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Ariane Web: Conseil d'État 314796, lecture du 2 juin 2010, ECLI:FR:CESSR:2010:314796.20100602

Décision n° 314796
2 juin 2010
Conseil d'État

N° 314796
ECLI:FR:CESSR:2010:314796.20100602
Publié au recueil Lebon
9ème et 10ème sous-sections réunies
M. Martin, président
Mme Cécile Raquin, rapporteur
Mme Legras Claire, rapporteur public


Lecture du mercredi 2 juin 2010
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu le pourvoi, enregistré le 2 avril 2008 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présenté par le MINISTRE DE LA DEFENSE ; le ministre demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler le jugement du 5 février 2008 par lequel le tribunal administratif de Dijon, après avoir annulé la décision implicite du ministre de la défense refusant à M. Larbi Zellal la majoration de sa retraite du combattant au taux en vigueur en France, prévue à l'article L. 18 du code des pensions civiles et militaires de retraite, l'a renvoyé devant l'administration afin qu'il soit procédé à un nouveau calcul de ses droits ;

2°) réglant l'affaire au fond, de rejeter la demande présentée par M. Zellal devant le tribunal administratif de Dijon ;


Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, et le premier protocole additionnel à cette convention ;

Vu le code des pensions civiles et militaires de retraite ;

Vu la loi n° 59-1454 du 26 décembre 1959 ;

Vu la loi n° 2002-1576 du 30 décembre 2002 ;

Vu le code de justice administrative ;


Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Cécile Raquin, Auditeur,

- les conclusions de Mme Claire Legras, rapporteur public ;



Considérant que M. Zellal, ressortissant marocain ayant servi dans l'armée française du 20 avril 1954 au 20 avril 1966, a été admis par arrêté du 11 juin 1966 au bénéfice d'une pension militaire de retraite, qui a été cristallisée et transformée en indemnité personnelle et viagère en application des dispositions de l'article 71 de la loi du 26 décembre 1959 de finances pour 1960 ; que, par un jugement du 7 octobre 2003, devenu définitif, le tribunal administratif de Dijon a rejeté la demande de M. Zellal tendant à la décristallisation de sa pension ; que toutefois, en vertu des dispositions de l'article 68 de la loi du 30 décembre 2002 de finances rectificative pour 2002, le MINISTRE DE LA DEFENSE a procédé, à compter du 6 août 2004, à la revalorisation de la pension militaire de retraite de M. Zellal au taux applicable pour le Maroc ; que, par une demande du 10 décembre 2004, M. Zellal a sollicité du MINISTRE DE LA DEFENSE la révision de cette pension afin de se voir attribuer le bénéfice de la majoration de pension pour enfants prévue par l'article L. 18 du code des pensions civiles et militaires de retraite, à raison, d'une part, de l'indemnité personnelle et viagère dont il bénéficiait jusqu'au 6 août 2004, date de la revalorisation de cette prestation, d'autre part, de sa pension revalorisée sur le fondement de l'article 68 de la loi de finances rectificative pour 2002 à compter de cette même date ; que par un jugement du 5 février 2008 dont le MINISTRE DE LA DEFENSE demande l'annulation, le tribunal administratif de Dijon a annulé la décision implicite de rejet du ministre et renvoyé M. Zellal devant l'administration afin qu'il soit procédé à un nouveau calcul de ses droits ;

Sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens du pourvoi ;

Considérant que, dans les motifs du jugement attaqué, le tribunal se prononce sur le bien-fondé d'une demande de majoration pour enfants accessoire à la pension militaire de retraite de M. Zellal ; que, dans son dispositif, il annule une décision implicite du MINISTRE DE LA DEFENSE relative à la retraite du combattant de ce même pensionné ; que, par suite, le MINISTRE DE LA DEFENSE est fondé à soutenir que ce jugement est entaché d'une contradiction entre ses motifs et son dispositif et à en demander l'annulation ;

Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de régler l'affaire au fond en application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative ;

Considérant qu'aux termes de l'article L. 18 du code des pensions civiles et militaires de retraite : I. Une majoration de pension est accordée aux titulaires ayant élevé au moins trois enfants. / II. Ouvrent droit à cette majoration : / Les enfants légitimes (...) / III. À l'exception des enfants décédés par faits de guerre, les enfants devront avoir été élevés pendant au moins neuf ans, soit avant leur seizième anniversaire, soit avant l'âge où ils ont cessé d'être à charge (...) / Pour satisfaire la condition de durée ci-dessus, il sera tenu compte, le cas échéant, du temps pendant lequel les enfants auront été élevés par le conjoint après le décès du titulaire. / IV. Le bénéfice de la majoration est accordé : / Soit au moment où l'enfant atteint l'âge de seize ans ; / Soit au moment où, postérieurement à l'âge de seize ans, il remplit la condition visée au III ci-dessus (...) ; qu'il résulte de ces dispositions que le droit à majoration pour enfants peut s'ouvrir à une date différente de la date à laquelle naît le droit à pension et ne se trouve pas définitivement fixé à cette dernière date ;

Considérant, en premier lieu, qu'aux termes du VI de l'article 68 de la loi du 30 décembre 2002 : Les prestations servies en application des textes visés au I peuvent faire l'objet, à compter du 1er janvier 2002 et sur demande, d'une réversion. L'application du droit des pensions aux intéressés et la situation de famille sont appréciées à la date d'effet des dispositions visées au I pour chaque Etat concerné ; que si le ministre déduit de ces dispositions que la situation familiale de l'intéressé doit être appréciée à la date d'effet des dispositions de l'article 71 de la loi du 26 décembre 1959 de finances pour 1960, soit le 1er janvier 1961, il résulte toutefois de leurs termes mêmes que celles-ci ont pour seul objet de préciser les modalités d'attribution du droit à pension de réversion et ne font pas obstacle à ce que les pensions civiles et militaires de retraite soient assorties de la majoration de pension prévue à l'article L. 18 du code des pensions civiles et militaires de retraite, alors même qu'aucun des enfants en cause n'aurait atteint l'âge de seize ans à la date du 1er janvier 1961 ; que le ministre n'est, dès lors, pas fondé à soutenir que la situation familiale de M. Zellal doit être appréciée au 1er janvier 1961, date à laquelle il n'avait pas d'enfant ;

Considérant, en deuxième lieu, que le MINISTRE DE LA DEFENSE soutient que M. Zellal ne peut bénéficier d'une majoration de pension pour enfants, dès lors que sa pension militaire de retraite, transformée en indemnité personnelle et viagère en application des dispositions de l'article 71 de la loi du 26 décembre 1959 de finances pour 1960, est demeurée cristallisée sur le fondement des dispositions de l'article 68 de la loi de finances rectificative pour 2002 et n'est pas analogue aux pensions de retraite de droit commun allouées aux ressortissants français ;

Considérant que l'article 71 de la loi de finances pour 1960 prévoyait que les prestations servies aux ressortissants d'Etats anciennement placés sous souveraineté française seraient remplacées pendant la durée normale de leur jouissance par des indemnités annuelles en francs, calculées sur la base des tarifs en vigueur pour ces pensions ou allocations à la date de leur transformation ; que, toutefois, au regard des droits tirés des stipulations combinées des articles 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et 1er du premier protocole additionnel à cette convention, les sommes versées aux retraités ayant servi dans l'armée française ont conservé le caractère de pensions ; que, par suite, contrairement à ce que soutient le ministre, les bénéficiaires de pensions cristallisées devaient être regardés comme éligibles à la majoration de pension pour enfants prévue à l'article L. 18 du code des pensions civiles et militaires de retraite ; qu'ainsi, la circonstance que la pension de M. Zellal est demeurée cristallisée jusqu'au 6 août 2004 est sans incidence sur son droit à bénéficier de la majoration pour enfants au titre de cette pension ;

Considérant, en outre, que le droit à majoration pour enfants n'est pas une prestation distincte de la pension de retraite mais un mode de calcul de celle-ci, destiné à en compléter le montant pour tenir compte des charges exposées par le pensionné qui a élevé plus de trois enfants ; qu'il doit ainsi être regardé comme un bien au sens de l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; que si le II de l'article 68 de la loi de finances rectificative pour 2002, applicable à compter du 1er janvier 1999, prévoit que lorsque, lors de la liquidation initiale des droits directs ou à réversion, le titulaire de la pension n'a pas sa résidence effective en France, la valeur du point de base de sa prestation, telle qu'elle serait servie en France, est affectée d'un coefficient proportionnel au rapport des parités de pouvoir d'achat dans le pays de résidence et des parités de pouvoir d'achat de la France, l'exclusion, pour les bénéficiaires des prestations revalorisées sur le fondement de ces dispositions, des avantages familiaux de retraite constituerait une discrimination fondée sur la seule nationalité, contraire aux stipulations combinées des articles 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et 1er du premier protocole additionnel à cette convention ; que, par suite, la circonstance que la pension du requérant a été calculée, à compter du 6 août 2004, dans les conditions prévues au II de l'article 68 de la loi de finances rectificative pour 2002 est sans incidence sur son droit à bénéficier de la majoration pour enfants ;

Considérant qu'il n'est pas contesté que M. Zellal a élevé au moins pendant neuf ans ses six enfants, dont le dernier a atteint l'âge de seize ans le 20 août 1999 ; que, par suite, M. Zellal, qui satisfaisait aux conditions posées par l'article L. 18 du code des pensions civiles et militaires de retraite, est fondé, d'une part, à demander l'annulation de la décision implicite par laquelle le MINISTRE DE LA DEFENSE a rejeté sa demande du 10 décembre 2004 tendant à bénéficier de la majoration de pension du chef de ses six enfants et, d'autre part, à obtenir que le droit à la majoration pour enfants prenne effet à compter du 16 septembre 1988, date à laquelle son troisième enfant a atteint l'âge de seize ans ; qu'il résulte de ce qui précède que la majoration de pension de M. Zellal doit être calculée, pour la période du 16 septembre 1988 au 6 août 2004, sur le fondement du taux de la pension cristallisée dont bénéficiait le requérant jusqu'à cette dernière date et, pour la période postérieure au 6 août 2004, sur le fondement du taux de sa pension revalorisée, applicable pour le Maroc ;



D E C I D E :
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Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Dijon du 5 février 2008 est annulé.
Article 2 : La décision implicite par laquelle le MINISTRE DE LA DEFENSE a rejeté la demande de M. Zellal tendant à bénéficier de la majoration de pension pour enfants prévue à l'article L. 18 du code des pensions civiles et militaires de retraite est annulée.
Article 3 : M. Zellal est renvoyé devant l'administration afin qu'il soit procédé à la liquidation de la majoration de pension pour enfants à laquelle il a droit selon les modalités définies dans les motifs de la présente décision.
Article 4 : La présente décision sera notifiée au MINISTRE DE LA DEFENSE et à M. Larbi Zellal.



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