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Ariane Web: Tribunal des conflits C3915, lecture du 18 novembre 2013

Décision n° C3915
18 novembre 2013
Tribunal des conflits

N° C3915
Inédit au recueil Lebon

M. Gallet, président
M. Edmond Honorat, rapporteur
Mme Batut, commissaire du gouvernement


Lecture du lundi 18 novembre 2013
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS




Vu, enregistrée à son secrétariat le 28 mars 2013, l'expédition de l'ordonnance du 26 mars 2013 par laquelle le juge des référés du tribunal administratif de Dijon, saisi d'une demande de la société d'exploitation des établissements Frilley tendant à la désignation d'un expert en vue de visiter les locaux du Centre de ressources et de formation des organismes de sécurité sociale de Bourgogne et de Franche Comté situés 7 rue de la Redoute à Dijon, de donner son avis sur le montant du préjudice qu'elle a subi du fait de la suspension du chantier décidée par le maître d'ouvrage et le maître d'oeuvre du 17 février au 18 avril 2011 ainsi que sur les responsabilités encourues, a renvoyé au Tribunal, par application de l'article 34 du décret du 26 octobre 1849 modifié, le soin de décider sur la question de compétence ;

Vu l'ordonnance du 4 septembre 2012 par laquelle le président du tribunal de grande instance de Dijon s'est déclaré incompétent pour connaître de ce litige ;

Vu le mémoire, enregistré le 10 mai 2013, présenté pour le Centre de ressources et de formation des organismes de la sécurité sociale de Bourgogne et de Franche-Comté, qui conclut à ce que la juridiction judiciaire soit déclarée compétente pour connaître du litige ; il soutient que le litige trouve son origine dans des contrats passés entre des personnes de droit privé ; que la circonstance que le contrat liant le centre à l'entrepreneur principal, dont la société d'exploitation des établissements Frilley est l'un des sous-traitants, ait été passé, en vertu de l'article L. 124-4 du code de la sécurité sociale, dans des conditions respectant les garanties prévues en matière de marchés de l'Etat, ne saurait conférer un caractère administratif à ce contrat ;

Vu le mémoire, enregistré le 7 juin 2013, présenté pour la société Tria Architectes, qui conclut à ce que la juridiction administrative soit déclarée compétente pour connaître du litige ; elle soutient que les marchés passés par les personnes visées à l'article L. 124-4 du code de la sécurité sociale doivent être regardés comme passés en application du code des marchés publics dès lors que ces dispositions leur sont applicables en vertu de l'arrêté du 16 juin 2008 pris pour l'application de l'article L. 124-4 ; que ces marchés sont, dès lors, des contrats administratifs ; qu'il en va également ainsi des contrats de sous-traitance ;

Vu le mémoire, enregistré le 21 juin 2013, présenté par la ministre des affaires sociales, qui conclut à ce que la juridiction judiciaire soit déclarée compétente pour connaître du litige ; elle soutient que le litige trouve son origine dans des contrats passés entre des personnes de droit privé ; que la circonstance que le contrat liant le centre à l'entrepreneur principal, dont la société d'exploitation des établissements Frilley est l'un des sous-traitants, ait été passé et exécuté, en vertu de l'article L. 124-4 du code de la sécurité sociale, dans des conditions respectant les garanties prévues en matière de marchés de l'Etat, ne saurait conférer un caractère administratif à ce contrat ;

Vu les pièces desquelles il résulte que la saisine du Tribunal a été notifiée à la société d'exploitation des établissements Frilley, à la société Cete Apave Sudeurope, à la société Apave-agence de Dijon, à la société Socotec, à la société Rudo Chantier, à la SCP Thiebaut en sa qualité de liquidateur judiciaire de la société Ferraroli et au ministre de l'économie et des finances, qui n'ont pas produit de mémoire ;



Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la loi des 16-24 août 1790 et le décret du 16 fructidor an III ;

Vu la loi du 24 mai 1872 ;

Vu le décret du 26 octobre 1849 modifié ;

Vu le code de la sécurité sociale, notamment son article L. 124-4 ;

Vu la loi n° 2001-1168 du 11 décembre 2001, notamment son article 2 ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Edmond Honorat, membre du Tribunal,
- les conclusions de Mme Anne-Marie Batut, commissaire du gouvernement ;


Considérant que le Centre de ressources et de formation des organismes de sécurité sociale de Bourgogne et de Franche Comté (" CRF Dijon") a passé avec la société Ferraroli un marché de travaux en vue de l'extension et de la réhabilitation de ses locaux à Dijon, dont la maîtrise d'oeuvre a été confiée à la société Tria Architectes et le contrôle technique à la société Apave Sudeurope ; que le lot chauffage-climatisation-ventilation a été sous-traité par la société Ferraroli à la société d'exploitation des établissements Frilley (" société Frilley ") ; qu'avant le début des travaux, la société Socotec et la société Rudo Chantier ont été chargées par le CRF Dijon respectivement du repérage de l'amiante et du désamiantage des locaux ; que, toutefois, de l'amiante ayant été découverte après le début des travaux, ceux-ci ont été interrompus sur instruction du maître de l'ouvrage et du maître d'oeuvre ; que la société Frilley a demandé au président du tribunal de grande instance de Dijon d'ordonner en référé une expertise contradictoire avec le CRF Dijon et les entreprises mentionnées ci-dessus aux fins de déterminer le préjudice qu'elle estime avoir subi du fait de l'interruption des travaux ainsi que les responsabilités encourues ; que, par une ordonnance du 4 septembre 2012, le président du tribunal de grande instance de Dijon a déclaré que la juridiction judiciaire n'était pas compétente pour connaître de ces conclusions ; que, saisi de la même demande, le juge des référés du tribunal administratif de Dijon a, par une ordonnance du 26 mars 2013, décliné la compétence de la juridiction administrative et décidé de saisir le Tribunal en application de l'article 34 du décret du 26 octobre 1849 modifié ;

Considérant qu'avant tout procès et avant même que puisse être déterminée, eu égard aux parties éventuellement appelées en la cause principale, la compétence sur le fond du litige, et dès lors que ce dernier est de nature à relever, fût-ce pour partie, de l'ordre de juridiction auquel il appartient, le juge des référés a compétence pour ordonner une mesure d'instruction sans que soit en cause le principe de séparation des autorités administratives et judiciaires ; qu'il n'en va autrement que lorsqu'il est demandé au juge des référés d'ordonner une mesure d'instruction qui porte à titre exclusif sur un litige dont la connaissance au fond n'appartient manifestement pas à l'ordre de juridiction dont il relève ;

Considérant que la demande d'expertise formée par la société Frilley se rapporte aux responsabilités encourues dans le cadre de l'exécution de marchés passés par le CRF Dijon avec des entreprises tierces pour la réalisation de travaux ainsi que, le cas échéant, dans le cadre du contrat de sous-traitance qu'elle a passé avec l'entreprise Ferraroli ; que le CRF Dijon est, en vertu de l'article L. 611-3 du code de la sécurité sociale, un organisme de droit privé ; qu'en passant les marchés en cause, il a agi pour son propre compte et non pour le compte d'une personne morale de droit public ; que si l'article L. 124-4 du même code dispose que les travaux d'un tel organisme font l'objet de marchés " dont le mode de passation et les conditions d'exécution respectent les garanties prévues en matière de marchés de l'Etat " et si, selon l'article 2 de la loi du 11 décembre 2001, les marchés passés en application du code des marchés publics ont le caractère de contrats administratifs, les dispositions de l'article L. 124-4 du code de la sécurité sociale n'ont pas pour effet de rendre applicable à ces contrats le code des marchés publics ni, par suite, d'en faire des contrats administratifs ; que le contrat de sous-traitance passé entre les deux personnes morales de droit privé que sont la société Ferraroli et la société Frilley est également un contrat de droit privé ; qu'en conséquence, le litige relatif à l'exécution de ces contrats de droit privé relève de la compétence de la juridiction judiciaire ;

Considérant qu'il suit de là que la demande d'expertise formée par la société Frilley ne relève manifestement pas de la compétence de la juridiction administrative ; que la juridiction judiciaire est seule compétente pour en connaître ;





D E C I D E :
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Article 1er : La juridiction de l'ordre judiciaire est compétente pour connaître du litige opposant la société d'exploitation des établissements Frilley au Centre de ressources et de formation des organismes de sécurité sociale de Bourgogne et de Franche Comté et autres.

Article 2 : L'ordonnance du 4 septembre 2012 du président du tribunal de grande instance de Dijon est déclarée nulle et non avenue. La cause et les parties sont renvoyées devant ce tribunal.

Article 3 : La procédure suivie devant le tribunal administratif de Dijon est déclarée nulle et non avenue, à l'exception de l'ordonnance rendue le 26 mars 2013 par le juge des référés de ce tribunal.

Article 4 : La présente décision sera notifiée au garde des sceaux, ministre de la justice, qui est chargé d'en assurer l'exécution.