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Ariane Web: Conseil d'État 333262, lecture du 11 juin 2010, ECLI:FR:CESSR:2010:333262.20100611

Décision n° 333262
11 juin 2010
Conseil d'État

N° 333262
ECLI:FR:CESSR:2010:333262.20100611
Mentionné au tables du recueil Lebon
2ème et 7ème sous-sections réunies
M. Arrighi de Casanova, président
M. Yves Doutriaux, rapporteur
M. Lenica Frédéric, rapporteur public


Lecture du vendredi 11 juin 2010
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la requête, enregistrée le 28 octobre 2009 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentée par le SYNDICAT SUD RATP, dont le siège est 5 impasse Mousset à Paris (75012) ; le SYNDICAT SUD RATP demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir l'instruction générale IG 529 d'octobre 2009 fixant les modalités de participation à la grève ;

2°) de mettre à la charge de la Régie autonome des transports parisiens le versement de la somme de 2 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;



Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la Constitution ;

Vu le code du travail ;

Vu la loi n° 63-777 du 31 juillet 1963 ;

Vu la loi n° 2007-1224 du 21 août 2007 ;

Vu l'ordonnance n° 59-151 du 7 janvier 1959 ;

Vu le décret n° 59-1091 du 23 septembre 1959 ;

Vu le code de justice administrative ;




Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Yves Doutriaux, Conseiller d'Etat,

- les conclusions de M. Frédéric Lenica, rapporteur public ;




Considérant qu'en indiquant, dans le préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 auquel se réfère le préambule de la Constitution du 4 octobre 1958, que le droit de grève s'exerce dans le cadre des lois qui le réglementent, l'assemblée constituante a entendu inviter le législateur à opérer la conciliation nécessaire entre la défense des intérêts professionnels dont la grève constitue l'une des modalités et la sauvegarde de l'intérêt général, auquel elle peut être de nature à porter atteinte ;

Considérant, d'une part, qu'en vertu de l'article L. 2512-2 du code du travail, dont les dispositions sont issues de l'article 3 de la loi du 31 juillet 1963 relative à certaines modalités de la grève dans les services publics et sont applicables, selon l'article L. 2512-1, aux personnels des entreprises et des établissements publics chargés de la gestion d'un service public, la cessation concertée du travail en cas de grève doit être précédée d'un préavis déposé par une organisation syndicale représentative ; qu'aux termes de l'article L. 2512-3 du même code dont les dispositions sont issues de l'article 4 de la même loi : En cas de cessation concertée de travail des personnels mentionnés à l'article L. 2512-1, l'heure de cessation et celle de reprise du travail ne peuvent être différentes pour les diverses catégories ou pour les divers membres du personnel intéressé./ Sont interdits les arrêts de travail affectant par échelonnement successif ou par roulement concerté les divers secteurs ou catégories professionnelles d'un même établissement ou service ou les différents établissements ou services d'une même entreprise ou d'un même organisme ;

Considérant, d'autre part, que la loi du 21 août 2007, applicable en vertu de son article 1er aux services publics de transport terrestre régulier de voyageurs à vocation non touristique, a organisé une procédure obligatoire de prévention des conflits dans les entreprises chargées de la gestion de ces services publics et complété les règles applicables au dépôt des préavis ; que ses dispositions imposent aux autorités organisatrices de transport de définir les dessertes prioritaires en cas de perturbation prévisible du trafic résultant notamment de faits de grève et de déterminer différents niveaux de service en fonction de l'importance de la perturbation ; qu'il appartient, en vertu de l'article 4 de cette loi, à chaque entreprise chargée de la gestion d'un de ces services publics de transport d'élaborer un plan de transport adapté aux priorités de desserte et aux niveaux de service définis par l'autorité organisatrice de transport, ainsi qu'un plan d'information des usagers et de les soumettre à l'approbation de l'autorité organisatrice de transport ; qu'en cas de carence de cette autorité, c'est au représentant de l'Etat qu'il appartient, après mise en demeure, d'arrêter les priorités de desserte et d'approuver ce plan de transport adapté et ce plan d'information ; qu'en vertu du I de l'article 5 de la loi du 21 août 2007, à défaut d'accord collectif de prévisibilité du service applicable en cas de perturbation prévisible du trafic ou de grève, il incombe à l'employeur de définir un plan de prévisibilité recensant, par métier, fonction et niveau de compétence ou de qualification, les catégories d'agents et leurs effectifs, ainsi que les moyens matériels, indispensables à l'exécution de chacun des niveaux de service prévus dans le plan de transport adapté aux priorités de desserte et aux niveaux de service définis par l'autorité organisatrice de transport ; que selon le II de cet article 5, en cas de grève, les salariés relevant des catégories d'agents indispensables à l'exécution de chacun des niveaux de service prévus dans le plan de transport adapté informent, au plus tard quarante-huit heures avant de participer à la grève, le chef d'entreprise ou la personne désignée par lui de leur intention d'y participer ;

Considérant que les dispositions précitées du code du travail, qui imposent le dépôt d'un préavis avant que les agents des services auxquels il s'appliquent ne puissent recourir à la grève et interdisent à ces agents certaines modalités d'arrêt du travail, se bornent à opérer sur deux points particuliers la conciliation entre la défense des intérêts des agents et la sauvegarde de l'intérêt général ; que, de même, s'agissant des services publics de transport terrestre régulier de voyageurs à vocation non touristique, la loi du 21 août 2007 ne traite que de points particuliers, en ce qu'elle charge les entreprises investies de la gestion de ces services publics ainsi que les autorités organisatrices de transport de déterminer par avance, en fonction des priorités de desserte et des moyens disponibles, les conditions d'organisation du service dans le cas où un service complet ne peut être assuré, notamment pour cause de grève, et impose aux agents, pour permettre cette planification, de faire connaître leur intention de cesser le travail au moins quarante huit heures avant de participer à la grève ; qu'il en résulte que ni les dispositions précitées du code du travail, pour la généralité des services publics, ni celles de la loi du 21 août 2007, pour les services publics de transport terrestre qu'elle régit, ne constituent l'ensemble de la réglementation du droit de grève annoncée par la Constitution ;

Considérant qu'en l'absence de la complète législation annoncée par la Constitution, la reconnaissance du droit de grève ne saurait avoir pour conséquence d'exclure les limitations qui doivent être apportées à ce droit, comme à tout autre, en vue d'en éviter un usage abusif ou contraire aux nécessités de l'ordre public ; qu'en l'état de la législation, il appartient ainsi aux organes chargés de la direction d'un établissement public, agissant en vertu des pouvoirs généraux d'organisation des services placés sous leur autorité, de déterminer les limitations qui doivent être apportées à l'exercice du droit de grève dans l'établissement en vue d'en éviter un usage abusif ou contraire aux nécessités de l'ordre public ;

Considérant que l'instruction générale IG 529 relative aux modalités de participation à la grève à la Régie autonome des transports parisiens (RATP) rappelle les modalités de déclaration préalable qui avaient été préalablement fixées par l'instruction générale IG 519 et impose aux agents de la Régie qui souhaiteraient rejoindre un mouvement de grève de le faire à l'intérieur du préavis, à n'importe quelle prise de service mais exclusivement au début de la prise de service ;

Considérant qu'en imposant ainsi aux agents de la Régie qui entendent rejoindre une grève de le faire au début d'une des prises de service qui leur sont assignées par les décisions déterminant l'organisation du service, le président-directeur général de la RATP a entendu prévenir les risques de désorganisation qui résulteraient de l'interruption du travail en cours de service par des agents décidant de rejoindre la grève après le début de leur service ; que la limitation apportée à l'exercice du droit de grève qui en résulte est justifiée par les nécessités du fonctionnement du service public de transport assumé par la RATP et vise à prévenir un usage abusif du droit de grève ;

Considérant que, si les dispositions de l'article 5 de la loi du 21 août 2007, qui imposent aux agents des services visés par cette loi de déclarer leur intention de participer à la grève au plus tard quarante-huit heures avant de cesser le travail, n'obligent pas ces agents des services publics à commencer de faire grève au début de la période couverte par le préavis, elles n'ont ni pour objet ni pour effet de leur reconnaître le droit de commencer à participer à une grève à n'importe quel moment qu'ils choisissent au cours de la période du préavis ; qu'il s'ensuit que l'instruction attaquée a pu, sans méconnaître l'article 5 de la loi du 21 août 2007, imposer aux agents de la Régie autonome des transports parisiens d'informer la Régie de leur intention de rejoindre une grève au moins quarante-huit heures avant le début de la prise de service qu'ils n'entendent pas assurer pour cause de grève ;

Considérant que la circonstance que la plupart des préavis déposés par les organisations syndicales représentatives n'excèdent pas vingt-quatre heures et qu'en conséquence les agents ne pourraient, en pratique, rejoindre une grève passé le début du service qui leur est assigné pendant la durée du préavis est dépourvue d'incidence sur la légalité de l'instruction attaquée ;

Considérant, enfin, que les termes de l'instruction générale attaquée ne méconnaissent, en tout état de cause, aucune des règles fixées par l'article L. 2512-3 du code du travail, qui n'a ni pour objet ni pour effet de faire obstacle à ce que l'autorité chargée de la gestion d'un service public de transport décide, compte tenu des nécessités de ce service, que la participation à la grève n'est possible qu'au début d'une des prises de service ;

Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que le SYNDICAT SUD RATP n'est pas fondé à demander l'annulation de l'instruction attaquée ;

Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge du SYNDICAT SUD RATP le versement à la Régie autonome des transports parisiens d'une somme de 3 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ; que ces dispositions font, en revanche, obstacle à ce qu'il soit fait droit aux conclusions présentées au même titre par le SYNDICAT SUD RATP ;


D E C I D E :
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Article 1er : La requête du SYNDICAT SUD RATP est rejetée.
Article 2 : Le SYNDICAT SUD RATP versera une somme de 3 000 euros à la Régie autonome des transports parisiens au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : La présente décision sera notifiée au SYNDICAT SUD RATP et à la Régie autonome des transports parisiens.
Copie en sera adressée au ministre d'Etat, ministre de l'écologie, de l'énergie, du développement durable et de la mer, en charge des technologies vertes et des négociations sur le climat.


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