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Ariane Web: Conseil d'État 311641, lecture du 12 octobre 2009, ECLI:FR:CESEC:2009:311641.20091012

Décision n° 311641
12 octobre 2009
Conseil d'État

N° 311641
ECLI:FR:CESEC:2009:311641.20091012
Publié au recueil Lebon
Section du Contentieux
M. Stirn, président
M. Richard Senghor, rapporteur
M. Guyomar Mattias, rapporteur public
SCP CELICE, BLANCPAIN, SOLTNER, avocats


Lecture du lundi 12 octobre 2009
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu le pourvoi sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 18 décembre 2007 et 10 mars 2008 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour M. Patrick-Hubert A, domicilié ... ; M. A demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler la décision du 11 octobre 2007 par laquelle le Haut Conseil du commissariat aux comptes a infirmé la décision du 22 mars 2006 de la chambre régionale de discipline des commissaires aux comptes du ressort de la cour d'appel de Paris et a prononcé à son encontre une sanction disciplinaire d'interdiction temporaire d'exercice de la profession pour une durée de cinq ans, avec sursis ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;


Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

Vu le code de commerce, notamment ses articles L. 822-1 à L. 823-20 ;

Vu le décret n° 69-810 du 12 août 1969 ;

Vu le code de justice administrative ;



Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Richard Senghor, Maître des Requêtes,

- les observations de la SCP Célice, Blancpain, Soltner, avocat de M. A,

- les conclusions de M. Mattias Guyomar, rapporteur public ;

La parole ayant été à nouveau donnée à la SCP Célice, Blancpain, Soltner, avocat de M. A ;



Sur la régularité de la décision attaquée :

Considérant qu'aux termes de l'article 6-1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue (...) publiquement (...) par un tribunal indépendant et impartial établi par la loi, qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...) ;

Considérant qu'en vertu de l'article L. 822-7 du code de commerce, les décisions de la chambre régionale de discipline des commissaires aux comptes peuvent être frappées d'appel devant le Haut Conseil du commissariat aux comptes ; que l'article L. 822-8 de ce code prévoit que ces juridictions peuvent infliger aux intéressés les sanctions disciplinaires de l'avertissement, du blâme, de l'interdiction temporaire pour une durée n'excédant pas cinq ans et de la radiation de la liste ; qu'ainsi, les décisions du Haut Conseil du commissariat aux comptes sont susceptibles de porter atteinte au droit d'exercer la profession de commissaire aux comptes, lequel revêt le caractère d'un droit de caractère civil au sens des stipulations de l'article 6-1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; qu'il suit de là que ces stipulations sont applicables aux procédures disciplinaires diligentées à l'encontre des commissaires aux comptes ;

En ce qui concerne la méconnaissance alléguée d'une obligation de lecture publique :

Considérant qu'en l'absence de texte imposant la lecture publique d'une décision juridictionnelle, l'exigence de publicité qui découle de l'article 6-1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales peut être satisfaite, soit par l'initiative d'une telle lecture, soit par tout autre moyen approprié assurant l'accès au texte de la décision, en particulier par sa consultation au greffe de la juridiction qui l'a prononcée ;

Considérant que si les dispositions réglementaires organisant la procédure disciplinaire devant le Haut Conseil du commissariat aux comptes ne prévoient pas la lecture publique des décisions qu'il rend, il ressort toutefois de ses visas que la décision contestée fait expressément mention de ce que le Haut Conseil du commissariat aux comptes a statué publiquement lors de sa séance du 11 octobre 2007, après avoir délibéré à l'issue de la séance du 14 juin 2007 au cours de laquelle a été examinée la requête d'appel formée par M. A à l'encontre de la décision du 22 mai 2006 prise par la chambre régionale de discipline des commissaires aux comptes du ressort de la cour d'appel de Paris ; que cette mention, qui fait foi jusqu'à preuve contraire, n'est contredite par aucune pièce du dossier ; que, dès lors, le moyen tiré de ce que cette décision serait irrégulière faute d'avoir été lue en séance publique doit être écarté ;

En ce qui concerne le respect du principe d'impartialité :

Considérant qu'aux termes de l'article L. 821-3 du code de commerce : Le Haut Conseil du commissariat aux comptes comprend : (...) 4° Trois commissaires aux comptes, dont deux ayant une expérience du contrôle des comptes des personnes faisant appel public à l'épargne ou à la générosité publique. / Les décisions sont prises à la majorité des voix. En cas de partage égal des voix, la voix du président est prépondérante. / Le président et les membres du Haut Conseil du commissariat aux comptes sont nommés par décret pour six ans renouvelables. Le Haut Conseil du commissariat aux comptes est renouvelé par moitié tous les trois ans. ; que ces dispositions sont notamment applicables aux décisions que le Haut Conseil prend en matière disciplinaire ;

Considérant que M. A soutient que le principe d'impartialité rappelé par les stipulations de l'article 6-1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales a été méconnu dès lors que l'un des trois commissaires aux comptes qui, en application des dispositions précitées, a siégé dans la formation de jugement, en premier lieu, était membre de la même compagnie régionale des commissaires aux comptes que lui, en deuxième lieu, appartenait à un cabinet dont l'activité était beaucoup plus réduite que celui dont il relève et, en troisième lieu, que ce cabinet était impliqué dans un litige professionnel avec le cabinet KPMG dont il est lui-même associé ;

Considérant qu'un moyen relatif à l'irrégularité de la composition d'une formation de jugement, quel qu'en soit le fondement, peut être invoqué à toute étape de la procédure, y compris devant le juge de cassation ;

Considérant qu'aucune des deux premières circonstances alléguées ne sauraient caractériser en elles-mêmes une violation du principe d'impartialité ; qu'il ne ressort pas par ailleurs des pièces du dossier soumis au Conseil d'Etat que le commissaire aux comptes dont la participation à la délibération attaquée est contestée aurait été susceptible d'être influencé par un intérêt personnel, du fait du litige opposant les deux cabinets, dans le contentieux disciplinaire dont le requérant a été l'objet ;

Considérant que, dès lors, le principe d'impartialité n'a pas été méconnu ;

Sur le bien-fondé de la décision attaquée :

Considérant qu'aux termes de l'article L. 225-222 du code de commerce, applicable à l'époque des faits litigieux : Les fonctions de commissaire aux comptes sont incompatibles : 1° Avec toute activité ou tout acte de nature à porter atteinte à son indépendance ; 2° Avec tout emploi salarié ; toutefois, un commissaire aux comptes peut dispenser un enseignement se rattachant à l'exercice de sa profession ou occuper un emploi rémunéré chez un commissaire aux comptes ou chez un expert-comptable ; 3° Avec toute activité commerciale, qu'elle soit exercée directement ou par personne interposée. ; qu'aux termes de l'article 88 du décret du 12 août 1969 relatif à l'organisation de la profession et au statut professionnel des commissaires aux comptes, dans sa rédaction en vigueur à l'époque des faits incriminés : Toute infraction aux lois, règlements et règles professionnels, toute négligence grave, tout fait contraire à la probité ou à l'honneur commis par un commissaire aux comptes, personne physique ou société, même ne se rattachant pas à l'exercice de la profession, constituent une faute disciplinaire passible d'une peine disciplinaire. ;

Considérant que le requérant soutient que le principe de légalité des délits et des peines s'opposait à ce que le Haut Conseil du commissariat aux comptes pût infliger une sanction fondée sur la méconnaissance de ces textes, qui n'auraient pas défini avec une précision suffisante les obligations imposées aux commissaires aux comptes ; que, toutefois, pour ce qui concerne les sanctions susceptibles d'être infligées aux membres des professions réglementées, y compris celles revêtant un caractère disciplinaire, le principe de légalité des délits est satisfait dès lors que les textes applicables font référence à des obligations auxquelles les intéressés sont soumis en raison de l'activité qu'ils exercent, de la profession à laquelle ils appartiennent ou de l'institution dont ils relèvent ; que, dès lors, le Haut Conseil du commissariat aux comptes n'a pas entaché sa décision d'erreur de droit en retenant que la méconnaissance des dispositions figurant à l'article L. 225-222 du code de commerce et à l'article 88 du décret du 12 août 1969 pouvait faire l'objet d'une sanction disciplinaire ;

Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que M. A, commissaire aux comptes, associé du cabinet d'audit KPMG, est intervenu comme signataire pour la certification des comptes de la société Rexel, notamment au titre des exercices clos les 31 décembre 2001 et 31 décembre 2002, alors que, parallèlement, sous la signature d'un autre commissaire aux comptes associé du même cabinet, une mission a été diligentée pendant l'année 2002 auprès de la même société visant, d'une part, à l'assister dans la réalisation de ses travaux de consolidation de l'exercice 2001 et, d'autre part, à superviser ceux-ci ; qu'en observant que, de par sa nature, sa durée, ses modalités d'exécution et le montant de sa rémunération, cette intervention permettait de présumer une situation de perte d'indépendance du cabinet, le Haut Conseil du commissariat aux comptes a porté sur les faits de l'espèce une appréciation souveraine exempte de dénaturation ;

Considérant que, regardant cette situation comme engageant en elle-même la responsabilité personnelle de M. A, dès lors que celui-ci avait certifié les comptes de la société Rexel sans avoir pris les dispositions utiles pour appréhender cette situation d'incompatibilité ni tirer les conséquences de celle-ci, le Haut Conseil du commissariat aux comptes n'a pas entaché son appréciation d'une qualification juridique erronée en retenant que le requérant avait commis une faute disciplinaire au sens de l'article 88 du décret du 12 août 1969 ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède que M. A n'est pas fondé à demander l'annulation de la décision attaquée ; que doivent être rejetées, par voie de conséquence, ses conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;


D E C I D E :
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Article 1er : Le pourvoi de M. A est rejeté.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à M. Patrick-Hubert A, au Haut Conseil du commissariat aux comptes et à la ministre d'Etat, garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés.


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