe à chaleur hybride, et de remplacement d'une chaudière collective au fioul par un raccordement du bâtiment à un réseau de chaleur. La fédération requérante demande l'annulation pour excès de pouvoir de cet arrêté.

Sur la légalité externe :

4. L'article 1er du décret du 27 juillet 2005 relatif aux délégations de signature des membres du Gouvernement dispose que : " A compter du jour suivant la publication au Journal officiel de la République française de l'acte les nommant dans leurs fonctions (...) peuvent signer, au nom du ministre ou du secrétaire d'Etat et par délégation, l'ensemble des actes, à l'exception des décrets, relatifs aux affaires des services placés sous leur autorité : / 1° Les secrétaires généraux des ministères, les directeurs d'administration centrale (...) que le décret d'organisation du ministère rattache directement au ministre ou au secrétaire d'Etat ". L'arrêté du 22 décembre 2017 en litige a été signé par M. B...A..., directeur général de l'énergie et du climat, pour le ministre d'Etat, ministre de la transition écologique et solidaire et par délégation de celui-ci. Le directeur général de l'énergie et du climat est un directeur d'administration centrale, directement rattaché au ministre chargé de la transition écologique et solidaire. M. B...A...ayant été nommé par un décret du 19 décembre 2012 publié au Journal officiel de la République française le 21 décembre 2012, il avait, du fait de cette publication, qualité pour signer cet arrêté. Le moyen tiré de ce que ce dernier aurait été pris par une autorité incompétente doit, par suite, être écarté.

Sur la légalité interne :

5. Aux termes de l'article L. 100-1 du code de l'énergie : " La politique énergétique : / (...) 4° Préserve la santé humaine et l'environnement, en particulier en luttant contre l'aggravation de l'effet de serre et contre les risques industriels majeurs, en réduisant l'exposition des citoyens à la pollution de l'air et en garantissant la sûreté nucléaire ; / (...) 7° Contribue à la mise en place d'une Union européenne de l'énergie, qui vise à garantir la sécurité d'approvisionnement et à construire une économie décarbonée et compétitive, au moyen du développement des énergies renouvelables (...) ". Aux termes de l'avant-dernier alinéa de l'article L. 221-7 du même code : " L'installation d'équipements permettant le remplacement d'une source d'énergie non renouvelable par une source d'énergie renouvelable ou de récupération pour la production de chaleur donne lieu à la délivrance de certificats d'économies d'énergie selon des modalités de calcul spécifiques. " Aux termes de l'article R. 221-18 du même code dans sa rédaction applicable au litige : " La valeur des certificats d'économies d'énergie peut être pondérée en fonction de la nature des bénéficiaires des économies d'énergie, de la nature des actions d'économies d'énergie et de la situation énergétique de la zone géographique où les économies sont réalisées, dans des conditions arrêtées par le ministre chargé de l'énergie. " Enfin, aux termes de l'article R. 221-19 du même code : " Les actions prévues à l'avant-dernier alinéa de l'article L. 221-7 peuvent donner lieu à la délivrance de certificats d'économies d'énergie dans des conditions fixées par arrêté du ministre chargé de l'énergie si elles n'ont pas bénéficié d'une aide à l'investissement de la part de l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie, notamment dans le cadre du Fonds de soutien au développement de la production et de la distribution de chaleur. "

6. En premier lieu, le principe de liberté du commerce et de l'industrie implique que les personnes publiques n'apportent pas aux activités de production, de distribution ou de services exercées par des tiers des restrictions qui ne seraient pas justifiées par l'intérêt général et proportionnées à l'objectif poursuivi. Toutefois, d'une part, il ressort des pièces du dossier qu'en subordonnant la bonification des certificats d'économies d'énergie au remplacement d'une chaudière au fioul, le ministre a entendu développer l'utilisation des énergies renouvelables et réduire les émissions de CO2 dans le cadre de la mise en oeuvre du " Plan climat ". D'autre part, le nombre prévisionnel de bénéficiaires de la mesure est évalué par l'administration à 25 000 clients, ce qui correspond, selon les chiffres non contestés du mémoire en défense produit par le ministre, à seulement 0,7 % du parc de logements chauffés au fioul. Dès lors, au regard des objectifs poursuivis, l'arrêté attaqué n'a pas porté une atteinte disproportionnée à la liberté du commerce et de l'industrie.

7. En deuxième lieu, la fédération requérante n'est pas fondée à soutenir que l'arrêté attaqué, qui ne comporte aucune disposition d'ordre fiscal, méconnaîtrait le principe d'égalité devant les charges publiques.

8. En troisième lieu, si l'objet de la réglementation relative aux obligations d'économies d'énergie est de maîtriser la consommation finale d'énergie, il résulte des dispositions du code de l'énergie citées au point 5 ci-dessus qu'il est loisible au ministre, pour déterminer les modalités de bonification des certificats d'économies d'énergie, de tenir compte des objectifs de développement de l'utilisation des énergies renouvelables et de réduction des émissions de gaz à effet de serre et, à cette fin, de favoriser l'utilisation des énergies renouvelables faiblement émettrices de CO2 au détriment d'énergies fossiles non renouvelables. Toutefois, en subordonnant la bonification des certificats d'économies d'énergie au remplacement des seules chaudières au fioul, à l'exclusion de toute autre source d'énergie non renouvelable présentant des caractéristiques analogues au regard des objectifs poursuivis, et faute d'invoquer un critère objectif et rationnel susceptible de justifier ce choix, le ministre a entaché son arrêté d'une erreur manifeste d'appréciation.

9. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner le moyen tiré de la méconnaissance du principe d'égalité ni d'ordonner une médiation, que la fédération requérante est fondée à demander l'annulation de l'arrêté qu'elle attaque en tant qu'il subordonne la bonification des certificats d'économies d'énergie prévue au titre des équipements produisant de la chaleur à la condition que l'équipement installé ou le raccordement à un réseau de chaleur vienne en remplacement d'une chaudière au fioul.

10. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 3 000 euros à verser à la fédération requérante au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.



D E C I D E :
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Article 1er : L'arrêté du 22 décembre 2017 est annulé en tant qu'il limite le champ de la bonification des opérations portant sur les équipements produisant de la chaleur aux cas de remplacement d'une chaudière au fioul.
Article 2 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 3 : L'Etat versera à la Fédération française des combustibles, carburants et chauffages une somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à la Fédération française des combustibles, carburants et chauffages et au ministre d'Etat, ministre de la transition écologique et solidaire.


Voir aussi