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Ariane Web: Conseil d'État 419623, lecture du 1 avril 2019, ECLI:FR:CECHR:2019:419623.20190401

Décision n° 419623
1 avril 2019
Conseil d'État

N° 419623
ECLI:FR:CECHR:2019:419623.20190401
Publié au recueil Lebon
2ème - 7ème chambres réunies
Mme Louise Bréhier, rapporteur
M. Guillaume Odinet, rapporteur public
SCP GARREAU, BAUER-VIOLAS, FESCHOTTE-DESBOIS, avocats


Lecture du lundi 1 avril 2019
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

Par une requête, un nouveau mémoire et un mémoire en réplique, enregistrés les 6 et 19 avril 2018 et 28 février 2019 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. A...B...demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler la délibération des 6 et 7 février 2018 par laquelle le comité directeur de la Ligue nationale de rugby a modifié le règlement administratif de la Ligue, en tant qu'elle modifie les dispositions relatives aux " joueurs issus des filières de formation " ;

2°) d'enjoindre à la Ligue nationale de rugby de fixer le nombre minimal de joueurs issus des filières de formation à 35 % de l'effectif de référence des équipes professionnelles ;

3°) de mettre à la charge de la Ligue nationale de rugby une somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.


Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- les statuts de la Ligue nationale de rugby ;
- le code de justice administrative ;




Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Louise Bréhier, auditrice,

les conclusions de M. Guillaume Odinet, rapporteur public,

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Garreau, Bauer-Violas, Feschotte-Desbois, avocat de la Ligue nationale de rugby.




Considérant ce qui suit :

1. Par une délibération des 6 et 7 février 2018, le comité directeur de la Ligue nationale de rugby a décidé de modifier les dispositions du règlement administratif de la Ligue régissant la participation des " joueurs issus des filières de formations (" JIFF ") " aux championnats professionnels organisés par la Ligue à compter de la saison 2018/2019.

2. Sans modifier la définition des " joueurs issus des filières de formation " précédemment donnée par le règlement de la Ligue, la délibération a supprimé l'exigence d'une proportion de 55 % de ces joueurs dans l'effectif professionnel des clubs.

3. Mais la délibération a aussi, s'agissant de la composition des effectifs, diminué le nombre de " joueurs non issus des filières de formation " autorisés, par club professionnel, à participer aux championnats dits " TOP 14 " et " PRO D2 ". Ainsi, en vertu de cette délibération, les clubs professionnels ne peuvent compter dans leur effectif qu'un maximum de 16 " joueurs non-issus des filières de formation " autorisés à prendre part à ces championnats pour la saison 2018/2019, de 15 pour la saison 2019/2020, de 14 pour la saison 2020/2021, puis de 13 pour les saisons 2021/2022 et 2022/2023.

4. La délibération a, en outre, augmenté progressivement le nombre des " joueurs issus des filières de formation " exigé, en moyenne sur l'ensemble de la saison, sur les feuilles de matches, lesquelles peuvent compter 23 joueurs. Cette obligation, d'une part, est requise pour bénéficier d'incitations financières et, d'autre part, est prescrite à peine de pénalités sportives sous forme de retraits de points. Alors que le nombre des " joueurs issus des filières de formation " exigé en moyenne sur les feuilles de matches était de 14 pour la saison 2017/2018, ce nombre, pour la saison 2018-2019, reste fixé à 14 pour ce qui concerne les pénalités sportives mais est porté à 15 pour ce qui concerne le bénéfice d'incitations financières. Pour les saisons 2019/2020 et 2020/2021, le nombre de joueurs exigé en moyenne sur les feuilles de matches, à la fois pour les pénalités sportives et les incitations financières, est porté à 16, puis à 17 pour les saisons 2021/2022 et 2022/2023.

5. La délibération a, enfin, augmenté le nombre de points susceptibles d'être retirés au début de la saison suivante, à titre de pénalités sportives, aux clubs qui n'auraient pas satisfait, en moyenne sur la saison écoulée, à l'exigence du nombre des " joueurs issus des filières de formation " sur les feuilles de matches.

6. M. B...demande l'annulation pour excès de pouvoir de ces dispositions, en ce qu'elles fixent les seuils requis pour les joueurs issus ou non issus des filières de formation. Il doit ainsi être regardé comme demandant dans cette mesure l'annulation du point 5.2 et de l'annexe 2 de la délibération des 6 et 7 février 2018 du comité directeur de la Ligue nationale de rugby.

Sur la légalité externe de la délibération attaquée :

7. En premier lieu, si l'article 17 des statuts de la Ligue nationale de rugby dispose que le comité directeur ne peut valablement délibérer que si la moitié de ses membres est présente ou représentée, il ressort des pièces du dossier que dix-huit des vingt membres du comité directeur étaient présents ou représentés lors de la réunion des 6 et 7 février 2018. Par suite, le moyen tiré de ce que le quorum n'aurait pas été atteint lors de cette réunion manque en fait.

8. En deuxième lieu, l'article L. 212-1 du code des relations entre le public et l'administration, applicable aux actes réglementaires en vertu de l'article L. 200-1 du même code, prévoit que : " Toute décision prise par une administration comporte la signature de son auteur ainsi que la mention, en caractères lisibles, du prénom, du nom et de la qualité de celui-ci ". S'agissant d'un organisme collégial, il est satisfait aux exigences découlant des prescriptions de cet article, dès lors que la décision prise comporte la signature de son président, accompagnée des mentions prévues par cet article. Il ressort des pièces du dossier que la décision attaquée comporte cette signature et l'indication du prénom, du nom et de la qualité du président de la Ligue. Par suite, le moyen tiré de ce que la décision attaquée serait irrégulière faute de comporter les mentions requises par l'article L. 212-1 du code des relations entre le public et l'administration ne peut qu'être écarté.

Sur la légalité interne de la délibération attaquée :

9. Aux termes de l'article 45 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne : " 1. La libre circulation des travailleurs est assurée à l'intérieur de l'Union. / 2. Elle implique l'abolition de toute discrimination, fondée sur la nationalité, entre les travailleurs des États membres, en ce qui concerne l'emploi, la rémunération et les autres conditions de travail. (...) ". Aux termes du 1. de l'article 165 du même traité " L'Union contribue à la promotion des enjeux européens du sport, tout en tenant compte de ses spécificités, de ses structures fondées sur le volontariat ainsi que de sa fonction sociale et éducative ".

10. L'article 22 du règlement administratif de la Ligue nationale de rugby définit le " joueur issu des filières de formation (JIFF) " comme le joueur " qui remplit l'un des deux critères ci-dessous : / - avoir passé au moins trois saisons, consécutives ou non, au sein d'un centre de formation agréé par le ministère des sports d'un club de rugby, dans le cadre d'une convention de formation homologuée et dont le contenu de la formation (scolaire, universitaire ou professionnelle) a été validée par la commission formation FFR/LNR pour chacune de ces trois saisons. / Ou / - avoir été licencié (et avoir évolué de manière effective) pendant au moins 5 saisons - consécutives ou non - à la Fédération française de rugby à XV (FFR). La dernière saison prise en compte sera celle au cours de laquelle le joueur a 22 ans au 31 décembre. / La définition du JIFF ne comprend aucune référence à la nationalité du joueur, à son lieu de naissance ou à son ascendance ". M. B...soutient que les dispositions résultant de la délibération attaquée créent entre les joueurs des discriminations fondées sur la nationalité et portent une atteinte disproportionnée à la liberté de circulation des travailleurs résultant de l'article 45 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne.

11. D'une part, il résulte des termes mêmes des dispositions précédemment citées du règlement administratif de la Ligue nationale de rugby que les règles relatives aux " joueurs issus des filières de formation " sont indistinctement applicables, quelle que soit la nationalité de joueurs. Elles n'introduisent ainsi aucune discrimination qui serait directement fondée sur la nationalité.

12. D'autre part, les conditions qu'elles posent peuvent, il est vrai, être plus facilement remplies par des joueurs de nationalité française que par des joueurs d'autres nationalités et sont ainsi susceptibles de porter atteinte à la liberté de circulation au sein de l'Union européenne. Toutefois il ressort des pièces du dossier que ces dispositions sont, en premier lieu, destinées à permettre aux joueurs formés sous l'égide de la Fédération française de rugby, notamment dans les centres de formation professionnelle des clubs, agréés par cette fédération, de développer leur pratique de haut niveau et d'améliorer leurs chances de recrutement dans les clubs professionnels. Elles visent en second lieu à favoriser le développement de la formation des jeunes joueurs aux différents postes de jeu du rugby à XV en vue d'assurer le développement de ce sport et, par là même, la création d'un vivier de joueurs pour une équipe nationale compétitive. Ainsi qu'il ressort notamment des données sur l'augmentation du nombre de joueurs en formation présentes dans l'étude produite par la Ligue nationale de rugby non sérieusement contestée sur ce point, les mesures du type de celles en litige sont de nature à permettre la réalisation de ces objectifs de formation et de promotion des jeunes joueurs qui constituent des raisons impérieuses d'intérêt général. Eu égard aux spécificités du rugby, qui n'est pratiqué que dans un nombre limité d'Etats et à titre professionnel dans un nombre restreint de clubs, aux caractéristiques des politiques de recrutement des clubs professionnels français et à leurs conséquences sur la formation des jeunes joueurs, le seuil maximal par club de 16 joueurs non-issus des filières de formation et autorisés à participer aux championnats organisés par la Ligue, progressivement réduit à 13 joueurs, et la moyenne minimale de 14 joueurs issus des filières de formation devant être inscrits sur les feuilles de match par saison, progressivement portée à 17 joueurs, demeurent.... Par suite, et sans qu'il soit besoin de saisir la Cour de justice de l'Union européenne d'une question préjudicielle, le moyen tiré de ce que ces dispositions méconnaîtraient le principe de libre circulation des travailleurs doit être écarté.

13. Enfin, si M. B...soutient que les règles qu'il conteste seraient contraires à des dispositions du règlement dit " World Rugby " de la fédération internationale, de tels moyens ne peuvent être utilement soulevés à l'appui d'un recours pour excès de pouvoir.

14. Il résulte de tout ce qui précède que M. B...n'est pas fondé à demander l'annulation de la décision qu'il attaque. Ses conclusions présentées au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent, en conséquence, qu'être rejetées. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions présentées par la Ligue nationale de rugby au titre du même article.


D E C I D E :
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Article 1er : La requête de M. B...est rejetée.

Article 2 : Les conclusions de la Ligue nationale de rugby présentées au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 3 : La présente décision sera notifiée à M. A...B..., à la Ligue nationale de rugby, à la Fédération française de rugby et à la ministre des sports.


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