Base de jurisprudence

Ariane Web: Conseil d'État 151472, lecture du 29 décembre 1997, ECLI:FR:CESJS:1997:151472.19971229

Décision n° 151472
29 décembre 1997
Conseil d'État

N° 151472
ECLI:FR:CESJS:1997:151472.19971229
Publié au recueil Lebon
Section du Contentieux
M. Gentot, président
M. Collin, rapporteur
M. Goulard, commissaire du gouvernement
SCP Delaporte, Briard, Avocat, avocats


Lecture du 29 décembre 1997
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS




Vu la requête sommaire, enregistrée au secrétariat du Contentieux du Conseil d'Etat le 31 août 1993, et le mémoire complémentaire, enregistré le 31 décembre 1993, présentés pour la commune d'Arcueil (94110), agissant par son maire en exercice, dûment habilité à cet effet, et domicilié en sa qualité à l'Hôtel de Ville d'Arcueil ; la requérante demande au Conseil d'Etat d'annuler l'arrêt du 29 juin 1993 par lequel la cour administrative d'appel de Paris a rejeté sa requête tendant à ce que l'Etat soit condamné à lui verser une indemnité de 16 824 692 F, en réparation du préjudice qu'elle estime avoir subi du fait du nonassujettissement à la patente puis à la taxe professionnelle, au titre des années 1965 à 1983, d'un établissement implanté sur son territoire et dénommé "Centre d'Automatisation pour le Management" ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code général des impôts ;
Vu le code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;
Vu l'ordonnance n° 45-1708 du 31 juillet 1945, le décret n° 53-934 du 30 septembre 1953 et la loi n° 87-1127 du 31 décembre 1987 ;
Après avoir entendu en audience publique :
- le rapport de M. Collin, Auditeur,
- les observations de la SCP Delaporte, Briard, avocat de la commune d'Arcueil,
- les conclusions de M. Goulard, Commissaire du gouvernement ;

Considérant que la cour administrative d'appel de Paris a, par l'arrêt attaqué, rejeté la requête de la commune d'Arcueil tendant à ce que l'Etat fût condamné à lui verser une indemnité de 16 824 692 F, en réparation du préjudice que cette commune aurait subi du fait, procédant selon elle d'une faute des services fiscaux, qu'une société établie sur son territoire, dénommée "Centre Analyse et Mécanographie" puis "Centre d'Automatisation pour le Management", est restée non assujettie à la patente, puis à la taxe professionnelle au titre des années 1965 à 1983 ;
Sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête :
Considérant que les erreurs commises par l'administration fiscale lors de l'exécution d'opérations qui se rattachent aux procédures d'établissement ou de recouvrement de l'impôt ne sont, en principe, susceptibles, en raison de la difficulté que présente généralement la mise en uvre de ces procédures, d'engager la responsabilité de l'Etat que si elles constituent une faute lourde ; que, toutefois, il en va différemment lorsque l'appréciation de la situation du contribuable ne comporte pas de difficultés particulières ;
Considérant que, par l'arrêt attaqué, la cour administrative d'appel a estimé que les procédures d'établissement et de recouvrement de l'impôt comportaient par nature des difficultés particulières tenant à l'appréciation de la situation des contribuables, de sorte qu'une erreur commise par les services fiscaux et trouvant son origine dans l'appréciation de la situation d'un contribuable au regard du champ d'application de l'impôt ne pouvait, de ce seul fait, engager la responsabilité de l'Etat qu'à la condition de constituer une faute lourde ; que, pour rejeter la requête de la commune, elle a jugé que l'erreur, à la supposer établie, résultant du non assujettissement à la patente puis à la taxe professionnelle du Centre d'Automatisation pour le Management n'était pas constitutive d'une faute lourde ; qu'en statuant ainsi, sans rechercher si, en l'espèce, des difficultés particulières caractérisaient l'appréciation, au regard du champ d'application de l'impôt, de la situation d'une personne morale exerçant à titre habituel une activité professionnelle, la Cour a entaché son arrêt d'une erreur de droit ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que la commune d'Arcueil est fondée à demander l'annulation de l'arrêt attaqué ;
Considérant qu'aux termes de l'article 11 de la loi susvisée du 31 décembre 1987, le Conseil d'Etat, s'il prononce l'annulation d'une décision d'une juridiction administrative statuant en dernier ressort, peut "régler l'affaire au fond si l'intérêt d'une bonne administration de la justice le justifie" ; que, dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de régler l'affaire au fond ;

Considérant que le Centre d'Automatisation pour le Management avait été constitué sous forme de société, dont la personnalité ne pouvait être confondue avec celle de la Caisse des Dépôts et Consignations ; que l'activité à laquelle elle se livrait depuis sa création et qui consistait en l'exécution de travaux informatiques qu'elle facturait à ses clients devait àl'évidence être regardée comme un commerce, une industrie ou une profession au sens de l'article 1447 du code général des impôts dans sa rédaction antérieure à la loi n° 75-678 du 29 juillet 1975 puis comme une activité professionnelle non salariée exercée à titre habituel au sens de ce même article dans sa rédaction issue de ladite loi, et ce nonobstant la circonstance qu'elle ait facturé certains travaux à prix coûtant ; qu'ainsi, la décision de l'assujettir à la patente puis à la taxe professionnelle ne comportait pour les services fiscaux pas de difficultés particulières tenant à l'appréciation de sa situation ; que, par suite, la commune d'Arcueil est fondée à soutenir qu'en s'abstenant d'assujettir à la patente puis à la taxe professionnelle le Centre d'Automatisation pour le Management, les services fiscaux ont commis une faute de nature à engager la responsabilité de l'Etat ;
Considérant qu'aux termes de l'article 7 de la loi n° 68-1250 du 31 décembre 1968 : "L'administration doit, pour pouvoir se prévaloir, à propos d'une créance litigieuse, de la prescription prévue par la présente loi, l'invoquer avant que la juridiction saisie du litige au premier degré se soit prononcée sur le fond" ; que, par suite, l'administration qui a opposé la prescription quadriennale pour la première fois en appel n'est pas recevable à l'invoquer ;
Considérant que la circonstance que la commune d'Arcueil ait, nonobstant la réduction de ses ressources fiscales imputable à l'attitude de l'administration, disposé des recettes nécessaires à l'équilibre de son budget ne saurait faire disparaître le préjudice que lui a causé la faute commise par l'Etat ;
Considérant que le préjudice subi par la commune correspond au montant de la patente puis de la taxe professionnelle qui aurait été perçu à son profit si le Centre d'Automatisation pour le Management avait été inscrit au rôle ; que pour évaluer son préjudice à 16 824 962 F hors intérêts, la commune, qui ne disposait pas des éléments qui lui auraient permis de reconstituer les bases d'imposition de la société au cours de la période 1965 à 1983 et que l'administration a refusé de lui communiquer, a actualisé en fonction du taux d'inflation les bases d'imposition à la taxe professionnelle retenues par l'administration pour 1984 ; que les bases d'imposition ainsi reconstituées forfaitairement sont supérieures aux bases qui auraient résulté de la prise en considération des seuls éléments propres à l'entreprise ; que, dans cette mesure, l'administration est fondée à soutenir que le montant, évalué par la commune, du préjudice qu'elle a subi est supérieur à la réalité ; qu'en revanche, l'administration n'est pas fondée à soutenir que la commune n'aurait subi aucun préjudice pour 1983, année au titre de laquelle la société a été assujettie à la taxe professionnelle, dès lors que les bases effectivement retenues par l'administration pour cette année ont été sous évaluées ; qu'il sera fait une juste appréciation du préjudice subi par la commune d'Arcueil en l'évaluant à 15 000 000 F tous intérêts compris à la date de la présente décision ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède que la commune d'Arcueil est fondée à demander l'annulation du jugement par lequel le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande d'indemnité ;
Sur les conclusions de la commune d'Arcueil tendant à l'application des dispositions de l'article 75-I de la loi du 10 juillet 1991 :
Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire application des dispositions de l'article 75-I de la loi susvisée du 10 juillet 1991 et de condamner l'Etat à payer à la commune d'Arcueil une somme de 20 000 F au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ;
Article 1er : L'arrêt de la cour administrative d appel de Paris du 29 juin 1993 et le jugement du tribunal administratif de Paris du 13 décembre 1991 sont annulés.
Article 2 : L'Etat est condamné à verser à la commune d'Arcueil la somme de 15 000 000 F tous intérêts confondus au jour de la présente décision.
Article 3 : L'Etat versera à la commune d'Arcueil une somme de 20 000 F au titre de l'article 75-I de la loi du 10 juillet 1991.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à la commune d'Arcueil et au ministre de l économie, des finances et de l'industrie.


Voir aussi