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Ariane Web: Conseil d'État 424846, lecture du 25 janvier 2019, ECLI:FR:CECHR:2019:424846.20190125

Décision n° 424846
25 janvier 2019
Conseil d'État

N° 424846
ECLI:FR:CECHR:2019:424846.20190125
Mentionné aux tables du recueil Lebon
7ème - 2ème chambres réunies
M. Marc Firoud, rapporteur
M. Gilles Pellissier, rapporteur public
SCP LYON-CAEN, THIRIEZ ; SCP FOUSSARD, FROGER, avocats


Lecture du vendredi 25 janvier 2019
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

La société Uniparc Cannes a saisi le juge des référés du tribunal administratif de Nice, sur le fondement des dispositions de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, d'une demande tendant à ce qu'il soit ordonné, d'une part, de suspendre la décision du maire de Cannes du 27 juillet 2018 mettant en oeuvre la résiliation pour motif d'intérêt général au 1er mars 2019 de la convention de délégation de service public portant sur divers parcs de stationnement de la commune de Cannes et, d'autre part, de reprendre à titre provisoire les relations contractuelles avec la commune de Cannes.

Par une ordonnance n° 1803597 du 20 septembre 2018, le juge des référés du tribunal administratif de Nice a rejeté ces demandes.

Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un nouveau mémoire, enregistrés les 12 et 22 octobre 2018 et 1er janvier 2019 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Uniparc Cannes demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cette ordonnance ;

2°) statuant en référé, de faire droit à ses conclusions de première instance ;

3°) de mettre à la charge de la commune de Cannes la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.




Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- le code général des collectivités territoriales ;
- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Marc Firoud, maître des requêtes en service extraordinaire,

- les conclusions de M. Gilles Pellissier, rapporteur public.

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Foussard, Froger, avocat de la société Uniparc Cannes et à la SCP Lyon-Caen, Thiriez, avocat de la commune de Cannes.

Vu la note en délibéré, enregistrée le 10 janvier 2018, présentée par la société Uniparc Cannes.


Considérant ce qui suit :

1. Aux termes du premier alinéa de l'article L. 521-1 du code de justice administrative : " Quand une décision administrative, même de rejet, fait l'objet d'une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d'une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l'exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l'urgence le justifie et qu'il est fait état d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision ".

2. Il ressort des pièces du dossier soumis au juge des référés du tribunal administratif de Nice que la commune de Cannes a confié à la société Uniparc Cannes, par un contrat de délégation de service public conclu le 31 mars 1995, la construction et l'exploitation d'un parc de stationnement ainsi que l'exploitation de sept parcs de stationnement existants. Le conseil municipal de Cannes a, par une délibération du 16 juillet 2018, décidé de résilier cette convention à compter du 1er mars 2019. Cette décision a été notifiée le 27 juillet 2018 par le maire de Cannes à la société Uniparc Cannes. Celle-ci a saisi le juge des référés du tribunal administratif de Nice, sur le fondement des dispositions de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, d'une demande tendant à la suspension de l'exécution de la décision de résiliation du contrat dont elle était titulaire et à ce que soit ordonnée la poursuite des relations contractuelles. La société Uniparc Cannes se pourvoit en cassation contre l'ordonnance du 20 septembre 2018 par laquelle le juge des référés du tribunal administratif de Nice a rejeté ses demandes.

3. Il incombe au juge du contrat, saisi par une partie d'un recours de plein contentieux contestant la validité d'une mesure de résiliation et tendant à la reprise des relations contractuelles, lorsqu'il constate que cette mesure est entachée de vices relatifs à sa régularité ou à son bien-fondé, de déterminer s'il y a lieu de faire droit, dans la mesure où elle n'est pas sans objet, à la demande de reprise des relations contractuelles, à compter d'une date qu'il fixe, ou de rejeter le recours, en jugeant que les vices constatés sont seulement susceptibles d'ouvrir, au profit du requérant, un droit à indemnité. Dans l'hypothèse où il fait droit à la demande de reprise des relations contractuelles, il peut décider, si des conclusions sont formulées en ce sens, que le requérant a droit à l'indemnisation du préjudice que lui a, le cas échéant, causé la résiliation, notamment du fait de la non-exécution du contrat entre la date de sa résiliation et la date fixée pour la reprise des relations contractuelles.

4. Pour déterminer s'il y a lieu de faire droit à la demande de reprise des relations contractuelles, il incombe au juge du contrat d'apprécier, eu égard à la gravité des vices constatés et, le cas échéant, à celle des manquements du requérant à ses obligations contractuelles, ainsi qu'aux motifs de la résiliation, si une telle reprise n'est pas de nature à porter une atteinte excessive à l'intérêt général et, eu égard à la nature du contrat en cause, aux droits du titulaire d'un nouveau contrat dont la conclusion aurait été rendue nécessaire par la résiliation litigieuse.

5. Il incombe au juge des référés saisi, sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, de conclusions tendant à la suspension d'une mesure de résiliation, après avoir vérifié que l'exécution du contrat n'est pas devenue sans objet, de prendre en compte, pour déterminer si un moyen est propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux sur la validité de la mesure de résiliation litigieuse, d'apprécier si, en l'état de l'instruction, les vices invoqués paraissent d'une gravité suffisante pour conduire à la reprise des relations contractuelles et non à la seule indemnisation du préjudice résultant, pour le requérant, de la résiliation.

6. Il ressort des énonciations de l'ordonnance attaquée que, pour rejeter la demande de suspension de la société Uniparc Cannes, le juge des référés du tribunal administratif de Nice s'est borné, après avoir relevé que la société soutenait que la décision litigieuse était entachée de plusieurs vices, à juger que la reprise provisoire des relations contractuelles serait, en tout état de cause, de nature à porter une atteinte excessive à l'intérêt général tenant à la volonté de la commune de Cannes de s'engager dans une nouvelle politique et une gestion plus dynamique du stationnement sur son territoire. En s'abstenant de rechercher si les vices invoqués par la société Uniparc Cannes à l'encontre de la mesure de résiliation étaient d'une gravité suffisante pour conduire à la reprise des relations contractuelles et non à la seule indemnisation de la société, c'est-à-dire si, eu égard à leur gravité et, le cas échéant, à celle des manquements de la société à ses obligations contractuelles, ainsi qu'aux motifs de la résiliation, une telle reprise n'était pas de nature à porter une atteinte excessive à l'intérêt général, le juge des référés du tribunal administratif de Nice a entaché son ordonnance d'une erreur de droit, l'existence d'un motif d'intérêt général s'opposant à la reprise des relations contractuelles ne pouvant être appréciée indépendamment de la gravité des vices affectant la mesure de résiliation. Par suite, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens du pourvoi, la société Uniparc Cannes est fondée à en demander l'annulation.

7. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de régler l'affaire au titre de la procédure de référé engagée par la société Uniparc Cannes en application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative.

8. En premier lieu, il résulte de l'instruction que préalablement à la délibération du 16 juillet 2018, les membres du conseil municipal de Cannes ont reçu une information sur la teneur de la mesure de résiliation envisagée et sur le risque indemnitaire inhérent à cette mesure. Il leur a été notamment indiqué que le conseil municipal serait conduit à se prononcer ultérieurement sur le montant de l'indemnité à verser éventuellement au délégataire, la commune estimant en l'état qu'aucune indemnisation du manque à gagner de la société n'était due. Par suite, le moyen tiré de ce que les membres du conseil municipal n'auraient pas bénéficié d'une information suffisante avant la délibération du 16 juillet 2018, notamment du fait de l'absence de chiffrage du montant de l'indemnisation due au délégataire, n'est pas, en l'état de l'instruction, de nature à faire naître un doute sérieux sur la validité de la mesure de résiliation prononcée.

9. En deuxième lieu, le moyen tiré de ce que la décision litigieuse aurait été prise en méconnaissance du principe du contradictoire et des droits de la défense au motif que la société n'aurait pas été mise en mesure de présenter des observations préalables, ne peut être utilement invoqué à l'encontre d'une décision de résiliation pour motif d'intérêt général, qui ne revêt pas le caractère d'une sanction. Au demeurant, il résulte de l'instruction que plusieurs échanges ont eu lieu entre la société délégataire et la commune de Cannes avant l'adoption de la délibération du 16 juillet 2018.

10. Enfin, en admettant même que la convention de délégation de service public litigieuse ne puisse être regardée comme ayant été conclue pour une durée excessive, eu égard à la nature des prestations demandées et aux investissements mis à la charge du délégataire, il résulte de l'instruction que la mesure de résiliation est également fondée sur le motif d'intérêt général tiré de la nécessité d'une reprise en régie de la gestion des parcs de stationnement afin de permettre la mise en oeuvre d'une nouvelle politique du stationnement dans la ville.

11. Il résulte de tout ce qui précède qu'aucun des vices invoqués par la société Uniparc Cannes n'est de nature à faire naître un doute sérieux sur la validité de la mesure de résiliation litigieuse. Il suit de là que, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur la condition tenant à l'existence d'une situation d'urgence, la demande de la société Uniparc Cannes tendant à la reprise provisoire des relations contractuelles doit être rejetée.

12. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que la somme demandée à ce titre par la société Uniparc Cannes soit mise à la charge de la commune de Cannes qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante. Il y a lieu, en revanche, au titre des mêmes dispositions et pour l'ensemble de la procédure, de mettre à la charge de la société requérante une somme de 4 000 euros à verser à la commune de Cannes.


D E C I D E :
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Article 1er : L'ordonnance du 20 septembre 2018 du juge des référés du tribunal administratif de Nice est annulée.
Article 2 : La demande de la société Uniparc Cannes est rejetée.
Article 3 : La société Uniparc Cannes versera à la commune de Cannes une somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Les conclusions présentées par la société Uniparc Cannes au même titre sont rejetées.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à la société Uniparc Cannes et la commune de Cannes.


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