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Ariane Web: Tribunal des conflits C3886, lecture du 17 décembre 2012

Décision n° C3886
17 décembre 2012
Tribunal des conflits

N° C3886
Inédit au recueil Lebon

M. Gallet, président
M. Jean-Marc Beraud, rapporteur
Mme Escaut, commissaire du gouvernement


Lecture du lundi 17 décembre 2012
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu, enregistrée à son secrétariat le 1er juin 2012, l'expédition de la décision du 9 mai 2012 par laquelle le Conseil d'Etat, statuant au contentieux, saisi du pourvoi contre une ordonnance du 17 janvier 2012 par laquelle le juge des référés du tribunal administratif de Nantes s'est déclaré incompétent pour connaître de la demande de Mme A...tendant à enjoindre à l'établissement public local d'enseignement David d'Angers de poursuivre l'exécution de son contrat de travail en application d'un jugement prud'homal ayant requalifié son contrat d'avenir en contrat à durée indéterminée, a renvoyé au Tribunal, par application de l'article 34 du décret du 26 octobre 1849, le soin de décider sur la compétence ;

Vu l'ordonnance du 13 décembre 2011 par laquelle le juge des référés du conseil de prud'hommes d'Angers s'est déclaré incompétent pour connaître d'une telle demande au motif qu'elle portait sur la poursuite d'une relation contractuelle avec une personne morale de droit public ;

Vu les pièces desquelles il résulte que la saisine du Tribunal des conflits a été notifiée au ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social, qui n'a pas produit de mémoire ;

Vu, enregistrées le 17 juin 2012, les observations présentées pour l'établissement public local d'enseignement David d'Angers tendant à ce que le Tribunal désigne la juridiction administrative compétente pour connaître du litige au motif que la demande de la salariée tend à la poursuite d'un contrat de droit public par une personne de droit public ;

Vu, enregistrées le 25 octobre 2012, les observations du ministre de l'éducation nationale tendant à ce que soit reconnue la compétence du juge judiciaire aux motifs que la salariée ne demande pas que son contrat se poursuive sous la forme d'un contrat de droit public mais demande de prendre des mesures conservatoires afin de maintenir une relation de travail de droit privé ;




Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la loi des 16-24 août 1790 et le décret du 16 fructidor an III ;

Vu la loi du 24 mai 1872 ;

Vu le décret du 26 octobre 1849 modifié ;

Vu le code du travail ;



Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Jean-Marc Béraud, membre du Tribunal,
- les observations de la SCP Didier-Pinet pour Etablissement local d'enseignement David d'Angers,
- les conclusions de Mme Nathalie Escaut, commissaire du gouvernement ;




Considérant que Mme A...a été recrutée en qualité d'employée de vie scolaire par l'établissement public local d'enseignement David d'Angers dans le cadre d'un "contrat d'avenir" pour la période du 6 novembre 2008 au 30 juin 2009, ce contrat ayant été renouvelé pour la période du 1er juillet 2009 au 30 juin 2010 ; qu'à compter du 1er juillet 2010, Mme A...a été liée à l'établissement par un "contrat unique d'insertion", dont le terme était fixé au 5 novembre 2011 ; que, par jugement du 14 avril 2011, le conseil de prud'hommes d'Angers a requalifié la relation contractuelle existant entre Mme A...et l'établissement en contrat à durée indéterminée ; que, saisi par Mme A...d'une demande tendant à l'exécution provisoire de ce jugement et à son maintien dans son poste de travail, après que l'établissement avait cessé de lui confier du travail et de la payer à compter du 5 novembre 2011, le juge des référés du conseil de prud'hommes d'Angers a, par décision du 13 décembre 2011, jugé que le litige tendait à la poursuite d'une relation contractuelle au-delà du terme des contrats de droit privé et relevait de la compétence de la juridiction administrative ; que le juge des référés du tribunal administratif de Nantes, saisi par Mme A...sur le fondement de l'article L. 521-3 du code de justice administrative a dit que les dispositions de cet article et des articles L. 911-1 et suivants du même code ne permettaient pas au juge des référés du tribunal administratif d'ordonner à une personne morale de droit public de prendre les mesures d'exécution découlant d'un jugement prononcé par une juridiction civile statuant en matière prud'homale ; que sur pourvoi en cassation formé contre cette ordonnance, le Conseil d'Etat par arrêt du 9 mai 2012, a renvoyé au Tribunal, par application de l'article 34 du décret du 26 octobre 1849, le soin de décider sur la compétence ;

Considérant que selon les dispositions, alors en vigueur, de l'article L. 5134-41 du code du travail, le "contrat d'avenir" est un contrat de travail de droit privé à durée déterminée; qu'il en est de même du "contrat unique d'insertion" aux termes des dispositions combinées des articles L. 5134-19-3 et L. 5134-24 du même code ; qu'il appartient en principe à l'autorité judiciaire de se prononcer sur les litiges nés de la conclusion, de l'exécution et de la rupture de tels contrats, même si l'employeur est une personne publique gérant un service public à caractère administratif ; qu'il lui incombe, à ce titre, de se prononcer sur une demande de requalification de ces contrats ;

Considérant toutefois que, d'une part, dans le cas où la contestation met en cause la légalité de la convention passée, notamment, entre l'Etat et l'employeur, la juridiction administrative est seule compétente pour se prononcer sur la question préjudicielle ainsi soulevée ; que d'autre part, le juge administratif est également seul compétent pour tirer les conséquences d'une éventuelle requalification d'un contrat, soit lorsque celui-ci n'entre en réalité pas dans le champ des catégories d'emplois, d'employeurs ou de salariés visées par le code du travail, soit lorsque la requalification effectuée par le juge judiciaire, pour un autre motif, a pour conséquence non la réparation du préjudice résultant de la rupture du contrat mais la poursuite d'une relation contractuelle entre le salarié et la personne morale de droit public gérant un service public administratif, au-delà du terme du ou des contrats relevant de la compétence du juge judiciaire ;

Considérant, d'une part, que par son jugement du 14 avril 2011, le conseil de prud'hommes d'Angers a requalifié la relation contractuelle existant entre Mme A...et l'établissement public d'enseignement en contrat à durée indéterminée au motif que l'employeur avait manqué à son obligation de formation légalement prévue dans ces contrats, ce dont il résulte que si cette requalification a eu pour effet de transformer en licenciement la rupture ultérieurement notifiée pour arrivée du terme, elle n'a pas eu pour conséquence de placer la relation de travail en dehors du droit privé ni d'entraîner la poursuite d'une relation contractuelle entre l'établissement et la salariée au-delà du terme du dernier contrat aidé relevant de la compétence du juge judiciaire ; d'autre part, qu'aucun travail n'a plus été fourni ni aucun salaire versé après la date initialement convenue comme devant marquer la fin des relations entre les parties ; que, dès lors, le juge judiciaire est compétent pour tirer les conséquences de la requalification du contrat qu'il a prononcée ;






D E C I D E :
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Article 1er : La juridiction de l'ordre judiciaire est compétente pour connaître du litige opposant Mme A...à l'établissement public local d'enseignement David d'Angers.

Article 2 : L'ordonnance rendue par la formation de référés du conseil de prud'hommes d'Angers du 13 décembre 2011 est déclarée nulle et non avenue ; la cause et les parties sont renvoyées devant ce tribunal.

Article 3: La procédure suivie devant les juridictions de l'ordre administratif est déclarée nulle et non avenue à l'exception de celle suivie devant le Conseil d'État.

Article 4 : La présente décision sera notifiée au garde des sceaux, ministre de la justice, qui est chargé d'en assurer l'exécution.