Base de jurisprudence

Ariane Web: Conseil d'État 264310, lecture du 4 octobre 2004, ECLI:FR:CESSR:2004:264310.20041004

Décision n° 264310
4 octobre 2004
Conseil d'État

N° 264310
ECLI:FR:CESSR:2004:264310.20041004
Publié au recueil Lebon
Section du Contentieux
M. Genevois, président
M. Yohann Bénard, rapporteur
M. Olléon, commissaire du gouvernement
SCP DELAPORTE, BRIARD, TRICHET ; SCP GATINEAU, avocats


Lecture du lundi 4 octobre 2004
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la requête, enregistrée le 9 février 2004 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentée pour la SOCIETE MONA LISA INVESTISSEMENTS, dont le siège est 104, avenue des Champs-Elysées à Paris (75008), pour Mme Chantal Y, demeurant ... et pour Mme Maria Z, demeurant 177, chemin les Vignes Basses à Mimet (13105) ; la SOCIETE MONA LISA INVESTISSEMENTS et autres demandent au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'ordonnance du 22 janvier 2004 par laquelle le juge des référés du tribunal administratif de Marseille a, sur le fondement de l'article L. 522-3 du code de justice administrative, rejeté leurs demandes tendant, d'une part, à la suspension provisoire de la décision du 17 décembre 2003 par laquelle l'inspecteur du travail d'Aix-en-Provence a refusé le licenciement de M. Gilles X, d'autre part, à la suspension provisoire de l'exécution du contrat de travail de l'intéressé et, enfin, à ce qu'il soit enjoint sous astreinte à l'administration du travail de réexaminer la demande dont elle a été saisie et d'y répondre dans un délai de huit jours ;

2°) statuant au titre de la procédure de référé engagée, de lui attribuer le bénéfice de ses conclusions présentées en première instance ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;




Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code du travail ;
Vu le code de justice administrative ;


Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Yohann Bénard, Auditeur,

- les observations de la SCP Delaporte, Briard, Trichet, avocat de la SOCIETE MONA LISA INVESTISSEMENTS et autres et de la SCP Gatineau, avocat de M. X,

- les conclusions de M. Laurent Olléon, Commissaire du gouvernement ;




Considérant, d'une part, qu'aux termes de l'article L. 521-2 du code de justice administrative : Saisi d'une demande en ce sens justifiée par l'urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public (...) aurait porté, dans l'exercice d'un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale ; d'autre part, qu'aux termes de l'article L. 522-3 du même code : Lorsque la demande ne présente pas un caractère d'urgence ou lorsqu'il apparaît, au vu de la demande... qu'elle est mal fondée, le juge des référés peut la rejeter par une ordonnance motivée ;

Sur la fin de non-recevoir opposée à la requête par M. X :

Considérant que l'ordonnance attaquée rejette les conclusions présentées devant le juge des référés par la SOCIETE MONA LISA INVESTISSEMENTS et autres ; que les requérants sont par suite recevables à la déférer au juge de cassation sans qu'y fasse obstacle la circonstance que leur demande adressée au juge des référés serait, comme le soutient M. X, entachée d'irrecevabilité ;

Sur les conclusions de la requête relatives au refus du juge des référés d'ordonner la suspension du contrat de travail de M. X :

Considérant qu'il ressort des pièces du dossier, soumis au premier juge que le contrat régissant les rapports entre M. X et son employeur a le caractère d'un contrat de droit privé ; que, dès lors, le juge des référés du tribunal administratif de Marseille n'était pas compétent pour connaître des conclusions de la SOCIETE MONA LISA INVESTISSEMENTS et autres tendant à la suspension de l'exécution de ce contrat ; que, par suite, l'ordonnance attaquée doit être annulée en tant qu'elle a statué sur ces conclusions ; qu'il y a lieu pour le Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 821-2 du code de justice administrative, de les rejeter comme portées devant une juridiction incompétente pour en connaître ;

Sur les conclusions relatives au maintien du statut de salarié protégé au profit de M. X :

Considérant que la décision par laquelle l'inspecteur du travail refuse d'autoriser le licenciement d'un salarié protégé, qui lui est demandé à raison de faits de harcèlement moral sur ses subordonnés, peut, par ses conséquences, porter atteinte à une liberté fondamentale ; que, dès lors, en posant en principe que le maintien d'un salarié protégé accusé de harcèlement moral n'est de nature à compromettre aucune liberté fondamentale en lien avec le droit du travail, le juge des référés du tribunal administratif de Marseille a entaché son ordonnance d'une erreur de droit ; que la SOCIETE MONA LISA INVESTISSEMENTS, Mme Y et Mme Z sont, par suite, fondées à en demander l'annulation ;

Considérant que, dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu, par application de l'article L. 821-2 du code de justice administrative, de régler l'affaire au titre de la procédure de référé engagée ;

Sans qu'il soit besoin de statuer sur la fin de non-recevoir opposée à la demande :

Considérant que pour la mise en oeuvre des dispositions de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, le degré de gravité que peut revêtir une mesure affectant la liberté d'entreprendre ou la liberté du travail, doit prendre en compte les limitations de portée générale apportées à ces libertés qui ont été introduites par la législation pour permettre certaines interventions jugées nécessaires de la puissance publique, notamment dans les relations du travail ; que figure au nombre de ces limitations la protection dont bénéficient, dans l'intérêt de l'ensemble des travailleurs qu'ils représentent, les délégués du personnel, dont le licenciement ne peut intervenir que sur autorisation de l'inspecteur du travail ;

Considérant que le fait pour l'autorité administrative de refuser l'autorisation de licencier M. X, délégué du personnel, nonobstant les accusations de harcèlement moral dont il est l'objet, ne peut être regardé, dans les circonstances de l'espèce, comme constituant une atteinte manifestement illégale à aucune des libertés fondamentales invoquées tant par son employeur que par certains salariés ; que la SOCIETE MONA LISA INVESTISSEMENTS, Mme Y et Mme Z ne sont, par suite, pas fondées à demander, sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, la suspension provisoire de la décision du 17 décembre 2003 par laquelle l'inspecteur du travail d'Aix-en-Provence a refusé le licenciement de M. X, et ne sont pas davantage fondées à demander qu'il soit enjoint sous astreinte à l'administration du travail de réexaminer la demande dont elle a été saisie et d'y répondre dans un délai de huit jours ;


Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant que, dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre conjointement à la charge de la SOCIETE MONA LISA INVESTISSEMENTS, de Mme Y et de Mme Z la somme de 3 500 euros que M. X demande en application de ces dispositions ; que les mêmes dispositions font obstacle à ce que les sommes que la SOCIETE MONA LISA INVESTISSEMENTS, Mme Y, et Mme Z demandent au titre des frais exposés par elles et non compris dans les dépens soient mises à la charge de M. X, qui n'est pas dans la présente instance la partie perdante ;


D E C I D E :
--------------
Article 1er : L'ordonnance du 22 janvier 2004 du juge des référés du tribunal administratif de Marseille est annulée.
Article 2 : La demande présentée par la SOCIETE MONA LISA INVESTISSEMENTS, par Mme Y et par Mme Z devant le juge des référés du tribunal administratif de Marseille, en tant qu'elle est relative à la suspension du contrat de travail de M. X est rejetée comme portée devant une juridiction incompétente pour en connaître.
Article 3 : Les autres conclusions de la demande et le surplus des conclusions présentées devant le Conseil d'Etat sont rejetés.
Article 4 : La SOCIETE MONA LISA INVESTISSEMENTS, Mme Y et Mme Z verseront conjointement à M. X la somme de 3 500 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 5 : La présente décision sera notifiée à la SOCIETE MONA LISA INVESTISSEMENTS, à Mme Chantal Y, à Mme Maria Z, à M. Gilles X et au ministre de l'emploi, du travail et de la cohésion sociale.



Voir aussi