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Ariane Web: Conseil d'État 410537, lecture du 27 février 2019, ECLI:FR:CECHR:2019:410537.20190227

Décision n° 410537
27 février 2019
Conseil d'État

N° 410537
ECLI:FR:CECHR:2019:410537.20190227
Mentionné aux tables du recueil Lebon
7ème - 2ème chambres réunies
M. Marc Pichon de Vendeuil, rapporteur
M. Gilles Pellissier, rapporteur public
SCP WAQUET, FARGE, HAZAN ; SCP OHL, VEXLIARD, avocats


Lecture du mercredi 27 février 2019
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

La société Opilo a demandé au tribunal administratif de Toulon d'annuler la délibération du conseil municipal de la commune de Sainte-Maxime du 22 mai 2013 autorisant le maire à procéder à la résiliation, au 1er novembre 2013, des contrats de sous-concession de la plage dite du Casino portant sur les lots n°s 6 et 7, en tant qu'elle concernait le lot n° 6 dont elle était titulaire, et de condamner la commune à lui verser la somme de 1 567 767 euros en réparation des préjudices résultant de cette résiliation. Par un jugement n°s 1301746, 1401693 du 17 juillet 2015, le tribunal administratif de Toulon a rejeté sa demande.

Par un arrêt n° 15MA03830 du 13 mars 2017, la cour administrative d'appel de Marseille a rejeté l'appel formé par la société Opilo contre ce jugement.

Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 15 mai et 16 août 2017 et 3 juillet 2018 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Opilo demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cet arrêt ;

2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à son appel ;

3°) de mettre à la charge de la commune de Sainte-Maxime la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.




Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- le code général des collectivités territoriales ;
- le décret n° 2006-608 du 26 mai 2006 ;
- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Marc Pichon de Vendeuil, maître des requêtes,

- les conclusions de M. Gilles Pellissier, rapporteur public.

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Waquet, Farge, Hazan, avocat de la société Opilo et à la SCP Ohl, Vexliard, avocat de la commune de Sainte-Maxime.


Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la commune de Sainte-Maxime, à laquelle l'Etat a accordé la concession des plages naturelles sur son territoire avec possibilité de sous-concession, a lancé, en 2007, un appel à candidatures pour l'attribution de l'exploitation du lot n° 6 de la " plage du Casino ". Par une délibération du 25 janvier 2008, le conseil municipal de Sainte-Maxime a autorisé le maire à attribuer l'exploitation de ce lot à la société Opilo pour une durée de douze ans. Saisi par la société Canards et Dauphins, concurrente évincée, le tribunal administratif de Toulon a annulé, par un jugement du 17 décembre 2009, la décision du 29 janvier 2008 du maire de Sainte-Maxime rejetant l'offre de cette société et a enjoint à la commune de saisir le juge du contrat afin qu'il en prononce la résolution. Par un arrêt du 4 mars 2013, la cour administrative d'appel de Marseille a confirmé l'annulation de la décision du 29 janvier 2008, pour un motif tiré de la durée excessive du contrat, différent de celui retenu par le tribunal administratif, et a enjoint à la commune non de saisir le juge du contrat, mais de résilier celui-ci avec effet différé au 1er novembre 2013. Par une décision n° 368254 du 4 juin 2014, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux, a annulé cet arrêt au motif que le moyen retenu par la cour était inopérant à l'encontre de la décision de rejet de l'offre de la société Canards et Dauphins. Par un arrêt devenu définitif du 4 mai 2015, la cour administrative d'appel de Marseille a annulé le jugement du 17 décembre 2009 et rejeté les demandes de la société Canards et Dauphins.

2. Toutefois, par une délibération du 22 mai 2013, le conseil municipal de la commune de Sainte-Maxime avait, d'une part, en conséquence de l'injonction prononcée par l'arrêt de la cour administrative d'appel de Marseille du 4 mars 2013, décidé la résiliation du contrat de sous-concession du lot n° 6 à compter du 1er novembre 2013 et, d'autre part, constaté l'absence de droit à indemnisation de l'exploitante. Par une requête enregistrée le 4 juillet 2013, la société Opilo a contesté cette délibération devant le tribunal administratif de Toulon puis, par une requête enregistrée devant le même tribunal le 30 avril 2014, a sollicité la condamnation de la commune de Sainte-Maxime à lui verser la somme de 1 567 767 euros en réparation de son préjudice économique. Le tribunal administratif de Toulon a rejeté ces deux requêtes par un jugement du 17 juillet 2015. La société Opilo se pourvoit en cassation contre l'arrêt du 13 mars 2017 par lequel la cour administrative d'appel de Marseille a rejeté son appel formé contre ce jugement.

Sur le bien-fondé de l'arrêt en tant qu'il statue sur les conclusions relatives à la résiliation du contrat :

3. Le juge du contrat, saisi par une partie d'un litige relatif à une mesure d'exécution d'un contrat, peut seulement, en principe, rechercher si cette mesure est intervenue dans des conditions de nature à ouvrir droit à indemnité. Toutefois, une partie à un contrat administratif peut, eu égard à la portée d'une telle mesure d'exécution, former devant le juge du contrat un recours de plein contentieux contestant la validité de la résiliation de ce contrat et tendant à la reprise des relations contractuelles. Il appartient au juge administratif, lorsqu'il est saisi de conclusions " aux fins d'annulation " d'une mesure de résiliation, de les regarder comme un recours de plein contentieux contestant la validité de la résiliation du contrat et tendant à la reprise des relations contractuelles. Dès lors, en estimant que les conclusions de la société Opilo tendant à l'annulation de la délibération autorisant le maire de la commune de Sainte-Maxime à résilier le contrat litigieux ne pouvaient être regardées comme visant à la reprise des relations contractuelles, qu'elles étaient, par suite, irrecevables, et en les rejetant pour ce motif, la cour administrative d'appel de Marseille a méconnu son office et ainsi commis une erreur de droit.

Sur le bien-fondé de l'arrêt en tant qu'il statue sur les conclusions indemnitaires :

4. En premier lieu, lorsqu'une décision juridictionnelle, comme en l'espèce, eu égard au droit alors applicable, a enjoint à une personne publique de résilier un contrat, ou lorsque, désormais, dans le cadre d'un recours en contestation de la validité d'un contrat, le juge prononce une telle résiliation, cette circonstance n'implique pas, par elle-même, une absence de droit à indemnisation au bénéfice du cocontractant. Ce droit à indemnisation s'apprécie alors, conformément aux principes du droit des contrats administratifs, au regard des motifs de la décision juridictionnelle et, le cas échéant, des stipulations du contrat applicables.

5. En second lieu, lorsque l'exercice des voies de recours conduit le juge d'appel ou de cassation à annuler la décision juridictionnelle qui a enjoint à la personne publique de résilier le contrat ou a prononcé sa résiliation, le préjudice éventuellement né de l'exécution de la décision juridictionnelle annulée n'est pas indemnisable. Il appartient en revanche à la personne publique de tirer les conséquences de cette annulation et de décider, sous le contrôle du juge administratif et dès lors qu'une telle mesure n'est pas sans objet, de reprendre les relations contractuelles, sauf si une telle reprise est de nature à porter une atteinte excessive à l'intérêt général et, eu égard à la nature du contrat en cause, aux droits du titulaire d'un nouveau contrat dont la conclusion aurait été rendue nécessaire par la résiliation. Si la personne publique décide de ne pas reprendre les relations contractuelles, le droit à indemnisation du cocontractant s'apprécie au regard des motifs de cette dernière décision et prend en compte les sommes qui, le cas échéant, lui ont déjà été versées après la résiliation initiale du contrat. Si la personne publique décide de reprendre les relations contractuelles, alors qu'elle a déjà indemnisé les conséquences de la résiliation initiale, il lui appartient d'exiger de son cocontractant qu'il lui restitue les sommes versées correspondant à la durée restant à courir de l'exécution du contrat.

6. Dès lors, en jugeant que la circonstance que la commune avait résilié le contrat en exécution de l'injonction décidée par son arrêt du 4 mars 2013 faisait obstacle à tout droit à indemnisation de la société Opilo, la cour administrative d'appel de Marseille a entaché l'arrêt attaqué d'erreur de droit.

7. Il résulte de tout ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens du pourvoi, que son arrêt doit être annulé.

8. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la commune de Sainte-Maxime la somme de 3 000 euros à verser à la société Opilo, en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. En revanche, les mêmes dispositions font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de la société Opilo qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante.


D E C I D E :
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Article 1er : L'arrêt du 13 mars 2017 de la cour administrative d'appel de Marseille est annulé.
Article 2 : L'affaire est renvoyée devant la cour administrative d'appel de Marseille.
Article 3 : La commune de Sainte-Maxime versera à la société Opilo une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Les conclusions de la commune de Sainte-Maxime présentées au titre des mêmes dispositions sont rejetées.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à la société Opilo et à la commune de Sainte-Maxime.


Voir aussi