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Ariane Web: Conseil d'État 401681, lecture du 30 janvier 2019, ECLI:FR:CECHR:2019:401681.20190130

Décision n° 401681
30 janvier 2019
Conseil d'État

N° 401681
ECLI:FR:CECHR:2019:401681.20190130
Inédit au recueil Lebon
6ème et 5ème chambres réunies
M. Didier Ribes, rapporteur
M. Louis Dutheillet de Lamothe, rapporteur public


Lecture du mercredi 30 janvier 2019
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



1° Sous le n° 401681, par une requête, enregistrée le 20 juillet 2016 au secrétariat du contentieux du Conseil d'État, M. B...A...demande au Conseil d'État :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir le décret n° 2016-660 du 20 mai 2016 relatif à la justice prud'homale et au traitement judiciaire du contentieux du travail ;

2°) de mettre à la charge de l'État une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

2° Sous le n° 401709, par une requête sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 21 juillet et 21 octobre 2016 et le 6 octobre 2017 au secrétariat du contentieux du Conseil d'État, la Confédération Générale du Travail demande au Conseil d'État :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir le même décret ;

2°) de mettre à la charge de l'État une somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.


....................................................................................

3° Sous le n° 401713, par une requête sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 21 juillet et 21 octobre 2016 au secrétariat du contentieux du Conseil d'État, le Syndicat des avocats de France demande au Conseil d'État :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir le même décret ;

2°) de mettre à la charge de l'État une somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.


....................................................................................

4° Sous le n° 401742, par une requête sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 22 juillet et 24 octobre 2016 au secrétariat du contentieux du Conseil d'État, le Conseil national des barreaux demande au Conseil d'État d'annuler pour excès de pouvoir le même décret.


....................................................................................

5° Sous le n° 401778, par une requête, enregistrée le 22 juillet 2016 au secrétariat du contentieux du Conseil d'État, l'Union départementale des syndicats Force Ouvrière d'Indre-et-Loire demande au Conseil d'État :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir le même décret ;

2°) de mettre à la charge de l'État une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.


....................................................................................

6° Sous le n° 401790, par une requête, enregistrée le 25 juillet 2016 au secrétariat du contentieux du Conseil d'État, le Syndicat national C.G.T. des Chancelleries et services judiciaires demande au Conseil d'État :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir le même décret ;

2°) de mettre à la charge de l'État une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.



....................................................................................

7° Sous le n° 401793, par une requête sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 25 juillet et 25 octobre 2016 et le 5 juillet 2017 au secrétariat du contentieux du Conseil d'État, l'Union syndicale Solidaires, le Syndicat des salariés des hôtels de prestige et économiques CGT, l'Union des syndicats anti-précarité, la Confédération nationale des travailleurs solidarité ouvrière et le Syndicat des travailleurs corses demandent au Conseil d'État :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir le même décret ;

2°) de mettre à la charge de l'État une somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.



....................................................................................

Vu les autres pièces des dossiers ;

Vu :
- la Constitution, notamment son Préambule ;
- la convention n° 87 de l'Organisation internationale du travail (OIT) du 9 juillet 1948 sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical adoptée à San Francisco lors de la trente et unième session de la conférence internationale du travail, ratifiée le 28 juin 1951 ;
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la charte communautaire des droits sociaux fondamentaux des travailleurs ;
- la charte sociale européenne révisée ;
- le code général des impôts ;
- le code de procédure civile ;
- le code du travail ;
- la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- la loi n° 2008-789 du 20 août 2008 ;
- la loi n° 2015-990 du 6 août 2015 ;
- le décret n° 91-1266 du 19 décembre 1991 ;
- le décret n° 2011-184 du 15 février 2011 ;
- le décret n° 2017-1008 du 10 mai 2017 ;
- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Didier Ribes, maître des requêtes,

- les conclusions de M. Louis Dutheillet de Lamothe, rapporteur public.

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Thouvenin, Coudray, Grevy, avocat de la Confédération Générale du Travail et du Syndicat des avocats de France, à Me Le Prado, avocat du Conseil national des barreaux et à la SCP Waquet, Farge, Hazan, avocat de l'Union syndicale Solidaires et autres.



Considérant ce qui suit :

1. Les requêtes visées ci-dessus sont dirigées contre le même décret du 20 mai 2016 relatif à la justice prud'homale et au traitement judiciaire du contentieux du travail. Il y a lieu de les joindre pour statuer par une seule décision.

Sur les interventions au soutien des conclusions de la requête n° 401793 :

2. Le Syndicat pour la défense des postiers et le Syndicat des employés du commerce et des interprofessionnels justifient d'un intérêt suffisant à l'annulation du décret attaqué. Ainsi, leurs interventions au soutien de la requête de l'Union syndicale Solidaires et autres sont recevables.

Sur les conclusions à fin d'annulation du décret attaqué :

En ce qui concerne la légalité externe du décret :

3. En premier lieu, aux termes de l'article 65 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique : " Il est créé un Conseil national de l'aide juridique chargé de recueillir toutes informations quantitatives et qualitatives sur le fonctionnement de l'aide juridictionnelle et de l'aide à l'accès au droit et de proposer aux pouvoirs publics toutes mesures propres à l'améliorer, de faire aux conseils départementaux de l'accès au droit des suggestions en vue de développer et d'harmoniser les actions menées localement, d'établir chaque année un rapport sur l'activité d'aide juridique, au vu des rapports des conseils départementaux sur l'aide juridictionnelle et sur l'aide à l'accès au droit dans leur ressort. Ce rapport est publié. (...) ". L'article 133 du décret du 19 décembre 1991 portant application de cette loi précise : " Le Conseil national de l'aide juridique est consulté sur les projets de loi et de décret relatifs à l'aide juridictionnelle, à l'aide à l'accès au droit, et aux aides à l'intervention de l'avocat prévues par les dispositions de la troisième partie de la loi du 10 juillet 1991 susvisée ".

4. Si l'instauration, par l'article 29 du décret attaqué, de la représentation obligatoire devant la chambre sociale de la cour d'appel en cas d'appel d'un jugement du conseil de prud'hommes a pour conséquence, par application des dispositions du décret du 19 décembre 1991, d'affecter le montant de la rétribution des avocats intervenant au titre de l'aide juridictionnelle dans une telle procédure, le décret attaqué n'a ni pour objet, ni pour effet de modifier les règles relatives à l'aide juridictionnelle, à l'aide à l'accès au droit et aux aides à l'intervention de l'avocat prévues par les dispositions de la troisième partie de la loi du 10 juillet 1991. Dès lors, le moyen tiré de l'irrégularité du décret attaqué en raison du défaut de consultation préalable du Conseil national de l'aide juridique doit être écarté.

5. En deuxième lieu, ni l'article 21-1 de la loi du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques, qui dispose que " le Conseil national des barreaux (...) est chargé de représenter la profession d'avocat notamment auprès des pouvoirs publics ", ni aucun autre texte législatif ou réglementaire n'imposait sa consultation. Au demeurant, il ressort des pièces du dossier que le Conseil national des barreaux a été consulté par le garde des sceaux, ministre de la justice sur le projet de décret. Dès lors, le moyen tiré de ce que l'absence d'une telle consultation entacherait ce décret d'illégalité ne peut qu'être écarté.

6. En troisième lieu, il ressort des pièces du dossier que les avis, visés par le décret, du Conseil supérieur de la prud'homie et du comité technique spécial de service placé auprès du directeur des services judiciaires, ont été effectivement recueillis. Si l'Union syndicale Solidaires et autres soutiennent que ces consultations seraient irrégulières, ils n'assortissent pas leur moyen des précisions permettant d'en apprécier le bien-fondé.

7. En quatrième lieu, un organisme dont une disposition législative ou réglementaire prévoit la consultation avant l'intervention d'une décision doit être mis à même d'exprimer son avis sur l'ensemble des questions soulevées par cette décision. Dans le cas où, après avoir recueilli son avis, l'autorité compétente pour prendre la décision envisage d'apporter à son projet des modifications qui posent des questions nouvelles, elle doit le consulter à nouveau. Il ressort des pièces du dossier que si le projet de décret soumis au Conseil supérieur de la prud'homie en application de l'article R. 1431-3 du code du travail a été ultérieurement modifié, afin d'ailleurs de tenir compte de l'avis émis par cet organisme, ces modifications ne posaient pas de question nouvelle qui aurait rendu nécessaire une nouvelle consultation.

8. En cinquième lieu, contrairement à ce que soutient l'Union départementale des syndicats Force Ouvrière d'Indre-et-Loire, le décret attaqué a précisé les règles de procédure spécifiquement applicables à la représentation obligatoire d'une partie par un défenseur syndical devant la cour d'appel en prévoyant, à l'article 930-2 du code de procédure civile, que " les actes de procédure effectués par le défenseur syndical peuvent être établis sur support papier et remis au greffe. Dans ce cas, la déclaration d'appel est remise au greffe en autant d'exemplaires qu'il y a de parties destinataires, plus deux. La remise est constatée par la mention de sa date et le visa du greffier sur chaque exemplaire, dont l'un est immédiatement restitué ".

9. En dernier lieu, s'il incombe au pouvoir réglementaire de prendre l'ensemble des décrets d'application prévus par l'article 258 de la loi du 6 août 2015 pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques, aucune disposition ni aucun principe ne l'oblige à épuiser sa compétence en un seul décret. Au demeurant, cette disposition législative a renvoyé à un décret simple le soin de préciser les modalités d'inscription du défenseur syndical sur une liste arrêtée par l'autorité administrative et celles relatives à son indemnisation lorsqu'il exerce son activité professionnelle en dehors de tout établissement ou dépend de plusieurs employeurs. Ainsi, le moyen tiré de ce que le décret en Conseil d'Etat attaqué serait illégal, faute de comporter les mesures réglementaires relatives au statut du défenseur syndical, ne peut qu'être écarté.

En ce qui concerne la légalité interne du décret :

Quant à légalité du décret dans son entier :

10. Le Gouvernement est compétent pour édicter les règles fixant la procédure devant les juridictions civiles. Dans l'exercice de sa compétence, il doit se conformer tout à la fois aux règles et principes de valeur constitutionnelle, aux principes généraux du droit ainsi qu'aux engagements internationaux introduits dans l'ordre juridique interne.

11. Le moyen soulevé par le Syndicat national C.G.T. des Chancelleries et services judiciaires et tiré de ce que le décret attaqué serait entaché d'erreur manifeste d'appréciation n'est pas assorti des précisions permettant d'en apprécier le bien-fondé.

Quant à la légalité de l'article 8 du décret attaqué :

12. En premier lieu, aux termes de l'article R. 1452-2 du code du travail, dans sa rédaction résultant de l'article 8 du décret attaqué : " La requête est faite, remise ou adressée au greffe du conseil de prud'hommes. / A peine de nullité, la requête comporte les mentions prescrites à l'article 58 du code de procédure civile. En outre, elle contient un exposé sommaire des motifs de la demande et mentionne chacun des chefs de celle-ci. Elle est accompagnée des pièces que le demandeur souhaite invoquer à l'appui de ses prétentions. Ces pièces sont énumérées sur un bordereau qui lui est annexé. / La requête et le bordereau sont établis en autant d'exemplaires qu'il existe de défendeurs, outre l'exemplaire destiné à la juridiction ". L'article R. 1452-3 du même code prévoit que " le greffe avise par tous moyens le demandeur des lieu, jour et heure de la séance du bureau de conciliation et d'orientation ou de l'audience lorsque le préalable de conciliation ne s'applique pas. / Cet avis par tous moyens invite le demandeur à adresser ses pièces au défendeur avant la séance ou l'audience précitée et indique qu'en cas de non-comparution sans motif légitime il pourra être statué en l'état des pièces et moyens contradictoirement communiqués par l'autre partie ". L'article 58 du code de procédure civile dispose que : " La requête ou la déclaration est l'acte par lequel le demandeur saisit la juridiction sans que son adversaire en ait été préalablement informé. / Elle contient à peine de nullité : / 1° Pour les personnes physiques : l'indication des nom, prénoms, profession, domicile, nationalité, date et lieu de naissance du demandeur ; / Pour les personnes morales : l'indication de leur forme, leur dénomination, leur siège social et de l'organe qui les représente légalement ; / 2° L'indication des nom, prénoms et domicile de la personne contre laquelle la demande est formée, ou, s'il s'agit d'une personne morale, de sa dénomination et de son siège social ; / 3° L'objet de la demande. / Sauf justification d'un motif légitime tenant à l'urgence ou à la matière considérée, en particulier lorsqu'elle intéresse l'ordre public, la requête ou la déclaration qui saisit la juridiction de première instance précise également les diligences entreprises en vue de parvenir à une résolution amiable du litige. / Elle est datée et signée ".

13. Les obligations nouvelles, prévues par l'article 8 du décret attaqué, à la charge du justiciable qui entend présenter une requête devant le conseil de prud'hommes, permettent d'assurer l'information immédiate des parties et de la juridiction sur les données du litige et concourent, par suite, à la bonne administration de la justice. De telles obligations ne portent d'atteinte excessive ni au droit d'accès au juge ni au droit à un procès équitable garantis par l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen ainsi que par les stipulations de l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Si, selon les requérants, ces formalités peuvent représenter une contrainte particulière pour certains justiciables, lesquels peuvent, au demeurant, être assistés ou représentés, en application de l'article R. 1453-2 du code du travail, par un autre salarié, un conjoint, un défenseur syndical ou un avocat, l'article 8 du décret attaqué ne méconnaît pas le principe d'égalité entre les justiciables.

14. En deuxième lieu, le principe d'égalité ne s'oppose pas à ce que l'autorité investie du pouvoir réglementaire règle de façon différente des situations différentes ni à ce qu'elle déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général pourvu que, dans l'un comme l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la norme qui l'établit et ne soit pas manifestement disproportionnée au regard des motifs susceptibles de la justifier.

15. Si l'article R. 1452-2 du code du travail impose au demandeur de produire avec sa requête les pièces qu'il souhaite présenter à l'appui de ses prétentions, l'article R. 1452-3 du même code se borne à prévoir que le greffe invite le défendeur à déposer ou à lui adresser les pièces qu'il entend produire. L'obligation ainsi faite au demandeur est destinée, dans l'intérêt d'une bonne administration de la justice, à faciliter la mise en état et le traitement des affaires par la juridiction prud'homale. Une telle obligation n'est, toutefois, pas prescrite à peine de nullité. Il résulte, par ailleurs, de l'article L. 1454-1-2 du code du travail que les conseillers rapporteurs prescrivent au demandeur comme au défendeur toutes mesures nécessaires pour que l'affaire soit en état d'être jugée. Par suite, les requérants ne sont pas fondés à soutenir qu'en soumettant les demandeurs et les défendeurs à des règles différentes en matière de production de pièces, les dispositions de l'article 8 du décret attaqué méconnaîtraient le principe d'égalité.

16. En troisième lieu, l'article 8 du décret prévoit que le demandeur est avisé par tous moyens des date et lieu de la séance du bureau de conciliation et d'orientation ou de l'audience alors que le défendeur est convoqué par une lettre recommandée avec demande d'avis de réception. Ces modalités de convocation, si elles appellent de la part de celui qui a engagé la procédure une vigilance particulière, ne méconnaissent pas le droit à un procès équitable garanti par l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Au demeurant, les moyens de communication électronique dont l'utilisation est rendue possible par la disposition critiquée permettent d'établir de manière certaine l'envoi et la réception par le destinataire de la convocation à la séance du bureau de conciliation et d'orientation ou à l'audience. Cette disposition ne méconnaît pas davantage le principe d'égalité devant la justice.

17. En quatrième et dernier lieu, l'article 8 du décret attaqué abroge les dispositions de l'article R. 1452-8 du code du travail aux termes duquel : " En matière prud'homale, l'instance n'est périmée que lorsque les parties s'abstiennent d'accomplir, pendant le délai de deux ans mentionné à l'article 386 du code de procédure civile, les diligences qui ont été expressément mises à leur charge par la juridiction ". Il résulte de cette abrogation que s'applique aux litiges devant les conseils de prud'hommes l'article 386 du code de procédure civile qui dispose que " l'instance est périmée lorsque aucune des parties n'accomplit de diligences pendant deux ans ". Les articles 388 et 389 du même code précisent que la péremption, qui doit être demandée par l'une des parties et ne peut être relevée d'office par le juge, n'éteint pas l'action mais emporte seulement extinction de l'instance. La péremption n'est pas encourue lorsque les parties n'ont plus à accomplir de diligence leur incombant au cours de l'instance. Ainsi, cette disposition ne met pas à la charge de chacune des parties à l'instance une obligation manifestement excessive. Par suite, la Confédération Générale du Travail et le Syndicat des avocats de France ne sont pas fondés à soutenir que l'article 8 du décret attaqué serait illégal faute d'avoir prévu des garanties permettant d'éviter une péremption de l'instance en raison de la seule inaction du juge prud'homal pendant un délai de deux ans.

Quant à la légalité de l'article 9 du décret attaqué :

18. Aux termes de l'article L. 1411-1 du code du travail : " Le conseil de prud'hommes règle par voie de conciliation les différends qui peuvent s'élever à l'occasion de tout contrat de travail soumis aux dispositions du présent code entre les employeurs, ou leurs représentants, et les salariés qu'ils emploient. / Il juge les litiges lorsque la conciliation n'a pas abouti ".

19. L'article 9 du décret attaqué supprime l'obligation, prévue à l'article R. 1453-1 du code du travail, de comparution personnelle devant le conseil de prud'hommes sauf motif légitime. Cette disposition se borne à tirer les conséquences de l'article L. 1454-1-3, dans sa rédaction résultant de la loi du 6 août 2015, qui prévoit que : " Si, sauf motif légitime, une partie ne comparaît pas, personnellement ou représentée, le bureau de conciliation et d'orientation peut juger l'affaire, en l'état des pièces et moyens que la partie comparante a contradictoirement communiqués ". Ainsi, le moyen tiré de ce que l'article 9 du décret attaqué méconnaîtrait le principe de conciliation énoncé par l'article L. 1411-1 du code du travail doit, en tout état de cause, être écarté.

Quant à la légalité de l'article 10 du décret attaqué :

20. L'article 10 du décret attaqué modifie la liste, fixée à l'article R. 1453-2 du code du travail, des personnes habilitées à assister ou à représenter les parties devant les conseils de prud'hommes. S'il maintient l'assistance ou la représentation des parties par les salariés ou les employeurs appartenant à la même branche d'activité, le conjoint, le partenaire lié par un pacte civil de solidarité ou le concubin et les avocats, il supprime la catégorie des délégués permanents ou non permanents des organisations d'employeurs et de salariés et ajoute celle des défenseurs syndicaux.

21. En premier lieu, aux termes de l'article 4 de la loi du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques : " Nul ne peut, s'il n'est avocat, assister ou représenter les parties, postuler et plaider devant les juridictions et les organismes juridictionnels ou disciplinaires de quelque nature que ce soit, sous réserve des dispositions régissant les avocats au Conseil d'État et à la Cour de cassation. / Les dispositions qui précèdent ne font pas obstacle à l'application des dispositions législatives ou réglementaires spéciales en vigueur à la date de publication de la présente loi et, notamment, au libre exercice des activités des organisations syndicales régies par le code du travail ou de leurs représentants, en matière de représentation et d'assistance devant les juridictions sociales et paritaires et les organismes juridictionnels ou disciplinaires auxquels ils ont accès. / (...) ".

22. L'article 4 de la loi du 31 décembre 1971 ne fait pas obstacle à ce que le pouvoir réglementaire modifie les dispositions réglementaires spéciales applicables à la représentation et à l'assistance devant les juridictions sociales et paritaires. Par suite, contrairement à ce que soutiennent l'Union syndicale Solidaires et autres, le pouvoir réglementaire a pu compétemment modifier l'article R. 1453-2 du code du travail pour supprimer la disposition réglementaire spéciale permettant aux délégués permanents ou non permanents de l'ensemble des organisations syndicales d'employeurs et de salariés, par exception au monopole confié aux avocats, d'assister et de représenter les parties devant les juridictions du travail.

23. En deuxième lieu, le sixième alinéa du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 dispose que : " Tout homme peut défendre ses droits et ses intérêts par l'action syndicale et adhérer au syndicat de son choix ". Aux termes du paragraphe 1 de l'article 11 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Toute personne a droit à la liberté de réunion pacifique et à la liberté d'association, y compris le droit de fonder avec d'autres des syndicats et de s'affilier à des syndicats pour la défense de ses intérêts ". L'article 5 de la Charte sociale européenne révisée du 3 mai 1996 stipule que : " En vue de garantir ou de promouvoir la liberté pour les travailleurs et les employeurs de constituer des organisations locales, nationales ou internationales, pour la protection de leurs intérêts économiques et sociaux et d'adhérer à ces organisations, les Parties s'engagent à ce que la législation nationale ne porte pas atteinte, ni ne soit appliquée de manière à porter atteinte à cette liberté. (...) ". Enfin, aux termes de l'article 11 de la Charte communautaire des droits sociaux fondamentaux des travailleurs : " Les employeurs et les travailleurs de la Communauté européenne ont le droit de s'associer librement en vue de constituer les organisations professionnelles ou syndicales de leur choix pour la défense de leurs intérêts économiques et sociaux. Tout employeur et tout travailleur a la liberté d'adhérer ou de ne pas adhérer à ces organisations, sans qu'il puisse en résulter pour lui un dommage personnel ou professionnel ".

24. Par la loi du 6 août 2015, le législateur a souhaité améliorer l'efficacité de la justice prud'homale, notamment en renforçant les obligations de formation pesant sur les conseillers prud'hommes et en créant un statut de défenseur syndical chargé des fonctions d'assistance ou de représentation devant les conseils de prud'hommes et les cours d'appels statuant en matière prud'homale. Les articles L. 1453-5 à L. 1453-9 du code du travail, issus de la loi du 6 août 2015, soumettent l'exercice de la fonction de défenseur syndical à des obligations, en particulier de formation, et l'assortissent de garanties propres. L'article L. 1453-4 du même code précise que les défenseurs syndicaux sont inscrits sur une liste arrêtée par l'autorité administrative sur proposition des organisations d'employeurs et de salariés représentatives aux niveaux national et interprofessionnel, national et multiprofessionnel ou dans au moins une branche. Par ailleurs, le décret attaqué renforce les exigences procédurales applicables en matière prud'homale et confie aux défenseurs syndicaux et aux avocats le monopole de représentation des parties devant les cours d'appel statuant en matière prud'homale. En supprimant l'habilitation des délégués permanents ou non permanents de l'ensemble des organisations syndicales d'employeurs et de salariés à assister ou représenter les parties devant les juridictions du travail, le pouvoir réglementaire a entendu tirer les conséquences de la réforme de la justice prud'homale et notamment de la création, par le législateur, d'un statut de défenseur syndical. Une telle disposition ne prive pas les organisations syndicales non représentatives du droit d'assister les salariés dont elles ont pour mission de défendre les intérêts professionnels et ne fait nullement obstacle à la création de telles organisations. Par suite, l'Union syndicale Solidaires et autres ne sont pas fondés à soutenir que l'article 10 du décret attaqué méconnaîtrait les principes de liberté syndicale et de non-discrimination entre organisations syndicales.

25. En troisième lieu, ni l'article 10 du décret attaqué, ni aucune autre disposition n'impose que la partie qui est assistée ou représentée par un défenseur syndical appartienne à la même organisation syndicale que ce dernier ou soit membre d'un syndicat. Dès lors, la suppression de l'habilitation des délégués des organisations syndicales non représentatives n'est pas, par elle-même, de nature à porter atteinte à la liberté des salariés et des employeurs d'adhérer à une organisation syndicale non représentative ou de ne pas adhérer à une organisation syndicale représentative. Par suite, les moyens tirés de la méconnaissance de l'alinéa 6 du Préambule de la Constitution de 1946, de l'article 11 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, de l'article 5 de la Charte sociale européenne révisée du 3 mai 1996 ainsi que, en tout état de cause, de l'article 11 de la Charte communautaire des droits sociaux fondamentaux des travailleurs et de la convention de l'Organisation internationale du travail n° 87 du 9 juillet 1948 sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical doivent être écartés.

26. En quatrième lieu, le moyen tiré de la méconnaissance de la loi du 20 août 2008 portant rénovation de la démocratie sociale n'est pas assorti des précisions permettant d'en apprécier le bien-fondé.

Quant à la légalité de l'article 12 du décret attaqué :

27. L'article 12 du décret attaqué insère dans le code du travail un article R. 1453-5 ainsi rédigé : " Lorsque toutes les parties comparantes formulent leurs prétentions par écrit et sont assistées ou représentées par un avocat, elles sont tenues, dans leurs conclusions, de formuler expressément les prétentions ainsi que les moyens en fait et en droit sur lesquels chacune de ces prétentions est fondée avec indication pour chaque prétention des pièces invoquées. Un bordereau énumérant les pièces justifiant ces prétentions est annexé aux conclusions. Les prétentions sont récapitulées sous forme de dispositif. Le bureau de jugement ou la formation de référé ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif. Les parties doivent reprendre dans leurs dernières conclusions les prétentions et moyens présentés ou invoqués dans leurs conclusions antérieures. À défaut, elles sont réputées les avoir abandonnés et il n'est statué que sur les dernières conclusions communiquées ".

28. En premier lieu, aucun principe général du droit ne prescrit que les débats doivent se dérouler oralement devant les conseils de prud'hommes. Par suite, le décret attaqué a pu, sans méconnaître les principes généraux du droit, prévoir l'obligation pour les parties représentées par avocat et qui formulent leurs prétentions par écrit d'indiquer expressément dans leurs conclusions écrites les moyens fondant leurs prétentions, d'établir un bordereau énumérant les pièces invoquées et de produire des conclusions écrites récapitulatives. Si la Confédération Générale du Travail et le Syndicat des avocats de France soutiennent que l'article 12 du décret attaqué est contraire à l'article R. 1453-3 du code du travail aux termes duquel : " La procédure prud'homale est orale ", un tel moyen, fondé sur la violation d'un texte de même valeur juridique que le décret attaqué, est, en tout état de cause, inopérant.

29. En deuxième lieu, d'une part, un requérant agissant seul ou assisté ou représenté par un salarié ou un employeur de sa branche, son conjoint ou un défenseur syndical ne peut être regardé, en ce qui concerne la formalisation de ses prétentions, comme étant placé dans une situation identique à celle d'un requérant assisté par un avocat, professionnel du droit. Dès lors, la différence de traitement résultant de l'article 12 n'est pas injustifiée. D'autre part, les obligations de formalisation des prétentions, imposées par l'article 12 du décret aux seuls avocats, favorisent une meilleure identification des litiges, facilitent le traitement des pièces par les greffes et concourent, par suite, à une bonne administration de la justice. Elles font peser une contrainte raisonnable sur ces professionnels du droit au regard de l'objectif ainsi poursuivi. Enfin, en prévoyant que ces obligations ne s'imposent que lorsque toutes les parties comparantes formulent leurs prétentions par écrit et sont assistées ou représentées par un avocat, l'article 12 du décret attaqué soumet les justiciables se trouvant dans la même situation à la même procédure. Il en résulte que les requérants ne sont pas fondés à soutenir que la disposition critiquée méconnaîtrait le principe d'égalité devant la loi et le principe d'égalité devant la justice. Elle n'est pas davantage de nature à faire obstacle à l'exercice, par les justiciables, du libre choix de leur défenseur.

30. En troisième et dernier lieu, les dispositions de l'article 12 du décret attaqué définissent de façon claire et sans ambiguïté les obligations procédurales pesant sur les parties lorsqu'elles sont assistées ou représentées par un avocat. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance de l'objectif de valeur constitutionnelle d'accessibilité et d'intelligibilité du droit doit être écarté.

Quant à la légalité de l'article 13 du décret attaqué :

31. Aux termes de l'article L. 1421-1 du code du travail : " Le conseil de prud'hommes est une juridiction élective et paritaire. / Il est composé, ainsi que ses différentes formations, d'un nombre égal de salariés et d'employeurs ". Le troisième alinéa de l'article L. 1454-1-2 du même code prévoit qu'" un ou deux conseillers rapporteurs peuvent être désignés pour que l'affaire soit mise en état d'être jugée. Ils prescrivent toutes mesures nécessaires à cet effet ".

32. L'article R. 1454-3 du code du travail, dans sa rédaction issue de l'article 13 du décret attaqué, permet au bureau de conciliation et d'orientation de désigner un ou deux conseillers rapporteurs pour procéder à la mise en état d'une affaire. L'article R. 1454-4 du même code précise que : " Le conseiller rapporteur dispose des pouvoirs de mise en état conférés au bureau de conciliation et d'orientation. Il peut, pour la manifestation de la vérité, auditionner toute personne et faire procéder à toutes mesures d'instruction. Il peut ordonner toutes mesures nécessaires à la conservation des preuves ou des objets litigieux ". La Confédération Générale du Travail et le Syndicat des avocats de France ne sont pas fondés à soutenir que ces dispositions, qui trouvent leur fondement dans celles de l'article L. 1454-18-2 du code du travail, méconnaîtraient le caractère paritaire de la juridiction prud'homale énoncé par l'article L. 1421-1 du même code.

Quant à la légalité de l'article 14 du décret attaqué :

33. Aux termes de l'article L. 1454-1-1 du code du travail : " En cas d'échec de la conciliation, le bureau de conciliation et d'orientation peut, par simple mesure d'administration judiciaire : / 1° Si le litige porte sur un licenciement ou une demande de résiliation judiciaire du contrat de travail, renvoyer les parties, avec leur accord, devant le bureau de jugement dans sa composition restreinte mentionnée à l'article L. 1423-13. La formation restreinte doit statuer dans un délai de trois mois ; / 2° Renvoyer les parties, si elles le demandent ou si la nature du litige le justifie, devant le bureau de jugement mentionné à l'article L. 1423-12 présidé par le juge mentionné à l'article L. 1454-2. L'article L. 1454-4 n'est pas applicable. / A défaut, l'affaire est renvoyée devant le bureau de jugement mentionné à l'article L. 1423-12. / La formation saisie connaît de l'ensemble des demandes des parties, y compris des demandes additionnelles ou reconventionnelles ". L'article L. 1454-1-3 du même code dispose que : " Si, sauf motif légitime, une partie ne comparaît pas, personnellement ou représentée, le bureau de conciliation et d'orientation peut juger l'affaire, en l'état des pièces et moyens que la partie comparante a contradictoirement communiqués. / Dans ce cas, le bureau de conciliation et d'orientation statue en tant que bureau de jugement dans sa composition restreinte mentionnée à l'article L. 1423-13 ". Ces dispositions sont issues de l'article 258 de la loi du 6 août 2015, dont le VII a renvoyé à un décret en Conseil d'Etat le soin de préciser les conditions d'application.

34. En premier lieu, aux termes de l'article R. 1454-12 du code du travail, dans sa rédaction issue du 3° de l'article 14 du décret attaqué : " Lorsque au jour fixé pour la tentative de conciliation le demandeur ne comparaît pas sans avoir justifié en temps utile d'un motif légitime, il est fait application de l'article L. 1454-1-3, sauf la faculté du bureau de conciliation et d'orientation de renvoyer l'affaire à une audience ultérieure du bureau de jugement. Le bureau de conciliation et d'orientation peut aussi déclarer la requête et la citation caduques si le défendeur ne sollicite pas un jugement sur le fond. (...) ". L'article R. 1454-13 du même code, dans sa rédaction résultant du 4° de l'article 14, dispose que : " Lorsque au jour fixé pour la tentative de conciliation, le défendeur ne comparaît pas sans avoir justifié en temps utile d'un motif légitime, il est fait application de l'article L. 1454-1-3. Le bureau de conciliation et d'orientation ne peut renvoyer l'affaire à une audience ultérieure du bureau de jugement que pour s'assurer de la communication des pièces et moyens au défendeur ".

35. En cas de non comparution d'une des parties lors de l'audience de conciliation, le législateur a reconnu au bureau de conciliation et d'orientation la faculté, laissée à son appréciation, de juger lui-même l'affaire. Une telle faculté s'exerce dans le respect des droits de la défense et du principe du caractère contradictoire de la procédure juridictionnelle. En prévoyant une obligation pour ce bureau de juger l'affaire sauf dans le cas où le respect du contradictoire exige le renvoi de l'affaire, l'article 14 du décret méconnaît l'article L. 1454-1-3. Par suite, M. A...est fondé à soutenir que la seconde phrase de l'article R. 1454-13, dans sa rédaction issue du 4° de l'article 14 du décret attaqué, est illégale.

36. En deuxième lieu, l'article R. 1454-17 du code du travail, dans sa rédaction résultant du 6° de l'article 14 du décret attaqué, précise que : " Dans les cas visés aux articles R. 1454-13 et R. 1454-14, l'affaire est renvoyée à une audience ultérieure du bureau de jugement dans sa composition restreinte. / Le greffier avise par tous moyens la partie qui ne l'aura pas été verbalement de la date d'audience ". Cette disposition ne régit pas le cas, prévu à l'article L. 1454-1-1, où la tentative de conciliation a eu lieu et a échoué. Par suite, les requérants ne sauraient utilement soutenir que le 6° de l'article 14 du décret attaqué méconnaîtrait l'article L. 1454-1-1 du code du travail.

37. En troisième lieu, M. A...soutient que le 6° de l'article 14 comporte une différence de traitement injustifiée en prévoyant que le renvoi de l'affaire se fera devant le bureau de jugement dans sa composition restreinte dans le cas, visé à l'article R. 1454-13, de non comparution du défendeur, et non dans le cas, visé à l'article R. 1454-12, de non comparution du demandeur. Il est vrai, comme le relève en défense le ministre de la justice, que l'article R. 1454-17 vise de manière erronée l'article R. 1454-14, lequel est relatif aux mesures provisoires que peut prendre le bureau de conciliation et d'orientation. Il ne fait pas de doute que le pouvoir réglementaire a entendu viser dans cette disposition les cas, prévus aux articles R. 1454-12 et R. 1454-13, de non comparution d'une des parties devant le bureau de conciliation et d'orientation. Au demeurant, l'article 3 du décret du 10 mai 2017 portant diverses dispositions procédurales relatives aux juridictions du travail, en vigueur depuis le 12 mai 2017, a corrigé cette erreur matérielle.

38. En l'absence de doute sur la portée du 6° de l'article 14 du décret attaqué, il y a lieu pour le Conseil d'État, afin de donner le meilleur effet à sa décision, non pas d'annuler les dispositions erronées de cet article, mais de conférer aux dispositions insérées au code du travail leur exacte portée et de prévoir que le texte ainsi rétabli sera rendu opposable par des mesures de publicité appropriées, en rectifiant l'erreur matérielle commise et en prévoyant la publication au Journal officiel d'un extrait de sa décision.

39. En dernier lieu, pour les mêmes motifs que ceux énoncés au point 16 de la présente décision, le 6° de l'article 14 du décret attaqué, en prévoyant qu'une partie peut être avisée par tous moyens de la date d'audience, ne méconnaît ni le droit à un procès équitable, ni le principe d'égalité devant la justice.

Quant à la légalité des articles 17, 18 et 20 du décret attaqué :

40. Pour les mêmes motifs que ceux énoncés au point 16 de la présente décision, les articles 17, 18 et 20 du décret attaqué, en prévoyant qu'une partie peut être avisée par tous moyens de la date d'audience ou des mesures d'administration judiciaire, ne méconnaissent ni le droit à un procès équitable, ni le principe d'égalité devant la justice.

Quant à la légalité des articles 28 à 30 du décret attaqué :

41. Les articles 28, 29 et 30 du décret attaqué ont pour objet, à compter du 1er août 2016, de rendre obligatoire en appel la représentation des parties par un avocat ou un défenseur syndical.

42. En premier lieu, aux termes du premier alinéa de l'article L. 1453-4 du code du travail, dans sa rédaction issue de la loi du 6 août 2015 pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques : " Un défenseur syndical exerce des fonctions d'assistance ou de représentation devant les conseils de prud'hommes et les cours d'appel en matière prud'homale ".

43. Il résulte des termes de l'article L. 1453-4 du code du travail cité ci-dessus que le législateur a entendu déroger, au profit des défenseurs syndicaux, au monopole de représentation des avocats devant les cours d'appel prévu à l'article 4 de la loi du 31 décembre 1971 cité au point 21 de la présente décision. Par suite, M. A...ne saurait utilement soutenir que le décret attaqué, en autorisant la représentation en appel par un défenseur syndical, méconnaîtrait le monopole de représentation des avocats institué par l'article 4 de la loi du 31 décembre 1971.

44. En deuxième lieu, les dispositions contestées ont pour objet tant d'assurer aux justiciables la qualité de leur défense que de concourir à une bonne administration de la justice en imposant le recours à des mandataires professionnels offrant des garanties de compétence ou à des défenseurs syndicaux dont le statut est destiné à assurer au justiciable des garanties équivalentes. Eu égard à l'institution par le législateur d'un dispositif d'aide juridictionnelle et à l'exercice à titre gratuit des fonctions de défenseur syndical, l'obligation de représentation des parties devant la cour d'appel dans les litiges prud'homaux ne saurait être regardée comme méconnaissant le principe d'égalité des armes, le droit d'accès à un juge et le principe d'égalité entre les justiciables.

45. En troisième lieu, pour les mêmes motifs que ceux énoncés au point 24 de la présente décision, le moyen tiré de ce que les articles 28 à 30 méconnaîtraient les principes de liberté syndicale et de non-discrimination entre organisations syndicales doit être écarté.

46. En quatrième lieu, les articles 28, 29 et 30 du décret attaqué n'ont ni pour objet ni pour effet d'étendre, à compter du 1er août 2016, les règles de postulation prévues par l'article 5 de la loi du 31 décembre 1971 aux procédures d'appel devant la chambre sociale de la cour d'appel d'un jugement d'un conseil de prud'hommes. Les parties devant les conseils de prud'hommes peuvent, par suite, être assistées et représentées devant la cour d'appel par l'avocat de leur choix, quelle que soit sa résidence professionnelle. Par suite, M. A...n'est pas fondé à soutenir que le décret attaqué méconnaîtrait le principe d'égalité entre les justiciables en imposant des frais supplémentaires à ceux d'entre eux qui sont représentés par un avocat ne pouvant postuler devant la cour d'appel.

47. En cinquième lieu, aux termes de l'article 1635 bis P du code général des impôts : " Il est institué un droit d'un montant de 225 ? dû par les parties à l'instance d'appel lorsque la constitution d'avocat est obligatoire devant la cour d'appel. Le droit est acquitté par l'avocat postulant pour le compte de son client par voie électronique. Il n'est pas dû par la partie bénéficiaire de l'aide juridictionnelle. / Le produit de ce droit est affecté au fonds d'indemnisation de la profession d'avoués près les cours d'appel. / (...) ". Il résulte de ce qui a été dit au point précédent que tout avocat assistant ou représentant une partie devant la cour d'appel dans un litige prud'homal n'a pas à acquitter le droit institué par l'article 1635 bis P du code général des impôts.

48. Il résulte de ce qui précède que les requérants ne sont, en tout état de cause, pas fondés à soutenir que les articles 28 à 30 du décret attaqué, en imposant le recours à un avocat postulant et le versement du droit institué par l'article 1635 bis P, méconnaîtraient le principe d'égalité des armes et le droit d'accès à un juge.

49. En sixième lieu, la seule circonstance, invoquée par les requérants, que le garde des sceaux, ministre de la justice ait pris deux circulaires pour expliciter la portée des dispositions du décret attaqué n'est pas de nature à caractériser une méconnaissance par ce décret de l'objectif de valeur constitutionnelle d'accessibilité et d'intelligibilité du droit.

50. En septième lieu, aux termes de l'article 930-1 du code de procédure civile : " A peine d'irrecevabilité relevée d'office, les actes de procédure sont remis à la juridiction par voie électronique. / Lorsqu'un acte ne peut être transmis par voie électronique pour une cause étrangère à celui qui l'accomplit, il est établi sur support papier et remis au greffe. En ce cas, la déclaration d'appel est remise au greffe en autant d'exemplaires qu'il y a de parties destinataires, plus deux. La remise est constatée par la mention de sa date et le visa du greffier sur chaque exemplaire, dont l'un est immédiatement restitué. / (...) ". L'article 930-2, dans sa rédaction issue de l'article 30 du décret attaqué, dispose que : " Les dispositions de l'article 930-1 ne sont pas applicables au défenseur syndical. / Les actes de procédure effectués par le défenseur syndical peuvent être établis sur support papier et remis au greffe. Dans ce cas, la déclaration d'appel est remise au greffe en autant d'exemplaires qu'il y a de parties destinataires, plus deux. La remise est constatée par la mention de sa date et le visa du greffier sur chaque exemplaire, dont l'un est immédiatement restitué ".

51. Les avocats, professionnels du droit exerçant à titre habituel la mission d'assistance et de représentation des justiciables, se trouvent dans une situation différente des défenseurs syndicaux qui réalisent, à côté de leur activité professionnelle, des missions ponctuelles de représentation des justiciables devant les cours d'appel statuant en matière prud'homale. Alors que les avocats disposent d'un outil sécurisé de transmission par voie électronique des pièces de procédure aux juridictions civiles, il ne ressort pas des pièces des dossiers que les défenseurs syndicaux pourraient être en mesure de communiquer les actes de procédure par voie électronique dans des conditions conformes aux exigences posées par le code de procédure civile. En cas d'impossibilité de transmission par voie électronique, les avocats sont tenus de remettre au greffe les actes de procédure. En soumettant les défenseurs syndicaux à la même exigence procédurale, la disposition critiquée n'établit pas une différence de traitement disproportionnée au regard de l'objectif de bonne administration de la justice. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance du principe d'égalité devant la justice doit être écarté.

52. À supposer même qu'elle puisse représenter une contrainte particulière pour certains défenseurs syndicaux, l'obligation de remise au greffe des actes de procédure prévue à l'article 30 du décret attaqué ne méconnaît pas le droit d'accès à un tribunal garanti par l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Eu égard à son objet et à sa portée, cette règle de procédure ne méconnaît aucunement la liberté syndicale et la liberté de choix de son défenseur.

Quant à la légalité des articles 34 à 40 du décret attaqué :

53. Aux termes de l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel : " Le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution peut être soulevé, y compris pour la première fois en cassation, à l'occasion d'une instance devant le Conseil d'État ou la Cour de cassation. Le moyen est présenté, à peine d'irrecevabilité, dans un mémoire distinct et motivé. (...) ". Faute d'avoir été présenté selon ces modalités, le moyen soulevé par le Conseil national des barreaux et tiré de la méconnaissance, par les dispositions de l'article 267 de la loi du 6 août 2015, des droits et libertés que la Constitution garantit est irrecevable.

Quant à la légalité des articles 45 et 46 du décret attaqué :

54. L'exercice du pouvoir réglementaire implique pour son détenteur la possibilité de modifier à tout moment les normes qu'il définit sans que les personnes auxquelles sont, le cas échéant, imposées de nouvelles contraintes, puissent invoquer un droit au maintien de la réglementation existante. En principe, les nouvelles normes ainsi édictées ont vocation à s'appliquer immédiatement, dans le respect des exigences attachées au principe de non-rétroactivité des actes administratifs. Toutefois, il incombe à l'autorité investie du pouvoir réglementaire, agissant dans les limites de sa compétence et dans le respect des règles qui s'imposent à elle, d'édicter, pour des motifs de sécurité juridique, les mesures transitoires qu'implique, s'il y a lieu, cette réglementation nouvelle. Il en va ainsi lorsque l'application immédiate de celle-ci entraîne, au regard de l'objet et des effets de ses dispositions, une atteinte excessive aux intérêts publics ou privés en cause. Ces mesures transitoires peuvent résider dans le report de l'entrée en vigueur de cette réglementation nouvelle.

55. En prévoyant une entrée en vigueur le 1er août 2016 des dispositions nouvelles régissant la procédure prud'homale en première instance et en appel, les articles 45 et 46 du décret ont, eu égard à la nature et à la portée de ces dispositions, laissé aux avocats et aux défenseurs syndicaux choisis notamment en raison de leur connaissance du droit social un délai raisonnable pour s'adapter à ces modifications. Le moyen tiré de la méconnaissance du principe de sécurité juridique et des droits de la défense doit, dès lors, être écarté.

56. Il résulte de tout ce qui précède que les requérants ne sont fondés à demander l'annulation du décret attaqué qu'en tant que son article 14 insère à l'article R. 1454-13 du code du travail la phrase " Le bureau de conciliation et d'orientation ne peut renvoyer l'affaire à une audience ultérieure du bureau de jugement que pour s'assurer de la communication des pièces et moyens au défendeur. ".

Sur les conclusions présentées par les requérants au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

57. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'État une somme de 1 000 euros à verser à M.A..., au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. En revanche, ces dispositions font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'État le versement d'une somme au titre des frais exposés par les autres requérants et non compris dans les dépens.



D E C I D E :
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Article 1er : Les interventions du Syndicat pour la défense des postiers et du Syndicat des employés du commerce et des interprofessionnels sont admises.

Article 2 : La seconde phrase de l'article R. 1454-13 du code du travail, dans sa rédaction résultant du décret du 20 mai 2016, est annulée.

Article 3 : L'article R. 1454-17 du code du travail, dans sa rédaction résultant du décret du 20 mai 2016, s'entend comme visant les articles R. 1454-12 et R. 1454-13 du code du travail et non les articles R. 1454-13 et R. 1454-14 de ce code.

Article 4 : Un extrait de la présente décision, comprenant l'article 3 de son dispositif et les motifs qui en sont le support, sera publié au Journal officiel dans un délai d'un mois à compter de la réception par le Premier ministre de la notification de cette décision.

Article 5 : L'État versera à M. A...une somme de 1 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 6 : Le surplus de la requête de M. A...et les requêtes de la Confédération Générale du Travail, du Syndicat des avocats de France, du Conseil national des barreaux, de l'Union départementale des syndicats Force Ouvrière d'Indre-et-Loire, du Syndicat national C.G.T. des Chancelleries et services judiciaires et de l'Union syndicale Solidaires et autres sont rejetées.

Article 7 : La présente décision sera notifiée à M. B...A..., à la Confédération Générale du Travail, au Syndicat des avocats de France, au Conseil national des barreaux, à l'Union départementale des syndicats Force Ouvrière d'Indre-et-Loire, au Syndicat national C.G.T. des Chancelleries et services judiciaires, à l'Union syndicale Solidaires, représentant désigné pour l'ensemble des requérants, au Premier ministre, à la garde des sceaux, ministre de la justice, à la ministre du travail, au Syndicat pour la défense des postiers et au Syndicat des employés du commerce et des interprofessionnels.


Voir aussi