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Ariane Web: Conseil d'État 309662, lecture du 9 avril 2010, ECLI:FR:CESSR:2010:309662.20100409

Décision n° 309662
9 avril 2010
Conseil d'État

N° 309662
ECLI:FR:CESSR:2010:309662.20100409
Publié au recueil Lebon
7ème et 2ème sous-sections réunies
Mme Agnès Fontana, rapporteur
M. Boulouis Nicolas, rapporteur public
SCP PIWNICA, MOLINIE ; SPINOSI ; SCP BORE ET SALVE DE BRUNETON, avocats


Lecture du vendredi 9 avril 2010
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu le pourvoi sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 25 septembre et 26 décembre 2007 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour la COMMUNE DE LEVALLOIS-PERRET, représentée par son maire ; la commune demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'arrêt du 11 juillet 2007 par lequel la cour administrative d'appel de Paris a rejeté sa requête tendant à l'annulation du jugement du 11 mars 2005 par lequel le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à la condamnation de la société Bureau Véritas à réparer le préjudice que lui a causé le rapport erroné déposé le 14 mai 1997 en vue de l'installation d'un centre culturel dans un bâtiment, situé rue de la Gare à Levallois-Perret, par la Société Contrôle et Prévention et a mis à sa charge les frais d'expertise ;

2°) réglant l'affaire au fond, de condamner la société Bureau Véritas à lui payer la somme de 269 508,37 euros, assortie des intérêts moratoires, et à supporter les frais d'expertise ;

3°) de mettre à la charge de la société Bureau Véritas la somme de 4 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;


Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Agnès Fontana, chargée des fonctions de Maître des Requêtes,

- les observations de Me Spinosi, avocat de la COMMUNE DE LEVALLOIS-PERRET et de la SCP Boré et Salve de Bruneton, avocat de la société Bureau Véritas,

- les conclusions de M. Nicolas Boulouis, rapporteur public ;

La parole ayant été à nouveau donnée à Me Spinosi, avocat de la COMMUNE DE LEVALLOIS-PERRET et à la SCP Boré et Salve de Bruneton, avocat de la société Bureau Véritas,



Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la COMMUNE DE LEVALLOIS-PERRET a confié à la société Contrôle et Prévention (CEP) la réalisation d'une étude consistant à apprécier la solidité d'un bâtiment communal dont elle envisageait la réhabilitation aux fins de créer un espace culturel ; que cette étude, remise à la commune le 14 mai 1997, concluait au bon état de la charpente, se bornant à recommander un traitement insecticide et fongicide ; qu'avant même la réalisation des travaux de réhabilitation de ce bâtiment, de graves désordres sont apparus dans la charpente dont le mauvais état a été décrit dans un constat d'huissier établi le 6 avril 1999, avant d'être confirmé par deux expertises ordonnées par le tribunal administratif de Paris et remises les 19 avril 1999 et 19 avril 2000 ; que ce mauvais état du bâtiment a conduit la commune à faire réaliser une nouvelle étude, à entreprendre des travaux de consolidation non prévus, et à régler des honoraires supplémentaires de maîtrise d'oeuvre ; que la commune a recherché la condamnation de la société Bureau Véritas, venue aux droits de la société CEP, au titre du manquement à ses obligations contractuelles ; que par un jugement du 11 mars 2005, le tribunal administratif de Paris a rejeté cette demande ; que la cour administrative d'appel de Paris a, par l'arrêt attaqué du 11 juillet 2007, rejeté l'appel de la commune ;

Considérant que, si l'exécution de l'obligation du débiteur d'une prestation d'étude prend normalement fin avec la remise de son rapport et le règlement par l'administration du prix convenu, sa responsabilité reste cependant engagée, en l'absence de toute disposition ou stipulation particulière applicable à ce contrat, à raison des erreurs ou des carences résultant d'un manquement aux diligences normales attendues d'un professionnel pour la mission qui lui était confiée, sous réserve des cas où, ces insuffisances étant manifestes, l'administration aurait, en payant la prestation, nécessairement renoncé à se prévaloir des fautes commises ; qu'ainsi, en écartant la responsabilité contractuelle de la société Bureau Véritas, au motif que la réception du rapport d'étude par la commune mettait fin par principe aux relations contractuelles entre l'entreprise et la collectivité, la cour administrative d'appel de Paris a commis une erreur de droit ; que par suite, et sans qu'il soit besoin d'examiner l'autre moyen du pourvoi, la COMMUNE DE LEVALLOIS-PERRET est fondée à demander l'annulation de l'arrêt attaqué ;

Considérant que, dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de régler l'affaire au fond en application de l'article L. 821-2 du code de justice administrative ;

Sur la responsabilité contractuelle :

Considérant qu'il résulte de l'instruction que le rapport remis à la COMMUNE DE LEVALLOIS-PERRET par la société CEP, aux droits de laquelle est venue la société Bureau Véritas, concluait au bon état de la charpente du bâtiment que la commune entendait réhabiliter ; que cependant, deux expertises ordonnées par le tribunal administratif de Paris postérieurement à l'apparition de désordres affectant cette charpente, et dont la teneur n'est pas contestée, ont révélé son mauvais état général qui n'aurait pas dû échapper à la société CEP, professionnel dont la mission était précisément d'expertiser cette charpente ; qu'elles engagent ainsi la responsabilité contractuelle de la société Bureau Véritas, sans que celle-ci puisse utilement soutenir que ces fautes ne sont constitutives ni d'une fraude, ni d'un dol ; que la COMMUNE DE LEVALLOIS-PERRET est donc fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris a écarté la responsabilité contractuelle de la société Bureau Véritas et rejeté pour ce motif sa demande indemnitaire ;

Sur le préjudice :

Considérant que la COMMUNE DE LEVALLOIS-PERRET est fondée à demander la réparation des préjudices causés directement par les fautes commises par la société CEP dans la réalisation de l'étude de la charpente qui lui a été remise ; qu'à ce titre, elle est fondée à demander réparation des frais qu'elle a engagés pour la réalisation d'une nouvelle étude, soit 1 952,70 euros toutes taxes comprises ; que, si elle demande en outre à être indemnisée au titre des préjudices résultant, d'une part de l'allongement de la durée des travaux imputable à la nécessité de faire procéder à des expertises et à une nouvelle étude de la charpente et, d'autre part, des frais supplémentaires liés à l'obligation d'engager des travaux non prévus à l'origine, elle ne chiffre pas ces chefs de préjudice, ni n'apporte d'éléments permettant de les évaluer, se bornant à faire état du coût de la réhabilitation de la charpente, lequel ne résulte pas des erreurs imputables au rapport litigieux ; qu'en particulier, il n'est pas établi que la commune aurait renoncé à réhabiliter le bâtiment qu'elle avait acquis en vue d'y réaliser un espace culturel si elle avait eu connaissance au préalable du coût de restauration de la charpente ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède qu'il y a lieu de condamner la société Bureau Véritas à payer à la commune les seuls frais de réalisation de la nouvelle étude, soit la somme de 1952,70 euros toutes taxes comprises, laquelle portera intérêts à compter de l'enregistrement de sa demande de première instance, soit le 10 septembre 2000 ;

Sur les frais d'expertise :

Considérant qu'il y a lieu de mettre à la charge du Bureau Véritas les frais d'expertise, taxés et liquidés à la somme de 1 407,38 euros ;

Sur l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant que ces dispositions font obstacle à ce que la somme demandée par la société Bureau Véritas au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens soit mise à la charge de la COMMUNE DE LEVALLOIS-PERRET qui n'est pas, dans la présente affaire, la partie perdante ; qu'il y a lieu, en revanche, de mettre à la charge de la société Bureau Véritas une somme de 6 000 euros à verser à la commune au titre de l'ensemble de ses frais de procédure ;



D E C I D E :
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Article 1er : L'arrêt du 11 juillet 2007 de la cour administrative d'appel de Paris et le jugement du 11 mars 2005 du tribunal administratif de Paris sont annulés.

Article 2 : La société Bureau Véritas versera à la COMMUNE DE LEVALLOIS-PERRET la somme de 1952,70 euros toutes taxes comprises, avec intérêts au taux légal à compter du 10 septembre 2000.

Article 3 : Les frais d'expertise, taxés et liquidés à la somme de 1 407,38 euros, sont mis à la charge de la société Bureau Véritas.

Article 4 : La société Bureau Véritas versera à la COMMUNE DE LEVALLOIS-PERRET une somme de 6 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 5 : La présente décision sera notifiée à la COMMUNE DE LEVALLOIS-PERRET et à la société Bureau Veritas.


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