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Ariane Web: Conseil d'État 287176, lecture du 6 juin 2007, ECLI:FR:CESSR:2007:287176.20070606

Décision n° 287176
6 juin 2007
Conseil d'État

N° 287176
ECLI:FR:CESSR:2007:287176.20070606
Mentionné au tables du recueil Lebon
Section du Contentieux
M. Delarue, président
M. Patrick Gérard, rapporteur
M. Aguila, commissaire du gouvernement
SCP LE BRET-DESACHE, avocats


Lecture du mercredi 6 juin 2007
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la requête et le mémoire complémentaire, enregistrés le 17 novembre 2005 et le 3 mai 2006 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour M. Marc A, demeurant ...; M. A demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'ordonnance du 23 septembre 2005 par laquelle le président de la cour administrative d'appel de Paris a rejeté sa requête tendant à l'annulation de l'ordonnance du 28 juin 2005 par laquelle le vice-président de la 7ème section du tribunal administratif de Paris a rejeté, comme portée devant une juridiction incompétente pour en connaître, sa demande tendant d'une part à l'annulation de la décision implicite du directeur de l'administration pénitentiaire rejetant sa demande visant à obtenir la restitution des sommes qui ont été prélevées sur son compte, d'autre part à la condamnation de l'Etat à lui verser une indemnité de 10000 euros à titre de dommages et intérêts ;

2°) de renvoyer l'affaire, en application de l'article L. 821-2 du code de justice administrative, devant la cour administrative d'appel de Paris ;

3°) de condamner l'Etat à lui verser une somme de 1000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;



Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la Constitution, et notamment son Préambule ;

Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et son protocole additionnel ;

Vu le code de procédure pénale ;

Vu le code des pensions civiles et militaires de retraite ;
Vu le code de la sécurité sociale ;

Vu le code de justice administrative ;



Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Patrick Gérard, Conseiller d'Etat,

- les observations de la SCP Le Bret-Desaché, avocat de M. A,

- les conclusions de M. Yann Aguila, Commissaire du gouvernement ;



Considérant qu'aux termes de l'article 724 du code de procédure pénale : Les établissements pénitentiaires reçoivent les personnes en détention provisoire ou condamnées à une peine privative de liberté./Un acte d'écrou est dressé pour toute personne qui est conduite dans un établissement pénitentiaire ou qui s'y présente librement ; qu'aux termes des deux premiers alinéas de l'article 728-1 du même code, Les valeurs pécuniaires des détenus, inscrites à un compte nominatif ouvert à l'établissement pénitentiaire, sont divisées en trois parts : la première sur laquelle seules les parties civiles et les créanciers d'aliments peuvent faire valoir leurs droits ; la deuxième, affectée au pécule de libération, qui ne peut faire l'objet d'aucune voie d'exécution ; la troisième, laissée à la libre disposition des détenus ./ Les sommes destinées à l'indemnisation des parties civiles leur sont versées directement, sous réserve des droits des créanciers d'aliments, à la demande du procureur de la République, par l'établissement pénitentiaire ; que l'article D. 63 du même code dispose : Les sommes appartenant ou venant à échoir aux prévenus sont inscrites à leur compte nominatif dans les conditions fixées aux articles D. 319 à D. 320-3 ; que l'article D. 319 du même code précise : L'établissement pénitentiaire où le détenu est écroué tient un compte nominatif où sont inscrites les valeurs pécuniaires lui appartenant. Sous réserve que les détenus n'en aient pas demandé l'envoi à un tiers ou la consignation, les sommes dont ils sont porteurs à leur entrée dans l'établissement pénitentiaire sont immédiatement inscrites à leur compte nominatif au moment de leur écrou. L'importance de ces sommes ne saurait en aucun cas justifier le refus de la prise en charge. / Le compte nominatif est par la suite crédité ou débité de toutes les sommes qui viennent à être dues au détenu, ou par lui, au cours de sa détention, dans les conditions réglementaires. ;

Considérant qu'il résulte de ces dispositions que l'inscription à un compte nominatif des valeurs pécuniaires des détenus, faite en vertu de l'article 728-I, est une mesure conservatoire, effectuée par l'administration pénitentiaire ; qu'elle ne constitue pas un acte de la procédure judiciaire ; qu'en conséquence les litiges nés à l'occasion de l'inscription à un compte nominatif relèvent de la juridiction administrative ; que par suite, en jugeant que les conclusions de M. A, détenu, présentées devant le tribunal administratif de Paris tendant à l'annulation de la décision du directeur de l'administration pénitentiaire refusant la restitution des sommes provenant de sa pension de retraite et inscrites à un compte nominatif, en vertu des dispositions précitées, en vue de l'indemnisation des parties civiles, ne ressortissaient pas de la compétence de la juridiction administrative, le président de la cour administrative d'appel de Paris a entaché son ordonnance d'erreur de droit ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède que le requérant est fondé à demander l'annulation de l'ordonnance du président de la cour administrative d'appel de Paris en date du 23 septembre 2005 ;

Considérant qu'aux termes de l'article L. 821-2 du code de justice administrative, le Conseil d'Etat, s'il prononce l'annulation d'une décision d'une juridiction administrative statuant en dernier ressort, peut régler l'affaire au fond si l'intérêt d'une bonne administration de la justice le justifie ; qu'il appartient au Conseil d'Etat d'apprécier s'il y a lieu de faire application de ces dispositions en fonction des circonstances de l'espèce ; qu'en l'espèce il y a lieu de régler l'affaire au fond ;

Considérant que le magistrat délégué par le président du tribunal administratif de Paris, par son ordonnance du 28 juin 2005, a rejeté la demande de M. A au motif qu'elle ne ressortissait pas de la juridiction administrative ; que, pour les mêmes raisons que celles énoncées ci-dessus, l'ordonnance est entachée d'erreur de droit et, par voie de conséquence, doit être annulée ; qu'il y a lieu d'évoquer et de statuer immédiatement sur la demande présentée par M. A devant le tribunal administratif de Paris ;

Considérant qu'il résulte des dispositions précitées des articles 724, 728-1 et D. 63 du code de procédure pénale que l'inscription de valeurs à un compte nominatif d'un prévenu est une mesure conservatoire permettant notamment aux parties civiles et aux créanciers d'aliments de faire valoir leurs droits en cas de condamnation de la personne écrouée ; que cette opération n'a nullement pour objet, et n'a pas pour effet de priver cette dernière de ses avoirs ; que le moyen tiré de ce que l'application de ces dispositions aux personnes en détention provisoire méconnaîtrait le principe de la présomption d'innocence, notamment protégée par la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ne saurait par suite être accueilli ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède que M. A n'est pas fondé à demander l'annulation de la décision implicite du directeur de l'administration pénitentiaire rejetant sa demande de restitution des sommes inscrites puis prélevées sur son pécule au titre de l'indemnisation des victimes ; que par voie de conséquence, ses conclusions indemnitaires doivent être rejetées, ainsi que celles tendant à l'application de l'article L 761-1 du code de justice administrative ;






D E C I D E :
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Article 1er : L'ordonnance du président de la cour administrative d'appel de Paris en date du 23 août 2005 et l'ordonnance du tribunal administratif de Paris en date du 28 juin 2005 sont annulées.

Article 2 : La demande de M. A devant le tribunal administratif de Paris et le surplus de ses conclusions présentées devant le Conseil d'Etat sont rejetés.

Article 3 : La présente décision sera notifiée à M. Marc A et au garde des sceaux, ministre de la justice.


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