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Ariane Web: Conseil d'État 410714, lecture du 8 février 2019, ECLI:FR:CECHR:2019:410714.20190208

Décision n° 410714
8 février 2019
Conseil d'État

N° 410714
ECLI:FR:CECHR:2019:410714.20190208
Inédit au recueil Lebon
3ème - 8ème chambres réunies
M. Géraud Sajust de Bergues, rapporteur
M. Laurent Cytermann, rapporteur public
LE PRADO ; SCP ROCHETEAU, UZAN-SARANO, avocats


Lecture du vendredi 8 février 2019
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

M. F...D..., Mme J...D..., M. et Mme E...H..., M. et Mme A...I..., Mme C...N..., M. K...B...ainsi que M. et Mme M... G...ont demandé au tribunal administratif de Clermont-Ferrand d'annuler, en premier lieu, la délibération par laquelle le conseil municipal de Saint-Victor-sur-Arlanc a donné pouvoir au maire de la commune pour consulter les électeurs de la section de commune du Bourg afin qu'ils se prononcent sur la vente des parcelles cadastrées section A n° 1349, 1350, 1351 et 1353 appartenant à cette section, en deuxième lieu, l'arrêté du 7 mai 2015 par lequel le maire de Saint-Victor-sur-Arlanc a convoqué les électeurs de la section afin qu'ils se prononcent sur cette vente, en troisième lieu, les opérations de vote du 7 juin 2015 et, en dernier lieu, la délibération du 17 juin 2015 par laquelle le conseil municipal de Saint-Victor-sur-Arlanc a accepté de procéder à la vente des parcelles et a chargé le maire de signer toutes pièces relatives à ce dossier.

Par un jugement n° 1501306 du 5 novembre 2015, le tribunal administratif de Clermont-Ferrand a rejeté leur demande.

Par un arrêt n° 16LY00012 du 14 juin 2016, la cour administrative d'appel de Lyon a refusé de transmettre au Conseil d'Etat la question prioritaire de constitutionnalité présentée par M. et Mme D...et autres à l'appui de leur appel dirigé contre ce jugement, et relative à la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des articles L. 2411-1, L. 2411-3 et L. 2411-16 du code général des collectivités territoriales, dans leur rédaction issue de la loi du 27 mai 2013 modernisant le régime des sections de commune.

Par un arrêt n° 16LY00012 du 21 mars 2017, la cour administrative d'appel de Lyon a rejeté l'appel de M. et Mme D...et autres.

Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 22 mai et 21 août 2017 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. et Mme F...D..., M. et Mme E...H..., Mme L...I..., M. A...I..., Mme C...N...ainsi que M. et Mme M...G...demandent au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'arrêt du 21 mars 2017 ;

2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à leur appel ;

3°) de mettre à la charge de la commune de Saint-Victor-sur-Arlanc une somme de 4 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.


Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- la Constitution, notamment son Préambule et son article 3;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;
- le code général des collectivités territoriales ;
- la loi n° 2013-428 du 27 mai 2013 ;
- la décision du Conseil constitutionnel n° 2011-2018 QPC du 8 avril 2011 ;
- le code de justice administrative ;



Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Géraud Sajust de Bergues, conseiller d'Etat,

- les conclusions de M. Laurent Cytermann, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Rocheteau, Uzan-Sarano, avocat de M. et Mme F...D..., de M. et Mme E...H..., de Mme L...I..., de M. A...I..., de Mme C...N...et de M. et Mme M... G...et à Me Le Prado, avocat de la commune de Saint-Victor-sur-Arlanc ;



1. Les dispositions de l'article 23-2 de l'ordonnance portant loi organique du 7 novembre 1958 prévoient que, lorsqu'une juridiction relevant du Conseil d'Etat est saisie de moyens contestant la conformité d'une disposition législative aux droits et libertés garantis par la Constitution, elle transmet au Conseil d'Etat la question de constitutionnalité ainsi posée à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et qu'elle ne soit pas dépourvue de caractère sérieux.

2. Aux termes du 3ème alinéa du I de l'article L. 2411-1 du code général des collectivités territoriales, dans sa rédaction issue de la loi du 27 mai 2013 modernisant le régime des sections de commune : " Sont membres de la section de commune les habitants ayant leur domicile réel et fixe sur son territoire ". Aux termes du 4ème alinéa de l'article L. 2411-3 du même code, dans sa rédaction issue de la même loi : " Sont électeurs, lorsqu'ils sont inscrits sur les listes électorales de la commune, les membres de la section ". Aux termes de l'article L. 2411-11 du même code, dans sa rédaction issue de la même loi : " Le transfert à la commune de tout ou partie des biens, droits et obligations d'une section est prononcé par le représentant de l'Etat dans le département (...), si la commission syndicale n'a pas été constituée, sur demande conjointe du conseil municipal et de la moitié des membres de la section. / (...) / Les membres de la section qui en font la demande reçoivent une indemnité, (...) / (...) ". Aux termes de l'article L. 2411-16 du même code, dans sa rédaction issue de la même loi : " Lorsque la commission syndicale n'est pas constituée, le changement d'usage ou la vente de tout ou partie des biens de la section est décidé par le conseil municipal statuant à la majorité absolue des suffrages exprimés, après accord de la majorité des électeurs de la section convoquée par le maire dans les six mois de la transmission de la délibération du conseil municipal. /En l'absence d'accord de la majorité des électeurs de la section, le représentant de l'Etat dans le département statue, par arrêté motivé, sur le changement d'usage ou la vente ".

3. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, devant ces derniers, tout comme devant le Conseil d'Etat, les requérants ont contesté la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions de l'article L. 2411-16 du code général des collectivités territoriales en tant qu'elles prévoient, s'agissant de la vente des biens d'une section de commune, que ne sont consultés que ceux des membres de la section qui sont inscrits sur la liste électorale de la commune de rattachement.

4. La jouissance du bien d'une section de commune dont les fruits sont perçus en nature par ses membres constitue pour ces derniers, alors même qu'ils ne sont pas titulaires d'un droit de propriété sur ce bien, un droit patrimonial. Par suite, la cour a inexactement qualifié la question de la conformité à la Constitution qui lui était soumise en écartant comme inopérant le moyen tiré, au regard du principe d'égalité devant la loi, de la différence de traitement existant entre de tels membres, lors de la consultation préalable à la vente du bien en cause, selon qu'ils sont inscrits ou non sur la liste électorale de leur commune de rattachement.

5. Il s'ensuit que les requérants sont fondés, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens dirigés contre l'arrêt du 14 juin 2016, à demander l'annulation de cet arrêt par lequel la cour administrative d'appel de Lyon a refusé de transmettre la question prioritaire de constitutionnalité.

6. Il y a lieu, en application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative, d'examiner la question prioritaire de constitutionnalité soulevée devant la cour.

7. M. et Mme D...et autres soutiennent qu'en réservant, en cas de vente des biens sectionaux, le vote aux seuls électeurs d'une section de commune inscrits sur les listes électorales de cette commune, l'article L. 2411-16 du code général des collectivités territoriales crée une rupture d'égalité entre les membres de la section de commune qui sont inscrits sur les listes électorales de la commune et ceux qui ne le sont pas, alors que tous les membres de la section sont affectés de la même manière par la vente des biens sectionnaux.

8. La question prioritaire de constitutionnalité ainsi soulevée par M. et Mme D... et autres, qui porte sur des dispositions applicables au litige et qui n'ont pas déjà été déclarées conformes à la Constitution, présente, au regard notamment du principe d'égalité devant la loi garanti par l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen et de l'article 3 de la Constitution, un caractère sérieux. Il y a lieu, par suite, de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité invoquée et de surseoir à statuer sur le pourvoi de M. et Mme D...et autres contre l'arrêt du 21 mars 2017.


D E C I D E :
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Article 1er : L'arrêt du 14 juin 2016 de la cour administrative d'appel de Lyon est annulé.
Article 2 : La question de la conformité à la Constitution de l'article L. 2411-16 du code général des collectivités territoriales, dans sa rédaction issue de la loi du 27 mai 2013 modernisant le régime des sections de commune, en tant que ces dispositions ne prévoient, avant que les biens d'une section de commune puissent être vendus, que la consultation des membres de la section inscrits sur les listes électorales de cette commune, à l'exclusion des autres membres, est renvoyée au Conseil constitutionnel.
Article 3 : Il est sursis à statuer sur le pourvoi de M. et Mme D...et autres contre l'arrêt de la cour administrative d'appel de Lyon du 21 mars 2017 jusqu'à ce que la Conseil constitutionnel ait tranché la question de constitutionnalité ainsi soulevée.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à M. F...D..., premier dénommé, pour l'ensemble des requérants, à la commune de Saint-Victor-sur-Arlanc et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée, pour information, au Premier ministre.


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