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Ariane Web: Conseil d'État 331950, lecture du 17 septembre 2009, ECLI:FR:CEORD:2009:331950.20090917

Décision n° 331950
17 septembre 2009
Conseil d'État

N° 331950
ECLI:FR:CEORD:2009:331950.20090917
Publié au recueil Lebon
Section du Contentieux
M. Daël, président
M. Serge Daël, rapporteur
BALAT, avocats


Lecture du jeudi 17 septembre 2009
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu le recours, enregistré le 11 septembre 2009 au secrétariat du contentieux du Conseil d'État, présenté par le MINISTRE DE L'IMMIGRATION, DE L'INTEGRATION, DE L'IDENTITE NATIONALE ET DU DEVELOPPEMENT SOLIDAIRE ; le MINISTRE DE L'IMMIGRATION, DE L'INTEGRATION, DE L'IDENTITE NATIONALE ET DU DEVELOPPEMENT SOLIDAIRE demande au Conseil d'Etat d'annuler l'ordonnance en date du 28 août 2009 par laquelle le juge des référés du tribunal administratif d'Amiens, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, a ordonné au préfet de l'Oise d'indiquer à Mlle Mahamad Imane A, demandeur d'asile, dans un délai de 24 h, un lieu d'hébergement susceptible de l'accueillir ;


il soutient que son recours est recevable, dès lors que, conformément aux dispositions de l'article L. 523-1 alinéa 2 du code de justice administrative, il a été déposé au Conseil d'Etat dans les quinze jours suivant la notification au préfet de l'Oise de l'ordonnance attaquée ; que la situation de Mlle A ne peut être regardée comme constitutive d'une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale, dès lors qu'il ne ressort d'aucune disposition législative ou réglementaire, ni d'aucune décision juridictionnelle, que le droit des demandeurs d'asile à bénéficier pendant la durée d'examen de leur demande de conditions matérielles d'accueil leur assurant une vie décente soit le corollaire du droit d'asile et puisse ainsi être élevé au rang de liberté fondamentale ;


Vu l'ordonnance attaquée ;

Vu, enregistré le 15 septembre 2009, le mémoire présenté par Mlle A, qui conclut au rejet du recours du ministre et à ce que l'Etat soit condamné à verser à la SCP Caron, Daquo, Amouel, Pereira la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ; elle soutient que l'obligation d'assurer des conditions matérielles d'accueil assurant une vie décente pendant la période d'examen de la demande d'asile découle des dispositions de l'article 13 de la directive 2003/9/CE du 27 janvier 2003 ; que le droit d'asile ne peut être effectif que si cette obligation est respectée ; que faute d'avoir disposé de l'autorisation provisoire de séjour prévue à l'article L. 742-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, Mlle A n'a pu ni solliciter d'hébergement en centre d'accueil pour demandeurs d'asile, ni percevoir l'allocation temporaire d'attente, rendant ainsi, en l'absence de toute solution d'hébergement ses conditions d'accueil anormales et insatisfaisantes ; que depuis le prononcé de l'ordonnance contestée, Mlle A bénéficie d'un hébergement ; que dès lors, le recours du MINISTRE DE L'IMMIGRATION, DE L'INTEGRATION, DE L'IDENTITE NATIONALE ET DU DEVELOPPEMENT SOLIDAIRE est devenu sans objet ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la directive 2003/9/CE du 27 janvier 2003 ;

Vu le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

Vu le code de justice administrative ;


Après avoir convoqué à une audience publique, d'une part, le MINISTRE DE L'IMMIGRATION, DE L'INTEGRATION, DE L'IDENTITE NATIONALE ET DU DEVELOPPEMENT SOLIDAIRE et, d'autre part, Mlle A ;

Vu le procès-verbal de l'audience publique du mercredi 16 septembre 2009 à 17 heures au cours de laquelle ont été entendus :

- la représentante du MINISTRE DE L'IMMIGRATION, DE L'INTEGRATION, DE L'IDENTITE NATIONALE ET DU DEVELOPPEMENT SOLIDAIRE ;
- Me Balat, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat de Mlle A ;


Considérant qu'aux termes de l'article L. 521-2 du code de justice administrative : Saisi d'une demande en ce sens justifiée par l'urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public aurait porté, dans l'exercice d'un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. Le juge des référés se prononce dans un délai de quarante-huit heures ; qu'au sens de ces dispositions, la notion de liberté fondamentale englobe, s'agissant des ressortissants étrangers, qui sont soumis à des mesures spécifiques réglementant leur entrée et leur séjour en France et qui ne bénéficient donc pas, à la différence des nationaux, de la liberté d'entrée sur le territoire, le droit constitutionnel d'asile, qui a pour corollaire le droit de solliciter le statut de réfugié, dont l'obtention est déterminante pour l'exercice par les personnes concernées des libertés reconnues de façon générale aux ressortissants étrangers ; que la privation du bénéfice des mesures prévues par la loi afin de garantir aux demandeurs d'asile des conditions matérielles d'accueil décentes jusqu'à ce qu'il ait été statué définitivement sur leur demande est susceptible de constituer une atteinte grave et manifestement illégale à cette liberté ;

Considérant qu'aux termes de l'article 2 de la directive 2003/9/CE du 27 janvier 2003 relative à l'accueil des demandeurs d'asile : Définitions. Aux fins de la présente directive, on entend par : ... conditions matérielles d'accueil : les conditions d'accueil comprenant le logement, la nourriture et l'habillement, fournis en nature ou sous forme d'allocation financière ou de bons, ainsi qu'une allocation journalière... ; qu'aux termes de son article 13 : ...2. Les Etats membres prennent des mesures relatives aux conditions matérielles d'accueil qui permettent de garantir un niveau de vie adéquat pour la santé et d'assurer la subsistance des demandeurs. ...5. Les conditions d'accueil matérielles peuvent être fournies en nature ou sous la forme d'allocations financières ou de bons ou en combinant ces formules. Lorsque les Etats membres remplissent les conditions matérielles d'accueil sous forme d'allocations financières ou de bons, l'importance de ces derniers est fixée conformément aux principes définis dans le présent article. ; qu'aux termes de l'article 14 : modalités des conditions matérielles d'accueil :... 8. Pour les conditions matérielles d'accueil, les Etats membres peuvent, à titre exceptionnel, fixer des modalités différentes de celles qui sont prévues dans le présent article, pendant une période raisonnable, aussi courte que possible, lorsque : - une première évaluation des besoins spécifiques du demandeur est requise, - les conditions matérielles d'accueil prévues dans le présent article n'existent pas dans une certaine zone géographique, - les capacités de logement normalement disponibles sont temporairement épuisées, - le demandeur d'asile se trouve en rétention ou à un poste frontière, dans un local qu'il ne peut quitter. /Ces différentes conditions couvrent, en tout état de cause, les besoins fondamentaux. ;

Considérant qu'en application des dispositions des articles L. 348-1 et suivants et R. 348-1 et suivants du code de l'action sociale et des familles les demandeurs d'asile peuvent être admis à l'aide sociale pour être accueillis dans les centres pour demandeurs d'asile, et que ceux qui ne bénéficient pas d'un niveau de ressources suffisant bénéficient d'une allocation mensuelle de subsistance, dont le montant est fixé par l'article 3 de l'arrêté du 31 mars 2008 portant application de l'article R. 348-4 du code de l'action sociale et des familles ; qu'ils ont également vocation à bénéficier, outre du dispositif d'accueil d'urgence spécialisé pour demandeurs d'asile, qui a pour objet de les accueillir provisoirement dans des structures collectives ou dans des hôtels en attente d'un accueil en centre pour demandeurs d'asile, du dispositif général de veille sociale prévu par l'article L. 345-2 du code de l'action sociale et des familles, lequel peut conduire à leur admission dans un centre d'hébergement d'urgence ou un centre d'hébergement et de réinsertion sociale ; qu'enfin, en vertu des articles L. 5423-8-1° et L. 5423-9-2° du code du travail, les demandeurs d'asile qui ont demandé à bénéficier du statut de réfugié peuvent bénéficier, sous condition d'âge et de ressources, d'une allocation temporaire d'attente à condition de ne pas être bénéficiaires d'un séjour en centre d'hébergement pris en charge au titre de l'aide sociale ;

Considérant que, pour une application aux demandeurs d'asile des dispositions précitées du droit interne conforme aux objectifs sus rappelés de la directive 2003/9/CE du 27 janvier 2003, l'autorité compétente, qui sur sa demande d'admission au bénéfice du statut de réfugié doit, au plus tard dans le délai de quinze jours prescrit à l'article R. 742-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, mettre le demandeur d'asile en possession d'une autorisation provisoire de séjour jusqu'à ce qu'il ait été statué sur cette demande, sans préjudice, le cas échéant, de la mise en oeuvre des dispositions de l'article L. 741-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers, doit également, aussi longtemps qu'il est admis à se maintenir sur le territoire en qualité de demandeur d'asile et quelle que soit la procédure d'examen de sa demande, lui assurer, selon ses besoins et ses ressources, des conditions d'accueil comprenant le logement, la nourriture et l'habillement, fournies en nature ou sous la forme d'allocations financières ou de bons ou en combinant ces formules ; que si, notamment lorsqu'une première évaluation des besoins spécifiques du demandeur est requise ou lorsque les capacités de logement normalement disponibles sont temporairement épuisées, l'autorité administrative peut recourir à des modalités différentes de celles qui sont normalement prévues, c'est pendant une période raisonnable, aussi courte que possible, et en couvrant les besoins fondamentaux du demandeur d'asile ; qu'une privation du bénéfice de ces dispositions peut conduire le juge des référés à faire usage des pouvoirs qu'il tient de l'article L. 521-2 précité du code de justice administrative, lorsqu'elle est manifestement illégale et qu'elle comporte en outre des conséquences graves pour le demandeur d'asile ;

Considérant que Mlle A, ressortissante soudanaise, est arrivée en France le 8 août 2009 ; qu'elle s'est présentée au guichet de la préfecture de l'Oise le 10 août 2009 pour solliciter son admission au séjour dans le cadre du dépôt d'une demande d'asile ; que, si une convocation lui a été remise afin qu'elle se représente munie de certaines pièces le 7 septembre 2009, elle n'a pas été mise en possession d'une autorisation provisoire de séjour dans le délai prescrit à l'article R. 742-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ; que ses demandes, afin d'obtenir un hébergement en urgence, n'ont pu être satisfaites et qu'elle n'a perçu aucune allocation financière ; qu'elle soutient sans être contredite s'être trouvée privée de toute solution d'hébergement dans l'attente de l'examen le 7 septembre de sa situation et ce, jusqu'au jour où, pour l'exécution de l'ordonnance du 28 août 2009 du tribunal administratif d'Amiens, dont le MINISTRE DE L'IMMIGRATION, DE L'INTEGRATION, DE L'IDENTITE NATIONALE ET DU DEVELOPPEMENT SOLIDAIRE fait appel, le préfet de l'Oise, déférant à l'injonction du juge des référés, a, le 29 août 2009, pris les mesures nécessaires pour assurer son hébergement en urgence ;

Considérant que l'hébergement en urgence de Mlle A en exécution de l'ordonnance attaquée ne prive pas d'objet l'appel du MINISTRE DE L'IMMIGRATION, DE L'INTEGRATION, DE L'IDENTITE NATIONALE ET DU DEVELOPPEMENT SOLIDAIRE contre cette ordonnance ; que, par suite, il y a lieu de statuer sur cet appel ;

Considérant qu'en différant jusqu'au 7 septembre 2009 l'examen de la situation de la requérante sans la mettre en possession d'une autorisation provisoire de séjour dans le délai prescrit à l'article R. 742-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et sans prendre aucune mesure pour lui procurer dans l'attente de cet examen des conditions matérielles d'accueil couvrant ses besoins fondamentaux, alors qu'il n'est, en l'espèce, pas contesté qu'elle ne disposait d'aucun hébergement et d'aucune ressource, l'autorité administrative a porté une atteinte grave et manifestement illégale à l'exercice par Mlle A du droit d'asile ; qu'ainsi le ministre, qui en appel se borne à alléguer à tort que la méconnaissance du droit des demandeurs d'asile à bénéficier pendant la durée d'examen de leur demande de conditions matérielles d'accueil ne peut, par principe, conduire à constater une atteinte au droit d'asile, n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par l'ordonnance attaquée, le juge des référés du tribunal administratif d'Amiens a enjoint au préfet de l'Oise d'indiquer à Mlle A un lieu d'hébergement susceptible de l'accueillir ; que, par suite, sans qu'il soit besoin de statuer sur sa recevabilité, le recours du ministre ne peut qu'être rejeté ;

Sur l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant que l'avocat du bénéficiaire de l'aide juridictionnelle ne peut demander au juge de mettre à la charge de la partie perdante le versement à son profit des honoraires et frais que le bénéficiaire de l'aide aurait exposés s'il n'avait pas eu cette aide, que lorsque son client a été admis à l'aide juridictionnelle ; que l'aide juridictionnelle devant le Conseil d'Etat ne peut être demandée et, le cas échéant obtenue, que pour recourir à l'assistance d'un avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation ; que, dès lors et en tout état de cause, les conclusions de la SCP Caron, Daquo, Amouel, Pereira tendant au versement par l'Etat à son profit d'une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent qu'être rejetées ;



O R D O N N E :
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Article1er : Le recours du MINISTRE DE L'IMMIGRATION, DE L'INTEGRATION, DE L'IDENTITE NATIONALE ET DU DEVELOPPEMENT SOLIDAIRE est rejeté.
Article 2 : Les conclusions de la SCP Caron, Daquo, Amouel, Pereira tendant au versement par l'Etat à son profit d'une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : La présente ordonnance sera notifiée au MINISTRE DE L'IMMIGRATION, DE L'INTEGRATION, DE L'IDENTITE NATIONALE ET DU DEVELOPPEMENT SOLIDAIRE, à Mlle Mahamad Imane A ainsi qu'à la SCP Caron, Daquo, Amouel, Pereira.


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