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Ariane Web: Tribunal des conflits C3846, lecture du 14 mai 2012

Décision n° C3846
14 mai 2012
Tribunal des conflits

N° C3846
Inédit au recueil Lebon

M. Gallet, président
Mme Sylvie Hubac, rapporteur
M. Sarcelet, commissaire du gouvernement


Lecture du lundi 14 mai 2012
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu, enregistrée à son secrétariat le 18 octobre 2011, l'expédition de l'arrêt du 12 octobre 2011 par lequel la Cour de Cassation, Première chambre civile, saisie d'un pourvoi formé par la société Orange France et la société France Télécom contre un arrêt rendu le 24 février 2010 par la cour d'appel de Paris, dans le litige les opposant à l'Amicale Confédération nationale du Logement de Château-Thierry, à l'association Vie et Paysages, au Conseil local des parents d'élèves de la Fédération des conseils des parents d'élèves de Château-Thierry, à Mme A, à M. B, à Mme C, à Mme D, à M. E, par lequel cette cour a infirmé l'ordonnance du 14 août 2009 du juge des référés du tribunal de grande instance de Créteil s'étant déclaré incompétent pour enjoindre à la société Orange France de faire cesser toute émission à partir d'une antenne relais de radiotéléphonie installée sur un terrain appartenant à France Télécom à Château-Thierry, a renvoyé au Tribunal, par application de l'article 35 du décret du 26 octobre 1849 modifié par le décret du 25 juillet 1960, le soin de décider de la question de compétence ;

Vu, enregistré le 30 novembre 2011, le mémoire présenté pour la société Orange France et la société France Télécom, qui concluent à ce que la juridiction administrative soit déclarée compétente pour connaître du litige, par les motifs que les demandes présentées devant le juge judiciaire tendant à la cessation de toute émission de l'antenne ont pour effet de contrarier les prescriptions de l'autorisation d'implantation de l'ouvrage délivrée par l'Agence nationale des fréquences (ANFR) ;

Vu, enregistré le 27 décembre 2011, le mémoire présenté pour l'Amicale Confédération nationale du Logement de Château-Thierry, l'association Vie et Paysages, le Conseil local des parents d'élèves de la Fédération des conseils des parents d'élèves de Château-Thierry, Mme A, M. B, à Mme C, Mme D et M. E qui concluent à ce que la juridiction de l'ordre judiciaire soit déclarée compétente pour connaître du litige, par les motifs que la circonstance que la réglementation de l'implantation des antennes relais relève au sein de l'administration, d'une police spéciale exercée notamment par l'ANFR ne saurait en soi chasser la compétence du juge judiciaire pour connaître d'une action entre personnes privées fondée sur les troubles anormaux de voisinage ; qu'il convient de distinguer entre la compétence du juge et les pouvoirs qui sont les siens ; qu'en l'espèce la décision de l'ANFR est permissive et non prescriptive ;

Vu les pièces desquelles il résulte que la saisine du Tribunal a été notifiée au ministre du travail, de l'emploi et de la santé, au ministre chargé de l'industrie, de l'énergie et de l'économie numérique, et au ministre de l'écologie et du développement durable, des transports et du logement qui n'ont pas produit de mémoires ;



Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la loi des 16-24 août 1790 et le décret du 16 fructidor an III ;

Vu la loi du 24 mai 1872 ;

Vu le décret du 26 octobre 1849 modifié ;

Vu la recommandation n° 1999/519/CE du 12 juillet 1999 du Conseil de l'Union européenne ;

Vu le code des postes et des communications électroniques ;

Vu le code général de la propriété des personnes publiques ;

Vu le décret n°2002-775 du 3 mai 2002 ;


Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Sylvie Hubac, membre du Tribunal,
- les observations de la SCP Coutard, Munier-Apaire, pour la Sté Orange France, Sté France Télécom,
- les observations de la SCP Rocheteau et Uzan-Sarano, pour l'Amicale Confédération nationale du Logement de Château-Thierry (CNL) et autres,
- les observations de la SCP Piwnica et Molinié, pour la Sté Française du Radiotéléphone (SFR),
- les conclusions de M. Jean-Dominique Sarcelet, commissaire du gouvernement ;



Considérant que selon le I de l'article L. 32-1 du code des postes et communications électroniques, les activités de communications électroniques s'exercent librement dans le respect des autorisations prévues au titre II de ce code (" Ressources et police "), notamment celles relatives à l'utilisation des fréquences radioélectriques et à l'implantation des stations radioélectriques ; que, d'une part , en application de l'article L. 42-1 du code, l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (ARCEP) attribue les autorisations d'utilisation des fréquences ou bandes de fréquences, lesquelles précisent les conditions techniques et opérationnelles nécessaires pour éviter les brouillages préjudiciables et pour limiter l'exposition du public aux champs électromagnétiques ; que ces autorisations constituent, en application de l'article L. 2124-26 du code général de la propriété des personnes publiques, un mode d'occupation privatif du domaine public de l'Etat dont les litiges relèvent, en application de l'article L. 2331-1 du code général de la propriété des personnes publiques, de la juridiction administrative ; que, d'autre part, l'article L. 43 du code des postes et communications électroniques dispose que l'Agence nationale des fréquences (ANFR), établissement public administratif de l'Etat, " coordonne l'implantation sur le territoire national des stations radioélectriques de toute nature afin d'assurer la meilleure utilisation des sites disponibles et veille au respect des valeurs limites d'exposition du public aux champs électromagnétiques. A cet effet les décisions d'implantation ne peuvent être prises qu' avec son accord " ; qu'en application du décret du 3 mai 2002 relatif aux valeurs limites d'exposition du public aux champs électromagnétiques émis par les équipements utilisés dans les réseaux de télécommunication ou par les installations radioélectriques, qui a repris les valeurs limites fixées par la recommandation du 12 juillet 1999 de l'Union européenne relative à la limitation de l'exposition au public aux champs électromagnétiques, toute personne exploitant un réseau de communications électroniques adresse à l'ANFR un dossier contenant une déclaration selon laquelle l'équipement ou l'installation qu'elle se propose d'implanter en un lieu donné est conforme aux normes et spécifications imposées par la législation et respecte les valeurs limites d'exposition ; que ce dossier doit justifier des actions engagées pour s'assurer, au sein des établissements scolaires, des crèches ou des établissements de soins situés dans un rayon de cent mètres à partir de l'installation, que l'exposition du public aux champs électromagnétiques est aussi faible que possible, tout en préservant la qualité du service rendu ; que selon l'article R. 20-44-11 du code : " Devant le silence gardé par l'agence, l'accord est réputé acquis aux termes d'un délai de deux mois après la saisine de l'agence " ;

Considérant qu'il résulte de ces dispositions que le législateur a organisé une police spéciale des communications électroniques confiée à l'Etat ; qu'afin d'assurer sur l'ensemble du territoire national et conformément au droit de l'Union européenne, d'une part, un niveau élevé et uniforme de protection de la santé publique contre les effets des ondes électromagnétiques émises par les réseaux de communications électroniques, qui sont identiques sur tout le territoire, d'autre part, un fonctionnement optimal de ces réseaux, notamment par une couverture complète de ce territoire, le législateur a confié aux seules autorités publiques qu'il a désignées le soin de déterminer et contrôler les conditions d'utilisation des fréquences ou bandes de fréquences et les modalités d'implantation des stations radioélectriques sur l'ensemble du territoire ainsi que les mesures de protection du public contre les effets des ondes qu'elles émettent et contre les brouillages préjudiciables ;

Considérant que, par suite, l'action portée devant le juge judiciaire, quel qu'en soit le fondement, aux fins d'obtenir l'interruption de l'émission, l'interdiction de l'implantation, l'enlèvement ou le déplacement d'une station radioélectrique régulièrement autorisée et implantée sur une propriété privée ou sur le domaine public, au motif que son fonctionnement serait susceptible de compromettre la santé des personnes vivant dans le voisinage ou de provoquer des brouillages implique, en raison de son objet même, une immixtion dans l'exercice de la police spéciale dévolue aux autorités publiques compétentes en la matière ; que, nonobstant le fait que les titulaires d'autorisations soient des personnes morales de droit privé et ne soient pas chargés d'une mission de service public, le principe de la séparation des pouvoirs s'oppose à ce que le juge judiciaire, auquel il serait ainsi demandé de contrôler les conditions d'utilisation des fréquences radioélectriques au regard des nécessités d'éviter les brouillages préjudiciables et de protéger la santé publique et, partant, de substituer, à cet égard, sa propre appréciation à celle que l'autorité administrative a portée sur les mêmes risques ainsi que, le cas échéant, de priver d'effet les autorisations que celle-ci a délivrées, soit compétent pour connaître d'une telle action ;

Considérant, en revanche, que le juge judiciaire reste compétent, sous réserve d'une éventuelle question préjudicielle, pour connaître des litiges opposant un opérateur de communications électroniques à des usagers ou à des tiers, d'une part, aux fins d'indemnisation des dommages causés par l'implantation ou le fonctionnement d'une station radioélectrique qui n'a pas le caractère d'un ouvrage public, d'autre part, aux fins de faire cesser les troubles anormaux de voisinage liés à une implantation irrégulière ou un fonctionnement non conforme aux prescriptions administratives ou à la preuve de nuisances et inconvénients anormaux autres que ceux afférents à la protection de la santé publique et aux brouillages préjudiciables ;

Considérant qu'il résulte de ce qui a été dit ci dessus que la juridiction de l'ordre judiciaire est incompétente pour connaître du litige opposant la société Orange France et la société France Télécom à l'Amicale Confédération nationale du Logement de Château-Thierry, à l'association Vie et Paysages, au Conseil local des parents d'élèves de la Fédération des conseils des parents d'élèves de Château-Thierry, à Mme A, à M. B, à Mme C, à Mme D, à M. E tendant à ce que soit prononcée la cessation des émissions d'ondes radioélectriques à partir d'une antenne-relais de téléphonie mobile ayant reçu l'accord de l'ANFR pour être implantée sur le territoire de la commune de Château-Thierry au motif que cette installation présenterait un risque pour la santé des populations vivant dans son voisinage ; qu'il n'appartient qu'au juge administratif de connaître d'un tel litige ;



D E C I D E :
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Article 1er : La juridiction administrative est compétente pour connaître du litige opposant la société Orange France et la société France Télécom à l'Amicale Confédération nationale du Logement de Château-Thierry, à l'association Vie et Paysages, au Conseil local des parents d'élèves de la Fédération des conseils des parents d'élèves de Château-Thierry, à Mme Damiens, à M. Four, à Mme Teubner, à Mme Loppin, à M. Franclet.

Article 2 : La présente décision sera notifiée au garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés, qui est chargé d'en assurer l'exécution.