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Ariane Web: Conseil d'État 330536, lecture du 6 août 2009, ECLI:FR:CEORD:2009:330536.20090806

Décision n° 330536
6 août 2009
Conseil d'État

N° 330536
ECLI:FR:CEORD:2009:330536.20090806
Inédit au recueil Lebon
Section du Contentieux
M. Bélaval, président
M. Philippe Bélaval, rapporteur


Lecture du jeudi 6 août 2009
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu I) sous le numéro 330536, la requête, enregistrée le 5 août 2009 au secrétariat du contentieux du Conseil d'État, présentée par Mme Zivajere A, élisant domicile auprès du collectif d'accueil pour les solliciteurs d'asile à Strasbourg, 13 quai Saint Nicolas à Strasbourg (67000) ; Mme A demande au juge des référés du Conseil d'État :

1°) d'annuler l'ordonnance du 31 juillet 2009 par laquelle le juge des référés du tribunal administratif de Strasbourg, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, a rejeté sa requête et celle de son mari tendant, d'une part, à suspendre l'exécution de la décision du préfet du Bas-Rhin refusant de prendre en charge leur hébergement et, d'autre part, à enjoindre celui-ci, sur le fondement des articles de leur indiquer les centres d'accueil susceptibles de l'accueillir avec son époux et ses cinq enfants dans un délai de 48 heures à compter de la notification de l'ordonnance à intervenir sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;

2°) de faire droit à ses conclusions de première instance ;

3°) de mettre à la charge de l'État le versement d'une somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;



elle soutient qu'il y a urgence dès lors qu'elle est dénuée de toute possibilité d'hébergement ; qu'il en est de même pour son époux et ses cinq enfants mineurs ; qu'elle ne bénéficie d'aucune allocation temporaire d'attente alors même qu'elle n'est pas hébergée en centre d'accueil pour demandeurs d'asile ; qu'il y a bien une atteinte à une liberté fondamentale ; qu'en effet la situation de la requérante porte atteinte au droit constitutionnel d'asile dans ses aspects sociaux ; que le juge des référés du tribunal administratif de Strasbourg a commis une erreur de fait en estimant que la préfecture du Bas-Rhin lui avait remis un formulaire de l'office français de protection des réfugiés et apatrides alors même que ce n'est pas le cas ; qu'il a commis une erreur manifeste d'appréciation en estimant que le délai pour la délivrance d'une autorisation provisoire de séjour est raisonnable ; qu'il a commis une erreur de droit dès lors qu'il s'est fondé sur la circonstance que la requérante n'était pas en possession d'un des documents de séjour mentionnés à l'article L. 752-1 du code de justice administrative pour rejeter sa requête ; qu'il serait souhaitable de faire application de l'esprit et non pas de la lettre des articles L. 742-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et L. 348-1 du code de l'action sociale et des familles ; que le droit des demandeurs d'asile à bénéficier pendant la durée d'examen de leur demande de conditions matérielles d'accueil leur assurant une vie décente est consacré par la directive 2003/9 CE du 27 janvier 2003 ; qu'en ne proposant pas à la famille A de se rendre dans un autre département ou un centre d'accueil où ils étaient susceptibles d'être accueillis le Préfet du Bas-Rhin a méconnu sa compétence et à son obligation de pourvoir aux conditions matérielles d'accueil prévues par ladite directive ; que le Préfet ne peut justifier cette carence par l'absence de places disponibles afin d'héberger la famille A alors même qu'ils devraient bénéficier d'un hébergement d'urgence ; qu'il y a atteinte aux dispositions de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; que sur ce point, l'ordonnance attaquée est, d'une part entachée d'un défaut de motivation et, d'autre part, d'une erreur manifeste d'appréciation dès lors que la situation de précarité dans laquelle se trouve la famille A est de nature à porter durablement et gravement atteinte à leur dignité ;


Vu II) sous le numéro 330537, la requête, enregistrée le 5 août 2009 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentée par M. Sami A, élisant domicile auprès du collectif d'accueil pour les solliciteurs d'asile à Strasbourg, dont le siège est situé 13 quai Saint-Nicolas à Strasbourg (67000), agissant en son nom personnel et au nom de ses cinq enfants mineurs, Besa, Besnike, Besmir, Hava et Avdulla ; M. A demande au juge des référés du Conseil d'Etat :

1°) d'annuler la même ordonnance du 31 juillet 2009 du juge des référés du tribunal administratif de Strasbourg ;

2°) de faire droit à ses conclusions de première instance ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat le versement d'une somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

il invoque les mêmes moyens que ceux articulés à l'appui de la requête n° 330536 susvisée ;

Vu l'ordonnance attaquée ;

Vu, enregistré le 6 août 2009 à 12 heures 24, le mémoire présenté par le ministre de l'immigration, de l'intégration, de l'identité nationale et du développement solidaire, qui conclut au rejet des requêtes de Mme et M. A ; il soutient que la famille A n'est pas, à ce jour, admise au séjour en qualité de demandeurs d'asile, le formulaire de demande d'asile auprès de l'office français de protection des réfugiés et apatrides et l'autorisation provisoire de séjour ne leur ayant pas été délivrés ; que le statut de la requérante ne lui permet de bénéficier ni d'un hébergement au titre de la prise en charge des demandeurs d'asile, ni de l'allocation temporaire d'attente ; que le droit commun de l'hébergement d'urgence prévu par l'article L. 345-2 du code de l'action sociale et des familles est applicable à la situation des requérants ;

Vu, enregistrée le 6 août 2009, la demande d'aide juridictionnelle présentée par M. et Mme A ;



Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la Constitution ;

Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
Vu la directive 2003/9/CE du 27 janvier 2003 ;
Vu le code de l'action sociale et des familles ;
Vu le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

Vu le code de justice administrative ;


Après avoir convoqué à une audience publique, d'une part, Mme et M. A et, d'autre part, le ministre de l'immigration, de l'intégration, de l'identité nationale et du développement solidaire ;

Vu le procès-verbal de l'audience publique du jeudi 6 août 2009 à 14 heures 30 au cours de laquelle a été entendu :

- Me Gaschignard, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, avocat des requérants ;


Considérant que les requêtes de Mme et de M. A sont dirigées contre une même ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Strasbourg, qu'elles présentent à juger les mêmes questions et qu'elles ont fait l'objet d'une instruction commune ; qu'il y a lieu de les joindre pour y être statué par une même ordonnance ;

Considérant qu'aux termes de l'article L. 521-2 du code de justice administrative : Saisi d'une demande en ce sens justifiée par l'urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public aurait porté, dans l'exercice d'un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. Le juge des référés se prononce dans un délai de quarante-huit heures ; qu'au sens de ces dispositions, la notion de liberté fondamentale englobe, s'agissant des ressortissants étrangers qui sont soumis à des mesures spécifiques réglementant leur entrée et leur séjour en France, et qui ne bénéficient donc pas, à la différence des nationaux, de la liberté d'entrée sur le territoire, le droit constitutionnel d'asile qui a pour corollaire le droit de solliciter le statut de réfugié, dont l'obtention est déterminante pour l'exercice par les personnes concernées des libertés reconnues de façon générale aux ressortissants étrangers ; que la privation du bénéfice des mesures prévues par la loi afin de garantir aux demandeurs d'asile des conditions matérielles d'accueil décentes jusqu'à ce qu'il ait été statué définitivement sur leur demande est susceptible de constituer une atteinte grave et manifestement illégale à cette liberté ;

Considérant qu'il résulte de l'instruction et qu'il peut être regardé comme établi en l'absence de toute contestation de la part du ministre de l'immigration, de l'intégration, du développement solidaire et de l'identité nationale, que M. et Mme A, ressortissants kosovars qui seraient arrivés en France, en compagnie de leurs cinq enfants mineurs dans la nuit du 22 au 23 juillet 2009, se sont présentés dans les services de la préfecture du Bas-Rhin le 23 juillet 2009 afin d'y solliciter le statut de demandeur d'asile ; qu'à l'occasion de cette visite, les services de la préfecture se sont bornés à remettre à M. et Mme A une convocation pour le 20 août 2009 à 8 heures afin de procéder à l'instruction de leur demande ; que faute pour M. et Mme A de disposer, dans l'attente de cette convocation, des documents provisoires de séjour prévus par l'article L. 742-1 du code de justice administrative, documents dont la détention est exigée par les dispositions des articles L. 348-1 et suivants et R. 348-1 et suivants du code de l'action sociale et des familles pour bénéficier des mesures d'aide sociale destinées aux demandeurs d'asile qu'elles prévoient, les membres de la famille de M. et Mme A n'ont pu prétendre au bénéfice desdites mesures, et n'ont pu en particulier ni solliciter un hébergement en centre d'accueil pour demandeurs d'asile, ni percevoir l'allocation temporaire d'attente ; que les services de la préfecture leur ont toutefois indiqué qu'ils pourraient être admis dans un centre d'hébergement d'urgence ou un centre d'hébergement et de réinsertion sociale, dans le cadre du dispositif de veille sociale institué par les articles L. 345-2 et suivants du code de l'action sociale et des familles ; que M. et Mme A font valoir sans être contredits que la nécessité de rechercher quotidiennement des places vacantes dans ces établissements, d'une part et l'engorgement desdits établissements, d'autre part, les privent, ainsi que leurs enfants, de tout hébergement, au moins jusqu'au 20 août 2009 ;

Considérant qu'en différant du 23 juillet au 20 août 2009 le dépôt de la demande de statut de réfugiés de M. et Mme A et de leurs enfants pour des raisons liées au fonctionnement des services préfectoraux pendant l'été et en se bornant à proposer pour une durée aussi élevée à cette famille de sept personnes une solution d'hébergement aléatoire, sans qu'aucune compensation d'aucune sorte puisse intervenir en sa faveur, et alors qu'au surplus Mme A est de santé fragile, le préfet du Bas-Rhin, qui n'a à aucun moment remis en cause la sincérité de la démarche de M. et Mme A ni soutenu qu'ils relevaient de l'un des cas prévus à l'article L. 741-4 du code de l'entré et du séjour des étrangers en France et du droit d'asile dans lesquels l'admission en France d'un demandeur d'asile peut être refusée, et qui était donc tenu de leur assurer, dans la mesure du possible, des conditions matérielles d'accueil décentes, a porté atteinte au droit de M. et Mme A de solliciter la qualité de réfugié ; que dans les circonstances de l'espèce, cette atteinte doit, en dépit des contraintes invoquées par le ministre, en termes au demeurant généraux et dont il ne ressort pas qu'aucun mode d'hébergement ne peut être proposé à la famille A, être regardée comme grave et manifestement illégale ; que par suite, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de leur requête, M. et Mme A sont fondés à soutenir que le juge des référés du tribunal administratif de Strasbourg a commis une erreur de droit sur ce point ;

Considérant que l'urgence justifie, dans les circonstances de l'espèce que le juge des référés fasse usage des pouvoirs qu'il tient de l'article L. 721-2 du code de justice administrative ;

Considérant qu'il n'est rien demandé d'autre au juge des référés que d'enjoindre au préfet du Bas-Rhin d'indiquer à M. et Mme A un lieu d'hébergement susceptible de les accueillir avec leurs enfants ; qu'il y a lieu dès lors de prononcer cette injonction, en prescrivant au préfet un délai de vingt-quatre heures à compter de la réception de la présente ordonnance ; qu'il n'y a pas lieu d'assortir cette injonction d'une astreinte ;

Considérant enfin qu'il y a lieu de mettre à la charge de l'Etat le versement à M. et Mme A de la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;


O R D O N N E :
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Article 1er : L'ordonnance n° 0903632-0903634 du juge des référés du tribunal administratif de Strasbourg en date du 31 juillet 2009 est annulée.
Article 2 : Il est enjoint au préfet du Bas-Rhin d'indiquer à M. et Mme A dans le délai de vingt-quatre heures à compter de la réception de la présente ordonnance un lieu d'hébergement susceptible de les accueillir avec leur famille.
Article 3 : L'Etat versera à M. et Mme A la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions des requêtes de M. et Mme A est rejeté.
Article 5 : La présente ordonnance sera notifiée à Mme Zivajere A, à M. Sami A et au ministre de l'immigration, de l'intégration, de l'identité nationale et du développement solidaire.
Copie en sera également adressée au préfet du Bas-Rhin.