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Ariane Web: Conseil d'État 288720, lecture du 25 juillet 2007, ECLI:FR:CESEC:2007:288720.20070725

Décision n° 288720
25 juillet 2007
Conseil d'État

N° 288720
ECLI:FR:CESEC:2007:288720.20070725
Publié au recueil Lebon
Section du Contentieux
M. Stirn, président
M. Stéphane Hoynck, rapporteur
M. Aguila, commissaire du gouvernement
SCP MASSE-DESSEN, THOUVENIN, avocats


Lecture du mercredi 25 juillet 2007
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat les 3 janvier et 3 mai 2006, présentés pour le SYNDICAT DES AVOCATS DE FRANCE, dont le siège est 21 bis, rue Victor Massé à Paris (75009), représenté par son président, dûment habilité à cet effet ; le SYNDICAT DES AVOCATS DE FRANCE demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir l'article 1er du décret n° 2005-1381 du 4 novembre 2005 modifiant l'article 98 du décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991 organisant la profession d'avocat, en tant qu'il institue une condition d'accès à la profession d'avocat particulière pour les juristes salariés de cabinets d'avocats, ou, si cette disposition était jugée indivisible du reste du décret, de celui-ci en son entier ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;


Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la note en délibéré, enregistrée le 26 février 2007, présentée pour le SYNDICAT DES AVOCATS DE FRANCE ;

Vu la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 ;

Vu le décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991 ;

Vu le code de justice administrative ;



Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Stéphane Hoynck, Auditeur,

- les observations de la SCP Masse-Dessen, Thouvenin, avocat du SYNDICAT DES AVOCATS DE FRANCE,

- les conclusions de M. Yann Aguila, Commissaire du gouvernement ;



Sur l'intervention de Mlle A :

Considérant que Mlle A, qui est juriste salariée d'un cabinet d'avocats, a intérêt au maintien du décret attaqué ; qu'ainsi son intervention est recevable ;

Sur la légalité du décret attaqué :

Considérant que l'article 12 de la loi du 31 décembre 1971, dans sa rédaction issue de la loi du 11 février 2004, prévoit que, dans des conditions précisées par voie réglementaire, les personnes justifiant de certains titres ou ayant exercé certaines activités pourront être dispensées de se soumettre à un examen d'accès à un centre régional de formation professionnelle et à la formation théorique et pratique d'une durée d'au moins dix-huit mois sanctionnée par le certificat d'aptitude à la profession d'avocat pour exercer la profession d'avocat ; que le 11° de l'article 53 de la même loi prévoit qu'un décret en Conseil d'Etat détermine les modalités de dispense du diplôme et du certificat d'aptitude à la profession d'avocat et les conditions dans lesquelles seront établies les équivalences de titres ou de diplômes mentionnées à l'article 11 (...) ; que le 2° de l'article 11 de la même loi pose la condition suivante pour l'accès à la profession d'avocat : Etre titulaire, sous réserve des dispositions réglementaires prises pour l'application de la directive C.E.E. n° 89-48 du Conseil des communautés européennes du 21 décembre 1988, et de celles concernant les personnes ayant exercé certaines fonctions ou activités en France, d'au moins une maîtrise en droit ou de titres ou diplômes reconnus comme équivalents pour l'exercice de la profession par arrêté conjoint du garde des sceaux, ministre de la justice, et du ministre chargé des universités ; que l'article 98 du décret du 27 novembre 1991 organisant la profession d'avocat dispose : Sont dispensés de la formation théorique et pratique et du certificat d'aptitude à la profession d'avocat : / 1° Les notaires, les huissiers de justice, les greffiers des tribunaux de commerce, les administrateurs judiciaires et mandataires judiciaires au redressement et à la liquidation des entreprises, les anciens syndics et administrateurs judiciaires, les conseils en propriété industrielle et les anciens conseils en brevet d'invention ayant exercé leurs fonctions pendant cinq ans au moins ; / 2° Les maîtres de conférences, les maîtres assistants et les chargés de cours, s'ils sont titulaires du diplôme de docteur en droit, en sciences économiques ou en gestion, justifiant de cinq ans d'enseignement juridique en cette qualité dans les unités de formation et de recherche ; / 3° Les juristes d'entreprise justifiant de huit ans au moins de pratique professionnelle au sein du service juridique d'une ou plusieurs entreprises ; / 4° Les fonctionnaires et anciens fonctionnaires de catégorie A, ou les personnes assimilées aux fonctionnaires de cette catégorie, ayant exercé en cette qualité des activités juridiques pendant huit ans au moins, dans une administration ou un service public ou une organisation internationale ; / 5° Les juristes attachés pendant huit ans au moins à l'activité juridique d'une organisation syndicale. / Les personnes mentionnées aux 3°, 4°, 5° et 6° peuvent avoir exercé leurs activités dans plusieurs des fonctions visées dans ces dispositions dès lors que la durée totale de ces activités est au moins égale à huit ans ; / 6° Les juristes salariés d'un avocat, d'une association ou d'une société d'avocats, d'un office d'avoué ou d'avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, justifiant de huit ans au moins de pratique professionnelle en cette qualité postérieurement à l'obtention du titre ou diplôme mentionné au 2° de l'article 11 de la loi du 31 décembre 1971 susvisée ; / 7° Les personnes agréées par le président du tribunal supérieur d'appel dans la collectivité départementale de Mayotte justifiant de huit ans au moins de pratique professionnelle. ; que le 6° de cet article, dans la rédaction ci-dessus, a été introduit par l'article 1er du décret du 4 novembre 2005, lequel comporte en outre des modifications de numérotation consécutives à cette insertion ; que le SYNDICAT DES AVOCATS DE FRANCE en demande l'annulation pour excès de pouvoir, en tant qu'il institue une condition d'accès à la profession d'avocat différente pour les juristes salariés des cabinets d'avocats par rapport aux juristes d'entreprise ou d'une organisation syndicale, dès lors que le début du décompte des huit années d'expérience professionnelle n'est subordonné que pour les premiers à l'obtention du titre ou diplôme mentionné au 2° de l'article 11 de la loi du 31 décembre 1971, ou du décret du 4 novembre 2005 en son entier, si cette disposition était regardée comme indivisible des autres articles de celui-ci ;

Considérant que le moyen tiré de ce que la consultation des représentants de la profession sur le projet de texte devenu le décret du 4 novembre 2005 n'avait pas été utile ni loyale n'est pas assorti des précisions permettant d'en apprécier le bien-fondé ;

Considérant que le principe d'égalité ne s'oppose pas à ce que l'autorité investie du pouvoir réglementaire règle de façon différente des situations différentes ni à ce qu'elle déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général, pourvu que la différence de traitement qui en résulte soit, dans l'un comme l'autre cas, en rapport avec l'objet de la norme qui l'établit et ne soit pas manifestement disproportionnée au regard des différences de situation susceptibles de la justifier ;

Considérant que, dans l'exercice du pouvoir d'appréciation que lui a conféré le législateur pour fixer les conditions dans lesquelles les personnes qui justifient de certains titres ou activités peuvent être dispensées de la formation théorique et pratique et du certificat d'aptitude à la profession d'avocat, le pouvoir réglementaire a dressé, en vue de diversifier les modes d'accès à la profession d'avocat, une liste de différentes catégories de personnes pouvant bénéficier d'une dispense, en définissant pour chacune d'elles des conditions particulières ; que si le SYNDICAT DES AVOCATS DE FRANCE soutient que les juristes salariés des cabinets d'avocats auraient dû être traités comme les juristes d'entreprise et les juristes attachés à une organisation syndicale en bénéficiant des mêmes conditions d'ancienneté non seulement d'exercice professionnel mais encore de titre ou diplôme, le pouvoir réglementaire a pris en compte, au regard des expériences professionnelles des uns et des autres, des différences de situation entre juristes salariés des cabinets d'avocats d'une part et juristes d'entreprise ou attachés à des organisations syndicales d'autre part ; qu'en exigeant des premiers qu'ils aient obtenu le titre ou le diplôme prévu par l'article 11 de la loi du 31 décembre 1971 avant le début de l'exercice de leur pratique professionnelle, alors qu'une telle condition d'antériorité n'est prévue ni dans le cas des juristes d'entreprise ni dans celui des juristes attachés à une organisation syndicale, le pouvoir réglementaire a tenu compte des caractéristiques propres aux expériences professionnelles des uns et des autres, sans édicter de mesure manifestement disproportionnée au regard des différences qui existent tant entre ces expériences qu'entre les possibilités offertes d'une part aux juristes salariés d'un cabinet d'avocat par la voie de la promotion professionnelle, d'autre part aux juristes d'entreprise ou attachés à des organisations syndicales par un changement du cadre d'exercice de leur profession ; que le moyen tiré de la méconnaissance du principe d'égalité doit, par suite, être écarté ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède, et sans qu'il soit besoin de statuer sur la fin de non-recevoir opposée par le garde des sceaux, ministre de la justice, que le SYNDICAT DES AVOCATS DE FRANCE n'est pas fondé à demander l'annulation pour excès de pouvoir des dispositions contestées de l'article 1er du décret du 4 novembre 2005 ; que, par voie de conséquence, les conclusions qu'il a présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent qu'être également rejetées ;


D E C I D E :
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Article 1er : L'intervention de Mlle A est admise.
Article 2 : La requête du SYNDICAT DES AVOCATS DE FRANCE est rejetée.
Article 3 : La présente décision sera notifiée au SYNDICAT DES AVOCATS DE FRANCE, au Premier ministre, au garde des sceaux, ministre de la justice et à Mlle Sophie A.


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