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Ariane Web: Conseil d'État 320116, lecture du 25 mai 2010, ECLI:FR:CESSR:2010:320116.20100525

Décision n° 320116
25 mai 2010
Conseil d'État

N° 320116
ECLI:FR:CESSR:2010:320116.20100525
Mentionné au tables du recueil Lebon
Section du Contentieux
M. Arrighi de Casanova, président
Mme Constance Rivière, rapporteur
Mme Bourgeois-Machureau Béatrice, rapporteur public
SCP DIDIER, PINET ; SCP ROGER, SEVAUX, avocats


Lecture du mardi 25 mai 2010
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu le pourvoi et le mémoire complémentaire, enregistrés le 27 août 2008 et le 2 mars 2009 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour M. Baloua A, demeurant ... ; M. A demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'arrêt du 14 janvier 2008 par lequel la cour administrative d'appel de Marseille a, sur requête du préfet des Bouches-du-Rhône, annulé le jugement du 8 février 2007 par lequel le tribunal administratif de Marseille a, d'une part, annulé sa décision du 22 février 2006 refusant de lui délivrer un titre de séjour ainsi que la décision du 6 juin 2006 par laquelle le préfet a rejeté son recours gracieux, d'autre part, a enjoint au préfet de lui délivrer un titre de séjour de durée et d'effets équivalents à ceux du titre qui aurait dû lui être octroyé en application des dispositions du 10° de l'article L. 314-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, et a rejeté sa demande devant le tribunal administratif de Marseille ;

2°) réglant l'affaire au fond, de rejeter l'appel formé par le préfet des Bouches-du-Rhône devant la cour administrative d'appel de Marseille ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 3 000 euros à son avocat, la SCP Roger, Sevaux, désignée dans les conditions prévues à l'article 37 alinéa 2 de la loi du 10 juillet 1991, ou en cas de rejet de sa demande tendant au bénéfice de l'aide juridictionnelle, à M. A au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;



Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

Vu le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

Vu le code du travail ;

Vu la loi n° 2004-1486 du 30 décembre 2004, notamment son article 13 ;

Vu le code de justice administrative ;



Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Constance Rivière, Auditeur,

- les observations de la SCP Roger, Sevaux, avocat de M. A et de la SCP Didier, Pinet, avocat de la Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité,

- les conclusions de Mme Béatrice Bourgeois-Machureau, rapporteur public,

La parole ayant été à nouveau donnée à la SCP Roger, Sevaux, avocat de M. A et à la SCP Didier, Pinet, avocat de la Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité ;




Considérant qu'aux termes de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans sa version en vigueur à la date de la décision attaquée : Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, la carte de séjour temporaire portant la mention vie privée et familiale est délivrée de plein droit : (...) 3° A l'étranger ne vivant pas en état de polygamie, qui justifie par tout moyen résider en France habituellement depuis plus de dix ans ou plus de quinze ans si, au cours de cette période, il a séjourné en qualité d'étudiant ; qu'aux termes de l'article L. 314-11 de ce code dans sa version en vigueur à la même date : Sauf si la présence de l'étranger constitue une menace pour l'ordre public, la carte de résident est délivrée de plein droit, sous réserve de la régularité du séjour : (...) 10° A l'étranger qui est en situation régulière depuis plus de dix ans, sauf s'il a été, pendant toute cette période, titulaire d'une carte de séjour temporaire portant la mention étudiant (...) ; qu'aux termes de l'article L. 313-10 du même code, applicable à la même date : La carte de séjour temporaire délivrée à l'étranger qui désire exercer en France une activité professionnelle soumise à autorisation et justifie avoir obtenu cette autorisation porte la mention de cette activité, conformément aux lois et règlements en vigueur ; qu'il résulte de l'article R. 314-7-2 du code du travail, dans sa rédaction en vigueur entre 1984 et 2007, que la durée totale du ou des contrats saisonniers dont peut bénéficier un travailleur étranger ne peut excéder six mois sur douze mois consécutifs, sauf autorisation exceptionnelle permettant de porter cette durée à huit mois sur douze mois consécutifs, sous la double condition que ces contrats concernent des activités de production agricole déterminées, pour lesquelles cette mesure répond à des exigences spécifiques, et que l'employeur intéressé apporte la preuve qu'il ne peut faire face à ce besoin par le recrutement de main-d'oeuvre déjà présente sur le territoire national ;

Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que M. A a été bénéficiaire, tous les ans entre 1982 et 2004, de contrats d'introduction de travailleur saisonnier pour des périodes de six mois qui ont été portées, pour chaque contrat, à huit mois ; que du fait de l'autorisation, systématiquement accordée par l'administration, de porter chaque année la durée de ses contrats à huit mois, alors que l'article R. 341-7-2 du code du travail ne prévoit cette possibilité qu'à titre exceptionnel, M. A a vécu en France les trois quarts de l'année tous les ans depuis plus de vingt ans ; qu'en ne tenant pas compte de ces circonstances pour apprécier si M. A pouvait se prévaloir des dispositions du 3° de l'article L. 313-11 ou de celles du 10° de l'article L. 314-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, la cour administrative d'appel de Marseille a commis une erreur de droit ; que, dès lors, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens du pourvoi, son arrêt du 14 janvier 2008 doit être annulé ;

Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de régler l'affaire au fond en application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative ;

Considérant qu'eu égard notamment à l'ancienneté de la présence de l'intéressé en France, dont il n'a jamais été éloigné plus de quatre mois, au caractère systématique de l'allongement de la durée de son séjour à huit mois, à la circonstance que l'intéressé exerçait, chaque année, des activités qui n'étaient pas uniquement celles de production agricole prévues par ses contrats saisonniers, pour une durée dont il n'est pas contesté qu'elle était égale ou supérieure à la durée annuelle du travail et, enfin, à la circonstance qu'il a ainsi fixé en France le centre de ses intérêts professionnels, M. A justifiait, à la date de la décision attaquée, résider habituellement en France depuis 1982 ; que, dès lors, en refusant de lui octroyer une carte de séjour temporaire, le préfet des Bouches-du-Rhône a méconnu les dispositions du 3° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ; qu'il n'est par suite pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par l'article 1er du jugement attaqué, le tribunal administratif de Marseille a annulé sa décision refusant d'accorder un titre de séjour à M. A ;

Sur les conclusions à fin d'injonction :

Considérant qu'eu égard aux motifs de la présente décision, l'exécution de celle-ci implique la délivrance à M. A, non d'une carte de résident, dès lors qu'il ne remplissait pas la condition de continuité du séjour régulier pendant la période exigée par le 10° de l'article L. 314-11 du même code, mais d'une carte temporaire de séjour ; que, dès lors, il y a lieu d'enjoindre au préfet des Bouches-du-Rhône de délivrer à M. A une carte de séjour temporaire vie privée et familiale dans un délai d'un mois à compter de la notification de la présente décision et de réformer en ce sens l'article 2 du jugement attaqué ;

Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L.761-1 du code de justice administrative :

Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement à M. A d'une somme de 3 000 euros au titre de ces dispositions ;


D E C I D E :
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Article 1er : L'arrêt de la cour administrative d'appel de Marseille en date du 14 janvier 2008 est annulé.
Article 2 : Il est enjoint au préfet des Bouches-du-Rhône de délivrer à M. A une carte de séjour temporaire vie privée et familiale dans un délai d'un mois à compter de la notification de la présente décision.
Article 3 : L'article 2 du jugement du tribunal administratif de Marseille du 8 février 2007 est réformé en ce qu'il a de contraire à la présente décision.
Article 4 : L'Etat versera à M. A une somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 5 : La présente décision sera notifiée à M. Baloua A et au ministre de l'immigration, de l'intégration, de l'identité nationale et du développement solidaire. Copie en sera adressée, pour information, à la Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité.



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