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Ariane Web: Tribunal des conflits C3793, lecture du 6 juillet 2011

Décision n° C3793
6 juillet 2011
Tribunal des conflits

N° C3793
Publié au recueil Lebon

M. Gallet, président
M. Edmond Honorat, rapporteur
M. Sarcelet, commissaire du gouvernement


Lecture du mercredi 6 juillet 2011
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS




Vu, enregistrée à son secrétariat le 25 juin 2010, l'expédition du jugement du 8 juin 2010 par lequel le tribunal administratif de Paris, saisi d'une demande de la société civile immobilière " Malesherbes Opéra " et de la société civile immobilière " La Villa Blanche " tendant, d'une part, à ce que la Société nationale des chemins de fer français (SNCF) et Réseau ferré de France (RFF) soient condamnés à leur payer " conjointement et solidairement " les sommes respectives de 30 959,98 euros et de 14 127,24 euros au titre du complément de prix de l'évacuation de terres polluées, d'autre part, à ce que la SNCF, RFF et la société d'économie mixte d'aménagement de la ville de Paris (SEMAVIP) soient condamnées à leur payer " conjointement et solidairement " les sommes respectives de 83 899,40 euros et de 41 949,70 euros au titre du préjudice constitué par l'indemnisation de la société Bouygues, de 78 363,43 et de 11 234,36 euros au titre des indemnités de retard payées aux acquéreurs des immeubles qu'elles ont vendus, de 78 762,58 et de 38 241 euros au titre des frais financiers, de 151 940,84 euros et de 91 164,50 euros au titre de la rémunération de leurs fonds propres, de 74 514,36 euros et de 44326,20 euros au titre de leurs frais de gestion, enfin, à ce que la SNCF, RFF et la SEMAVIP garantissent la société " La Villa Blanche " de toute condamnation qui serait prononcée contre elle à la requête de M. et Mme Vignerot et, plus généralement, des acquéreurs des lots en l'état de futur achèvement de l'immeuble édifié par elle sur la parcelle B3 de la zone d'action concertée, a renvoyé au Tribunal, par application de l'article 34 du décret du 26 octobre 1849 modifié, le soin de décider sur la question de la compétence ;

Vu l'ordonnance du 24 avril 2007 par laquelle le juge de la mise en état du tribunal de grande instance de Paris a déclaré la juridiction judiciaire incompétente pour connaître du litige ;

Vu, enregistré le 17 septembre 2010, le mémoire présenté pour la société Antéa, qui conclut à la compétence de la juridiction judiciaire aux motifs que la seule question posée est de déterminer la juridiction compétente pour apprécier les éventuels manquements de la SNCF et de RFF à l'obligation de dépollution qui leur incombe en vertu de l'article 34-1 du décret du 21 septembre 1977 ; que ces travaux de dépollution, qui devaient être effectués sur le domaine privé de la SNCF et dans un but exclusivement patrimonial, sont des travaux de nature privée ;

Vu, enregistré le 25 octobre 2010, le mémoire présenté pour la SNCF, qui conclut à la compétence de la juridiction administrative pour connaître du litige l'opposant aux sociétés requérantes aux motifs que les conclusions des sociétés requérantes tendant à la mise en cause de sa responsabilité délictuelle concernent des dommages résultant de la présence et de l'exploitation d'ouvrages publics constitués que sont les installations ferroviaires implantées sur le site pollué et relèvent donc de la compétence de la juridiction administrative ; que les conclusions des sociétés requérantes tendant à la mise en cause de sa responsabilité contractuelle sur le fondement des articles 1134 et 1135 du code civil relèvent aussi de la compétence du juge administratif dans la mesure où le contrat de vente signé le 10 juillet 1998 par RFF, substitué à la SNCF, avec la SEMAVIP, donc entre une personne publique et une personne privée en vue de la réalisation d'une opération de rénovation urbaine à but social, est un contrat administratif ;

Vu, enregistré le 15 mars 2011, le mémoire présenté pour RFF, qui conclut à la compétence de la juridiction administrative pour connaître du litige opposant les sociétés requérantes, la SEMAVIP et RFF à la SNCF et à la société Antéa et à la compétence de la juridiction judiciaire pour connaître du litige opposant les sociétés requérantes à la SEMAVIP et à RFF, aux motifs que le litige entre les sociétés requérantes et la SEMAVIP, qui oppose des personnes privées, ainsi que le litige, qui oppose la SEMAVIP à RFF au sujet de la vente du domaine privé de cet établissement, relèvent de la compétence de la juridiction judiciaire ; qu'en revanche, le litige qui oppose les sociétés requérantes, la SEMAVIP et RFF à la SNCF, qui trouve son fondement dans l'obligation de dépollution incombant à la SNCF en sa qualité de dernier exploitant d'un ouvrage public, relève de la compétence de la juridiction administrative ;

Vu, enregistré le 28 février 2011, le mémoire présenté pour la SEMAVIP, qui conclut à la compétence de la juridiction judiciaire aux motifs que les litiges qui l'opposent aux deux sociétés requérantes, donc à d'autres personnes de droit privé, relèvent de la compétence de la juridiction judiciaire ; que les litiges opposant les sociétés requérantes à la SNCF et à RFF à propos de l'obligation de dépollution d'une partie du domaine privé de ces établissements relèvent aussi de la compétence de la juridiction judiciaire ;

Vu, enregistré le 27 mai 2011, le nouveau mémoire présenté pour la SNCF, qui conclut aux mêmes fins que son précédent mémoire pour les mêmes motifs ; elle fait valoir, en outre, que la cause du dommage trouve son origine dans la dépollution de moins de 6% du terrain appartenant au domaine privé vendu par RFF ; qu'ainsi, le litige porte sur les obligations d'un contrat de vente passé par RFF et qui ne concerne pas la SNCF ;

Vu les pièces dont il résulte que la saisine du Tribunal a été communiquée à la société civile immobilière " Malesherbes Opéra ", à la société civile immobilière " La Villa Blanche " et au ministre de l'équipement, du logement, des transports et du Tourisme, qui n'ont pas produit d'observations ;


Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la loi des 16-24 août 1790 et le décret du 16 fructidor an III ;

Vu la loi du 24 mai 1872 ;

Vu le décret du 26 octobre 1849 modifié ;

Vu le code civil ;

Vu la loi n° 97-135 du 13 février 1997, notamment ses articles 5 et 6 ;

Vu le décret n° 97-445 du 5 mai 1997 ;

Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Edmond Honorat, membre du Tribunal,
- les observations de la SCP Odent-Poulet, pour la SNCF,
- les observations de la SCP Ancel-Couturier-Meir, pour RFF,
- les observations de Maître Ricard, pour la SEMAVIP,
- les observations de la SCP Blancpain-Célice-Soltner, pour la société Antéa,
- les conclusions de M. Jean-Dominique Sarcelet, commissaire du gouvernement ;


Considérant que la Société nationale des chemins de fer français (SNCF) a utilisé pour les besoins du service public ferroviaire un terrain situé à Paris, sur lequel était implanté un poste de distribution de carburant pour les motrices de trains, qui constituait une installation classée au sens de la loi du 16 avril 1976 relative aux installations classées pour la protection de l'environnement, alors en vigueur ; que ce terrain, tout comme les installations qu'il supportait, a cessé d'être utilisé au début de l'année 1994 et a été déclassé du domaine public par décision du ministre de l'équipement, du logement, des transports et du tourisme en date du 24 avril 1996 ; qu'il a fait l'objet, à l'initiative de la SNCF, de rapports d'expertise puis de travaux de dépollution par la société Antéa entre 1996 et 1997 ; que, le 1er janvier 1997, le terrain a été transféré à Réseau Ferré de France (RFF) en application de la loi du 13 février 1997 portant création de l'établissement public " Réseau Ferré de France " en vue du renouveau du transport ferroviaire, et notamment de son article 5, et du décret du 5 mai 1997 pris pour l'application de cette loi ; que, par acte du 10 juillet 1998, RFF a cédé le terrain à la société d'économie mixte d'aménagement de la ville de Paris (SEMAVIP), qui en a elle-même vendu des parcelles à la société civile immobilière " Malesherbes Opéra " et à la société civile immobilière " La Villa Blanche " par actes notariés du 23 mars 2001 ; que ces sociétés ont engagé des travaux de construction qui ont été interrompus du 12 octobre 2001 au 12 février 2002 en raison d'émanations dues à des résidus de pollution situés dans le sous-sol ;

Considérant que les sociétés " Malesherbes Opéra " et " La Villa Blanche " demandent, d'une part, de condamner " conjointement et solidairement " la SNCF et RFF à leur reverser une part des frais engagés par elles au titre de l'évacuation de terres polluées, d'autre part, de condamner " conjointement et solidairement " la SNCF, RFF et la SEMAVIP à leur verser diverses sommes en réparation des préjudices subis du fait du retard pris par les travaux, enfin, de condamner la SNCF, RFF et la SEMAVIP à les garantir des condamnations qui viendraient à être prononcées contre elle à la requête des acquéreurs des immeubles qu'elles ont vendus en l'état de futur achèvement ; que la SEMAVIP demande que la SNCF et RFF soient condamnés à la garantir solidairement des condamnations qui viendraient à être prononcées à son encontre et que RFF demande à être garanti par la SNCF et la société Antéa des condamnations qui viendraient à être prononcées contre lui ; que, par ordonnance du 24 avril 2007, devenue définitive, le juge de la mise en état du tribunal de grande instance de Paris a décliné la compétence de la juridiction judiciaire pour connaître de ce litige ; que, par un jugement du 8 juin 2010, le tribunal administratif de Paris a décliné la compétence de la juridiction administrative pour connaître du même litige et renvoyé au Tribunal, par application de l'article 34 du décret du 26 octobre 1849 modifié, le soin de décider sur la question de compétence ;

Considérant que le litige porte sur les diverses conséquences dommageables de l'existence de résidus de pollution sur le terrain sur lequel la SNCF avait exploité une installation classée, qui avait été transféré à RFF puis vendu par celui-ci à la société SEMAVIP et enfin revendu par cette dernière aux sociétés " Malesherbes Opéra " et " La Villa blanche " ;

Considérant que les actions en responsabilité dirigées par les sociétés " Malesherbes Opéra " et " La Villa Blanche " et la SEMAVIP à l'encontre de la SNCF, fondées sur le défaut de remise en état du terrain à la suite de l'arrêt définitif de l'installation classée qui s'y trouvait, dont il est constant qu'il remonte au début de l'année 1994, avant le transfert à RFF opéré à la date du 1er janvier 1997, sont relatives aux conditions d'exécution de l'obligation légale née du fonctionnement de l'ouvrage public que constituait l'installation classée avant que le terrain et ses constructions fassent l'objet d'un déclassement le 24 avril 1996 ; que, par suite, de telles actions, même si le site et son installation étaient exploités dans le cadre d'un service public industriel et commercial, relèvent de la compétence de la juridiction administrative ; que relèvent également de la compétence de cette juridiction les actions en responsabilité et en garantie dirigées par les sociétés " Malesherbes Opéra " et " La Villa Blanche " contre RFF en tant que cet établissement est substitué à la SNCF " pour les droits et obligations liés aux biens qui lui sont apportés, à l'exception de ceux afférents à des dommages constatés avant le 1er janvier 1997 ", en vertu de l'article 6 de la loi du 13 février 1997 ; qu'il en va de même des actions en garantie dirigées respectivement par les sociétés " Malesherbes Opéra " et " La Villa Blanche " à l'encontre de la SNCF, par la SEMAVIP à l'encontre de la SNCF et de RFF en tant qu'il est substitué à la SNCF en vertu de l'article 6 de la loi du 13 février 1997, et par RFF à l'encontre de la SNCF et de la société Antéa, qui avait réalisé les travaux de dépollution de cet ouvrage public, lesquels ont le caractère de travaux publics ;

Considérant que les actions en responsabilité dirigées par les sociétés " Malesherbes Opéra " et " La Villa Blanche " à l'encontre de RFF, qui concernent cet établissement public industriel et commercial non en tant qu'il est substitué à la SNCF en vertu des dispositions rappelées ci-dessus mais en sa qualité de propriétaire d'un terrain et d'installations relevant de son domaine privé, même si ces installations ont eu antérieurement la qualité d'ouvrage public, relèvent de la compétence du juge judiciaire ; que les actions en responsabilité et en garantie dirigées par ces sociétés à l'encontre de la SEMAVIP, fondées sur les relations contractuelles liant des personnes de droit privé, relèvent également de la compétence du juge judiciaire ; qu'il en va encore de même des actions en responsabilité et en garantie dirigées par la SEMAVIP à l'encontre de RFF, en la même qualité que ci-dessus et non en tant que substitué à la SNCF en vertu des dispositions de l'article 6 de la loi du 13 février 1997, dès lors qu'elles se fondent sur un contrat de vente dépourvu de clauses exorbitantes du droit commun ;


D E C I D E :
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Article 1er : La juridiction de l'ordre judiciaire est compétente pour connaître de la partie du litige opposant, d'une part, les sociétés " Malesherbes Opéra " et " La Villa Blanche " à la SEMAVIP et à RFF, en tant que cet établissement est pris en sa qualité de propriétaire et vendeur du terrain et non en tant que substitué à la SNCF en vertu de l'article 6 de la loi du 13 février 1997, d'autre part, la SEMAVIP à RFF en cette même qualité.
Article 2 : L'ordonnance du 24 avril 2007 du juge de la mise en état du tribunal de grande instance de Paris est déclarée nulle et non avenue en tant qu'elle se rapporte à la partie du litige mentionnée à l'article 1er. La cause et les parties sont renvoyées, dans cette mesure, devant ce tribunal.

Article 3 : La procédure suivie devant le tribunal administratif de Paris est déclarée nulle et non avenue, à l'exception du jugement du 8 juin 2010, en tant qu'elle se rapporte à la partie du litige mentionnée à l'article 1er.
Article 4 : La juridiction de l'ordre administratif est compétente pour connaître de la partie du litige opposant, d'une part, les sociétés " Malesherbes Opéra " et " La Villa Blanche " ainsi que la SEMAVIP à la SNCF et à RFF, en tant que cet établissement est substitué à la SNCF en vertu de l'article 6 de la loi du 13 février 1997, d'autre part, RFF à la SNCF et à la société Antéa.
Article 5 : Le jugement du tribunal administratif de Paris du 8 juin 2010 est déclaré nul et non avenu en tant qu'il se rapporte à la partie du litige mentionnée à l'article 4. La cause et les parties sont renvoyées, dans cette mesure, devant ce tribunal.
Article 6 : La procédure suivie devant le tribunal de grande instance de Paris est déclarée nulle et non avenue, à l'exception de l'ordonnance du 24 avril 2007, en tant qu'elle se rapporte à la partie du litige mentionnée à l'article 4.

Article 7 : La présente décision sera notifiée au garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés, qui est chargé d'en assurer l'exécution.


Voir aussi