Base de jurisprudence

Ariane Web: Conseil d'État 272704, lecture du 26 novembre 2007, ECLI:FR:CESSR:2007:272704.20071126

Décision n° 272704
26 novembre 2007
Conseil d'État

N° 272704
ECLI:FR:CESSR:2007:272704.20071126
Mentionné au tables du recueil Lebon
Section du Contentieux
M. Delarue, président
M. Jacky Richard, rapporteur
M. Casas Didier, commissaire du gouvernement
SCP LE BRET-DESACHE, avocats


Lecture du lundi 26 novembre 2007
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la requête, enregistrée le 28 septembre 2004 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentée pour M. André A, demeurant ..., et l'ASSOCIATION NATIONALE DES PUPILLES DE LA NATION ORPHELINS DE GUERRE OU DU DEVOIR (ANPOGD), dont le siège est 453 route de Nomeny à Eulmont (54690) ; M. A et l' ANPOGD demandent au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler le décret n° 2004-751 du 27 juillet 2004 instituant une aide financière en reconnaissance des souffrances endurées par les orphelins dont les parents ont été victimes d'actes de barbarie durant la Deuxième Guerre mondiale en tant qu'il exclut de son champ d'application certains orphelins pupilles de la nation et orphelins du devoir ;

2°) d'enjoindre au gouvernement de prendre dans un délai de six mois de nouvelles dispositions mettant fin à cette discrimination ;

3°) de condamner l'Etat à leur verser la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;


Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, notamment son article 14, ensemble le premier protocole additionnel, notamment son article 1er ;

Vu le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, notamment son article 26 ;

Vu le code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre ;

Vu le code pénal, notamment son article 226-1 ;

Vu le décret n° 2000-657 du 13 juillet 2000 ;

Vu le code de justice administrative ;



Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Jacky Richard, Conseiller d'Etat,

- les observations de la SCP Le Bret-Desaché, avocat de M. A et de l'ASSOCIATION NATIONALE DES PUPILLES DE LA NATION ORPHELINS DE GUERRE OU DU DEVOIR,

- les conclusions de M. Didier Casas, Commissaire du gouvernement ;



Considérant que M. A et l'ASSOCIATION NATIONALE DES PUPILLES DE LA NATION ORPHELINS DE GUERRE OU DU DEVOIR demandent l'annulation du décret du 27 juillet 2004 instituant une aide financière en reconnaissance des souffrances endurées par les orphelins dont les parents ont été victimes d'actes de barbarie durant la Deuxième Guerre mondiale en tant qu'il exclut de son champ d'application certaines catégories d' orphelins pupilles de la Nation et orphelins de fonctionnaires, militaires et magistrats morts en service ;

Sur les moyens tiré de la violation des stipulations de l'article 26 du pacte international relatif aux droits civils et politiques, de l'article 14 de la convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'article 1er de son premier protocole additionnel :

Considérant qu'aux termes de l'article 1er de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : Les Hautes parties contractantes reconnaissent à toute personne relevant de leur juridiction les droits et libertés définis au titre 1 de la présente convention ; qu'aux termes de l'article 14 de la même convention : La jouissance des droits et libertés reconnus dans la présente convention doit être assurée, sans distinction aucune, fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l'origine nationale ou sociale, l'appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation ; qu'en vertu des stipulations de l'article 1er du premier protocole additionnel à cette convention : Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens./ Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international. Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les Etats de mettre en vigueur les lois qu'ils jugent nécessaires pour réglementer 1'usage des biens conformément à l'intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d'autres contributions ou des amendes. ; qu'enfin, aux termes de l'article 26 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques : Toutes les personnes sont égales devant la loi et ont droit sans discrimination à une égale protection de la loi. A cet égard, la loi doit interdire toute discrimination et garantir à toutes les personnes une protection égale et efficace contre toute discrimination, notamment de race, de couleur, de sexe, de langue, de religion, d'opinion politique et de toute autre opinion, d'origine nationale ou sociale, de fortune, de naissance ou de toute autre situation ;

Considérant que le décret attaqué institue une mesure d'aide financière d'une part en faveur des orphelins dont la mère ou le père a été déporté à partir du territoire national durant l'Occupation soit comme déporté résistant au sens de l'article L. 272 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre, soit comme déporté politique au sens de l'article L. 286 de ce code, et a trouvé la mort en déportation, et d'autre part en faveur des orphelins dont le père ou la mère a été arrêté et exécuté comme interné résistant ou interné politique au sens respectivement des articles L. 274 et L. 290 de ce code ; que l'objet de ce texte est ainsi d'accorder une mesure de réparation aux seuls orphelins des victimes d'actes de barbarie durant la période de l'Occupation ; que compte tenu de la nature des crimes commis à l'égard de ces victimes, le décret contesté n'est pas entaché d'une discrimination illégale au regard des stipulations combinées de l'article 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits l'homme et des libertés fondamentales et de l'article 1er de son premier protocole additionnel, ainsi que, en tout état de cause, des stipulations de l'article 26 du pacte international relatif aux droits civils et politiques, en n'accordant une mesure de réparation particulière qu'à leurs seuls orphelins et en excluant, comme le contestent les requérants, les orphelins des personnes tuées au combat, des prisonniers de guerre morts en détention, des victimes de l'état de belligérance pendant la Deuxième Guerre mondiale ou plus largement, des orphelins de magistrats ou fonctionnaires morts en service ;

Considérant que les requérants ne peuvent utilement invoquer, à l'appui de leurs moyens tiré d'une violation des stipulations précitées, la circonstance que les pièces requises par le décret contesté pour bénéficier de la mesure d'aide financière qu'il institue, seraient plus difficiles à obtenir que celles exigées par le décret du 13 juillet 2000 instituant une mesure de réparation pour les orphelins dont les parents ont été victimes de persécutions ;

Sur le moyen tiré de la violation du principe d'égalité :

Considérant que la différence de traitement entre d'une part les orphelins des déportés résistants, des déportés politiques, des internés résistants et des internés politiques, bénéficiaires de la mesure de réparation prévue par le décret contesté et d'autre part, les orphelins exclus du bénéfice de cette mesure de réparation, n'est pas, pour les raisons sus indiquées, manifestement disproportionnées par rapport à leur différence de situation, compte tenu de l'objet de la mesure ;

Sur les autres moyens :

Considérant que, le décret contesté a pu légalement prévoir le bénéfice de la mesure de réparation aux orphelins de victimes d'actes de barbarie quelle que soit leur nationalité et son attribution aux orphelins des déportés et internés politiques de nationalité étrangère, alors même que les dispositions des articles L. 286, L. 290 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre, dont le texte contesté n'est pas une mesure d'application, prévoient que les titres de déporté et interné politiques sont réservés aux Français ;

Considérant que si les requérants invoquent une violation de l'article 225-1 du code pénal, ils n'apportent a l'appui de ce moyen aucune précision permettant d'en apprécier le bien fondé ;

Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que les requérants ne sont pas fondés à soutenir que le décret attaqué est entaché d'illégalité et à en demander l'annulation ;

Sur les conclusions à fins d'injonction :

Considérant que la présente décision n'appelle aucune mesure d'exécution ; que, par suite, les conclusions de M. A et l'ASSOCIATION NATIONALE DES PUPILLES DE LA NATION ORPHELINS DE GUERRE OU DU DEVOIR à fins d'injonction, doivent être rejetées ;

Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant que ces dispositions font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat la somme que demandent M. A et l'ASSOCIATION NATIONALE DES PUPILLES DE LA NATION ORPHELINS DE GUERRE OU DU DEVOIR au titre des frais exposés par eux et non compris dans les dépens ;



D E C I D E :
--------------
Article 1er : La requête de M. A et de l'ASSOCIATION NATIONALE DES PUPILLES DE LA NATION ORPHELINS DE GUERRE OU DU DEVOIR est rejetée.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à M. A, à l'ASSOCIATION NATIONALE DES PUPILLES DE LA NATION ORPHELINS DE GUERRE OU DU DEVOIR, au Premier ministre, au ministre de l'économie, des finances et de l'emploi et au ministre de la défense.


Voir aussi