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Ariane Web: Conseil d'État 199326, lecture du 3 novembre 1999, ECLI:FR:CESSR:1999:199326.19991103

Décision n° 199326
3 novembre 1999
Conseil d'État

N° 199326
ECLI:FR:CESSR:1999:199326.19991103
Publié au recueil Lebon
Section du Contentieux
M. Stirn, président
M. Rapone, rapporteur
Mme Bergeal, commissaire du gouvernement
SCP Lyon-Caen, Fabiani, Thiriez, Avocat, avocats


Lecture du 3 novembre 1999
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS




Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 4 septembre 1998 et 17 septembre 1998 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour le GROUPEMENT NATIONAL DE DEFENSE DES PORTEURS DE TITRES RUSSES (GNDPTR), dont le siège social est ... (59260) et qui élit domicile pour les besoins de la procédure ..., représenté par son président en exercice ; le GROUPEMENT NATIONAL DE DEFENSE DES PORTEURS DE TITRES RUSSES (GNDPTR) demande au Conseil d'Etat :
1°) l'annulation pour excès de pouvoir du décret n° 98-552 du 3 juillet 1998 fixant les conditions de recensement des personnes titulaires de créances mentionnées à l'article 73 de la loi n° 98-546 du 2 juillet 1998 portant diverses mesures d'ordre économique et financier ;
2°) la condamnation de l'Etat à lui verser une somme de 20 000 F au titre des frais irrépétibles ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la Constitution ;
Vu le mémorandum d'accord du 26 novembre 1996 entre le gouvernement de la République française et le gouvernement de la Fédération de Russie, et l'accord entre les mêmes gouvernements en date du 27 mai 1997, approuvés par le décret du 6 mai 1998 ;
Vu la loi n° 98-546 du 2 juillet 1998 ;
Vu le décret n° 97-134 du 12 février 1997 ;
Vu le décret n° 98-366 du 6 mai 1998 ;
Vu la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
Vu l'ordonnance n° 45-1708 du 31 juillet 1945, le décret n° 53-934 du 30 septembre 1953 et la loi n° 87-1127 du 31 décembre 1987 ;
Après avoir entendu en audience publique :
- le rapport de M. Rapone, Maître des Requêtes,
- les observations de la SCP Lyon-Caen, Fabiani, Thiriez, avocat du GROUPEMENT NATIONAL DE DEFENSE DES PORTEURS DE TITRES RUSSES,
- les conclusions de Mme Bergeal, Commissaire du gouvernement ;

Considérant qu'un mémorandum d'accord signé le 26 novembre 1996 entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la Fédération de Russie a prévu le versement par la Russie à la République française d'une somme de quatre cents millions de dollars américains en règlement définitif des créances réciproques entre la France et la Russie antérieures au 9 mai 1945 ; qu'un accord sur les modalités de ce règlement a été signé entre les deux gouvernements le 27 mai 1997 ; que l'approbation de ce mémorandum d'accord et de cet accord, autorisée par la loi du 19 décembre 1997, a été prononcée par décret du Président de la République en date du 6 mai 1998, publié au Journal officiel de la République française du 15 mai 1998 ;

Considérant que l'article 1er de l'accord du 27 mai 1997 stipule que les créances dont il prévoit le règlement concernent : "A - Les revendications relatives à tous emprunts et obligations émis ou garantis avant le 7 novembre 1917 par le Gouvernement de l'Empire de Russie ou par des autorités qui administraient une partie quelconque de l'Empire de Russie, et appartenant au Gouvernement de la République française ou à des personnes physiques ou morales françaises ; B - Les revendications portant sur des intérêts et actifs situés sur le territoire administré par le Gouvernement de l'Empire de Russie, par les Gouvernements qui lui ont succédé, par le Gouvernement de la République socialiste fédérative soviétique de Russie et par le Gouvernement de l'Union des Républiques socialistes soviétiques, dont le Gouvernement de la République française et des personnes physiques et morales françaises ont été privés de la propriété ou de la possession ; C - Les revendications relatives aux dettes à l'égard du Gouvernement de la République française ou de personnes physiques et morales françaises : du Gouvernement de l'Empire de Russie ; des Gouvernements qui lui ont succédé ; du Gouvernement de la République socialiste fédérative soviétique de Russie ; du Gouvernement de l'Union des Républiques socialistes soviétiques ; de toute institution établie conformément à la législation desdits Etats ; de toute personne qui résidait ou exerçait une activité professionnelle sur un territoire administré par les Gouvernements susmentionnés" ; que l'article 73 de la loi susvisée du 2 juillet 1998 dispose que : "Les opérations de recensement des personnes titulaires des créances mentionnées à l'article 1er de l'accord du 27 mai 1997 entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la Fédération de Russie sur le règlement définitif des créances réciproques financières et réelles apparues antérieurement au 9 mai 1945 se dérouleront selon les modalités fixées par décret ... L'agence nationale pour l'indemnisation des Français d'outre mer participe au recensement des personnes, ou de leurs ayants droit, privées des biens visés au B ou titulaires de créances visées au C de l'article 1er de l'accord mentionné au premier alinéa. Elle assure l'évaluation de ces biens ou créances" ; qu'en application de ces dispositions législatives, le décret attaqué organise les modalités de recensement des titulaires des créances mentionnées par l'accord du 27 mai 1997, sans préjuger du droit des intéressés à indemnisation, lequel ne pourra être déterminé que par de nouvelles dispositions législatives et réglementaires ;
Sur la légalité externe du décret attaqué :
Considérant qu'en vertu de l'article 1er du décret susvisé du 12 février 1997 la "commission de suivi" du mémorandum d'accord signé le 26 novembre 1996 entre la France et la Fédération de Russie a notamment pour mission "de suivre la mise en oeuvre des décisions que prendra le Gouvernement sur la base des propositions de la commission" ;

Considérant que, si le groupement requérant soutient que l'adoption du décret attaqué n'a pas été précédée de propositions de la "commission de suivi", il ressort des pièces du dossier que cette commission a, par une note en date du 6 novembre 1997, saisi le Gouvernement de propositions concernant les "modalités selon lesquelles pourrait être organisé le recensement des personnes physiques ou morales souhaitant se prévaloir des dispositions de l'accord francorusses" ; que, dès lors, et alors même que le décret attaqué n'a pas mentionné dans ses visas les propositions de la commission, le moyen tiré de ce que ce décret serait intervenu sur une procédure irrégulière manque en fait ;
Considérant que l'article 6 du décret attaqué prévoit notamment que "les personnes morales détentrices de valeurs visées à l'article 3 doivent justifier qu'elles ont été créées avant la date des accords susvisés" ; qu'une telle disposition ne peut être regardée que comme se référant à l'accord franco-russe du 27 mai 1997, qui a déterminé les créances indemnisables et pour la mise en oeuvre duquel l'article 73 de la loi susvisée du 2 juillet 1998 a habilité le Gouvernement à fixer les modalités de recensement des personnes titulaires desdites créances ; qu'ainsi, en ne précisant pas expressément si la date retenue devait être celle du mémorandum d'accord franco-russe signé le 26 novembre 1996 ou de l'accord franco-russe signé le 27 mai 1997, le pouvoir réglementaire n'a pas méconnu l'étendue de sa compétence ;
Sur la légalité interne du décret attaqué :
Considérant qu'aux termes de l'article 3 du décret attaqué : "Les valeurs représentatives de créances, telles que les titres et certificats d'emprunts ou de rentes, les obligations, les bons, les lettres de gage et les actions sont déclarées et déposées aux guichets du Trésor public" et qu'aux termes de l'article 4 "Les personnes physiques ou morales et leurs ayants droit visés aux B et C de l'article 1er de l'accord du 27 mai 1997 susvisé, victimes de dépossessions en Russie ou dans les territoires annexés par l'ex-Union des républiques socialistessoviétiques, qui détiennent des créances différentes de celles citées à l'article 3, déclarent ces créances auprès de l'agence nationale pour l'indemnisation des Français d'outre mer (ANIFOM)" ;
Considérant qu'en prévoyant ainsi l'intervention de l'ANIFOM pour le seul recensement des personnes titulaires de créances différentes de celles citées à son article 3, le décret attaqué n'a pas méconnu les dispositions de l'article 73 de la loi susvisée du 2 juillet 1998, lesquelles ne prescrivent qu'une simple participation de l'agence aux opérations de recensement des titulaires de créances mentionnées au B et au C de l'article 1er de l'accord du 27 mai 1997, sans que cette participation, dont il revient au pouvoir réglementaire de déterminer l'étendue et les modalités, ne comporte d'exclusivité ;

Considérant que les dispositions du décret attaqué qui incluent au nombre des personnes admises au recensement les porteurs de titres russes émis sur les marchés financiers étrangers, les détenteurs de valeurs représentatives de créances quelle qu'ait été la nationalité du détenteur de ces créances à la date du 8 janvier 1918 et les déclarants étrangers de créances résultant de dépossessions, se bornent à faire application des stipulations de l'accord franco-russe du 27 mai 1997 ; que le décret du 3 juillet 1998 a, de même, fait une exacte application de cet accord en prévoyant que, pour les dépossessions mentionnées à son article 4, les déclarants doivent apporter la preuve de la nationalité française du détenteur de la créance au moment de la dépossession ; que, dès lors que ces prescriptions du décret attaqué reprennent les critères déterminés par l'accord du 27 mai 1997, la méconnaissance du principe d'égalité ne peut utilement être invoquée à leur encontre ; qu'enfin les stipulations de cet accord ne prévoyant pas que les titulaires de créances justifient de l'origine successorale de celles-ci, le groupement requérant n'est pas fondé à reprocher au décret attaqué de ne pas avoir prévu une telle exigence ;
Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que le GROUPEMENT NATIONAL DE DEFENSE DES PORTEURS DE TITRES RUSSES n'est pas fondé à demander l'annulation du décret attaqué ;
Sur les conclusions du GROUPEMENT NATIONAL DE DEFENSE DES PORTEURS DE TITRES RUSSES tendant à l'application des dispositions de l'article 75-I de la loi du 10 juillet 1991 :
Considérant que les dispositions de l'article 75-I de la loi du 10 juillet 1991 font obstacle à ce que l'Etat qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, soit condamné à payer au GROUPEMENT NATIONAL DE DEFENSE DES PORTEURS DE TITRES RUSSES la somme qu'il demande au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens ;
Article 1er : La requête du GROUPEMENT NATIONAL DE DEFENSE DES PORTEURS DE TITRES RUSSES est rejetée.
Article 2 : La présente décision sera notifiée au GROUPEMENT NATIONAL DE DEFENSE DES PORTEURS DE TITRES RUSSES, au Premier ministre, au ministre de l'économie, des finances et de l'industrie et au ministre des affaires étrangères.


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