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Ariane Web: Conseil d'État 383428, lecture du 25 mars 2019, ECLI:FR:CECHS:2019:383428.20190325

Décision n° 383428
25 mars 2019
Conseil d'État

N° 383428
ECLI:FR:CECHS:2019:383428.20190325
Inédit au recueil Lebon
6ème chambre
Mme Airelle Niepce, rapporteur
M. Louis Dutheillet de Lamothe, rapporteur public
SCP MARLANGE, DE LA BURGADE ; SCP GASCHIGNARD, avocats


Lecture du lundi 25 mars 2019
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

La SCI Chamer a demandé au tribunal administratif de Grenoble de condamner la commune des Allues (Savoie) à lui verser la somme de 318 253,43 euros assortie des intérêts légaux et de leur capitalisation en réparation du préjudice causé par la délivrance d'un certificat d'urbanisme positif erroné quant au caractère partiellement constructible d'un terrain situé au lieu dit " Dessus de l'Adret ". Par un jugement n° 0503908 du 29 janvier 2009, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande.

Par un arrêt n° 09LY00771 du 18 janvier 2011, la cour administrative d'appel de Lyon a, après avoir annulé ce jugement, condamné la commune des Allues à verser à la SCI Chamer une indemnité de 2 433 euros et rejeté le surplus de ses conclusions indemnitaires.

Par une décision n° 347665 du 6 novembre 2013, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux, a annulé cet arrêt en tant qu'il a rejeté le surplus des conclusions indemnitaires présentées par la SCI Chamer à l'encontre de la commune.

Par un arrêt n° 13LY02993 du 3 juin 2014, la cour administrative d'appel de Lyon, statuant sur renvoi du Conseil d'Etat, a limité à la somme de 90 295 euros l'indemnité mise à la charge de la commune des Allues et rejeté le surplus des conclusions de la SCI Chamer.

Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un nouveau mémoire, enregistrés les 4 août et 5 novembre 2014 ainsi que le 21 janvier 2019 au secrétariat du contentieux du Conseil d'État, la SCI Chamer demande au Conseil d'État :

1°) d'annuler cet arrêt en tant qu'il a rejeté le surplus de ses conclusions indemnitaires ;

2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à ses conclusions d'appel ;

3°) de mettre à la charge de la commune des Allues la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.



Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- le code de l'urbanisme ;
- le code de justice administrative ;


Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Airelle Niepce, maître des requêtes,

- les conclusions de M. Louis Dutheillet de Lamothe, rapporteur public.

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Gaschignard, avocat de la SCI Chamer et à la SCP Marlange, de la Burgade, avocat de la commune des Allues.



Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que M. A... a conclu en janvier 1997 une promesse de vente en vue de l'acquisition d'un terrain constructible sur le territoire de la commune des Allues. Il a sollicité de la commune l'obtention d'un certificat d'urbanisme positif à laquelle était liée la promesse de vente. Ce certificat positif, délivré le 13 novembre 1997, indique que le terrain est constructible, sous les seules réserves qu'il n'est pas desservi par la voirie et que, l'isolement par les pistes de ski rendant l'accès impossible en hiver, il serait fait application des dispositions du code de l'urbanisme relatives au paiement de la participation financière correspondant aux places de stationnement manquantes. M. A... a ultérieurement créé la SCI Chamer qui a régularisé l'acte authentique de vente. Le permis de construire un chalet sur ce terrain, délivré à la SCI Chamer, a été annulé par un jugement du tribunal administratif de Grenoble du 29 décembre 1999 au motif que les parcelles concernées, situées à plus de cent mètres d'une voie déneigée, ne permettent pas, contrairement aux prescriptions de l'article UD 3.2.1 du règlement du plan d'occupation de sols, de garantir l'accès des constructions aux services de lutte contre l'incendie. Par un arrêt, devenu définitif, du 2 novembre 2004, la cour administrative d'appel de Lyon a rejeté le recours formé contre ce jugement. La SCI Chamer a recherché la responsabilité de la commune en raison de la délivrance d'un certificat d'urbanisme erroné et demandé le versement d'une somme de 318 253, 43 euros en réparation des différents préjudices subis. Par un jugement du 29 janvier 2009, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté la demande présentée par la SCI Chamer. Par un arrêt du 18 janvier 2011, la cour administrative d'appel de Lyon a annulé ce jugement, retenu partiellement la responsabilité de la commune et limité à 2 433 euros le montant de l'indemnité accordée à la SCI Chamer. Par une décision n° 347665 du 6 novembre 2013, le Conseil d'État, statuant au contentieux, a annulé l'arrêt de la cour administrative d'appel de Lyon, en tant qu'il n'a pas fait entièrement droit aux conclusions indemnitaires de la SCI Chamer et a renvoyé l'affaire devant cette cour. Par un nouvel arrêt du 3 juin 2014, la cour administrative d'appel de Lyon a condamné la commune des Allues à verser à la SCI Chamer une indemnité de 90 295 euros avec intérêts et capitalisation des intérêts et rejeté le surplus des conclusions présentées par cette dernière. La SCI Chamer, par un pourvoi principal, et la commune des Allues, par un pourvoi incident, demandent l'annulation de cet arrêt. Eu égard aux moyens soulevés, le pourvoi de la SCI Chamer doit être regardé comme dirigé contre l'arrêt attaqué en tant seulement qu'il a limité à 53 698 euros le montant de la réparation de son préjudice résultant des frais exposés pour l'acquisition de son terrain.

2. En premier lieu, la cour a jugé qu'eu égard au caractère précis et sans ambiguïté du certificat d'urbanisme, et alors que la SCI Chamer n'est pas un professionnel de l'immobilier, les circonstances que celle-ci aurait été assistée d'un géomètre-expert et d'un notaire et qu'elle aurait manqué de discernement en procédant à l'acquisition rapide et inconditionnelle du terrain n'étaient pas, de nature à caractériser de sa part une faute d'imprudence susceptible d'atténuer la responsabilité de la commune. En se prononçant ainsi, par un arrêt suffisamment motivé sur ce point, la cour n'a pas inexactement qualifié les faits de la cause contrairement à ce que soutient la commune des Allues dans son pourvoi incident.

3. En second lieu, en réparation du préjudice résultant de la faute commise par une commune qui a délivré illégalement un certificat d'urbanisme positif erroné quant au caractère constructible d'un terrain, le propriétaire du terrain en cause a en principe droit à une indemnité égale à la différence entre le prix qu'il a versé pour l'acquisition du terrain litigieux, y compris les frais annexes utilement exposés, et la valeur vénale du même terrain, appréciée à la date à laquelle il a été établi que ce terrain est inconstructible. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que les frais exposés par la SCI Chamer pour l'acquisition du terrain litigieux s'élèvent à 198 184 euros hors taxe et 239 009 euros avec les taxes, que la valeur vénale de ce terrain, désormais inconstructible dans son ensemble comme l'a d'ailleurs relevé la cour dans son arrêt, a été évaluée par une expertise immobilière qui n'a pas été sérieusement contestée par la commune et a finalement été revendu en 2013 pour un montant de 15 750 euros. En estimant, après avoir jugé que la SCI Chamer avait droit au remboursement des frais exposés pour l'acquisition du terrain au prix de 198 184 euros, déduction faite de sa valeur vénale, que le préjudice devait être évalué, par une juste appréciation, à la somme de 53 698 euros, compte tenu notamment de ce que le certificat d'urbanisme erroné mentionnait une inconstructibilité partielle du terrain, la cour a entaché son arrêt d'une erreur de droit.

4. Il résulte de ce qui précède que, d'une part, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens du pourvoi, la SCI Chamer est fondée à demander l'annulation de l'arrêt qu'elle attaque, en tant seulement qu'il a limité à 53 698 euros l'indemnité concernant la perte de valeur vénale du terrain, d'autre part, les conclusions incidentes de la commune des Allues doivent être rejetées.

5. Aux termes du second alinéa de l'article L. 821-2 du code de justice administrative : " Lorsque l'affaire fait l'objet d'un second pourvoi en cassation, le Conseil d'Etat statue définitivement sur cette affaire ". Il y a lieu, par suite, de régler, dans cette mesure, l'affaire au fond.

6. En premier lieu, par l'arrêt susvisé du 18 janvier 2011, la cour administrative d'appel de Lyon a définitivement jugé que l'exception de prescription quadriennale opposée par la commune devait être écartée. Par suite, ce moyen, de nouveau invoqué par la commune, tiré de ce que la créance de la SCI Chamer serait prescrite ne peut qu'être écarté.

7. En second lieu, il résulte de l'instruction que la SCI Chamer a vendu le terrain litigieux en décembre 2013 pour une somme de 15 750 euros, ainsi qu'il a été dit au point 3. Le préjudice résultant de l'acquisition d'un terrain désormais inconstructible dans son ensemble doit, en l'espèce, au terme d'une exacte appréciation, être évalué s'agissant de la perte de valeur vénale à la somme de 223 259 euros, les éléments produits par la SCI Chamer permettant d'établir qu'elle s'est acquittée de la taxe sur la valeur ajoutée lors de l'acquisition du terrain litigieux et qu'elle n'est pas susceptible de déduire ou se faire rembourser le montant de cette taxe. La cour administrative d'appel de Lyon ayant condamné la commune des Allues à payer à la SCI Chamer, au titre de ce chef de préjudice, une somme de 53 698 euros seulement, il y a donc lieu de condamner la commune à verser à la SCI Chamer, en sus de cette somme, une indemnité complémentaire de 169 561 euros. La société a droit aux intérêts au taux légal sur cette somme à compter du 24 mars 2005, date de réception par la commune de sa demande préalable. La capitalisation des intérêts a été demandée pour la première fois dans un mémoire enregistré au greffe du tribunal administratif de Grenoble le 11 avril 2008. Les intérêts échus seront capitalisés à cette date et à chaque échéance annuelle ultérieure.

8. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de la SCI Chamer qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante. En revanche, il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire application des mêmes dispositions et de mettre à la charge de la commune des Allues le versement à la SCI Chamer de la somme de 3 000 euros.



D E C I D E :
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Article 1er : L'arrêt du 3 juin 2014 de la cour administrative d'appel de Lyon est annulé en tant seulement qu'il limite à 53 698 euros l'indemnité due à la SCI Chamer quant à la perte de valeur vénale de son terrain.
Article 2 : Les conclusions incidentes de la commune des Allues et ses conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : La commune des Allues versera à la SCI Chamer la somme complémentaire de 169 561 euros. Cette somme portera intérêt au taux légal, à compter du 24 mars 2005. Les intérêts échus au 11 avril 2008, puis à chaque échéance annuelle à compter de cette date, seront capitalisés pour produire eux-mêmes des intérêts.
Article 4 : La commune des Allues versera à la SCI Chamer une somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 5 : La présente décision sera notifiée à la SCI Chamer et à la commune des Allues.